Propos recueillis par Karim Aimeur Djallil Lounnas est un professeur des relations internationales et spécialistes des questions sécuritaires dans la région du Sahel. Dans cet entretien, il revient sur les informations colportées par des médias maliens, accusant l'Algérie d'avoir annexé un village frontalier. « Un non-sens », juge-t-il, affirmant qu'une telle opération, si elle était vraie, aurait soulevé un tollé général. Il en veut pour preuve que ni les autorités maliennes ni aucune autre organisation du pays n'ont prêté du sérieux à ces accusations. Le Soir d'Algérie : Des médias maliens ont fait récemment état d'une présence militaire algérienne dans la localité frontalière malienne d'In Khalil, allant jusqu'à affirmer qu'une partie du territoire malien a été annexée. Ces informations ont été catégoriquement démenties par l'armée algérienne. Quelle (s) partie (s) a (ont) intérêt, selon vous, à colporter de telles informations et quels en seraient les objectifs ? Djallil Lounnas : Il faut savoir que plusieurs zones frontalières entre l'Algérie et le Mali ont des délimitations peu claires, sinon inexistantes, et les populations locales passent les frontières régulièrement dans un sens et dans l'autre. D'après le communiqué du ministère de la Défense, l'armée a envoyé une équipe pour effectuer des travaux de vérification des bornes du tracé frontalier algéro-malien et à proximité de la localité frontalière malienne d'In Khalil, sans plus. Il est possible que cette équipe ait été vue et que, par la suite, des personnes suivies par des médias aient annoncé que l'Algérie tentait d'annexer cette partie. Mais d'après le communiqué, l'équipe de l'ANP est restée « en territoire national » et n'a pas franchi la frontière. Pour « annexer », il faudrait plus que cela et c'est une évidence. Je pense qu'il s'agit d'une polémique sans fond et relevant plus du « tabloïd ». Il faut noter que ni les autorités maliennes ni aucune autre organisation influente n'ont prêté la moindre foi à ces informations. Cela montre, à mon avis, que ces informations n'ont aucun fondement. C'est un non-sens. Pensez-vous que dans le contexte de la crise politique et sécuritaire malienne, les parties qui pourraient être derrière ces informations veulent faire diversion et surtout cibler l'Accord de paix d'Alger de 2015, surtout que les appels au retour aux principes de cet accord entre Bamako et les groupes armés du nord du pays se font entendre ces derniers jours ? C'est une possibilité. Mais encore une fois, il faut être prudent. L'annexion d'une partie d'un pays étranger est tellement une question importante que son avènement aurait suscité un tollé. Aucune partie n'a prêté foi à ces « rumeurs » de journaux. Il faut souligner que les appels au retour et à l'application de l'Accord d'Alger de 2015 se font régulièrement entendre, surtout dans ce contexte où, au Mali, l'option d'un dialogue à tous les niveaux semble se préciser ces derniers temps. Au demeurant, notons ici que l'Accord d'Alger est l'un des rares accords qui ont regroupé autant d'acteurs reconnus sur le terrain. Mais force est de constater que, concrètement, il est très peu appliqué par les différentes parties impliquées. Toutefois, cet Accord d'Alger reste une référence pour les Maliens : soit pour l'appliquer, soit pour « une renégociation » sur la base de ses principes. Comment évaluez-vous la situation sécuritaire au Mali, notamment suite à l'annonce de la libération d'une centaine de terroristes en contrepartie de la libération d'une otage française et du leader de l'opposition Soumaïla Cissé ? D'après diverses sources au Mali, les négociations ont commencé il y a plusieurs semaines et ont abouti il y a deux semaines. Des détails et problèmes techniques ont retardé son application jusqu'à hier. Je pense que c'est un tournant : c'est la première fois qu'il y a un tel échange dans l'histoire de la lutte antiterroriste en Afrique du Nord-Sahel. Aucun pays n'a jamais accepté de le faire, et surtout avec une telle ampleur. Il semble également, et cela reste à confirmer, que les partenaires du Mali n'étaient pas tout à fait au courant de l'échange, ou en tout cas ont été mis devant le fait accompli. Quelles seront les conséquences d'un tel acte ? Cela peut encourager d'autres groupes terroristes à faire autant. Je pense notamment à l'EIGS et Ansar al-Islam. C'est également un risque sécuritaire majeur pour la région. Plus d'une centaine de terroristes libérés et remis dans le nord où ils risquent de renforcer le JNIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans). Cette opération risque de renforcer également la position d'Iyadh Ghali, le chef du JNIM et accroître son prestige. Cela montre également l'influence grandissante de l'imam Dicko qui, depuis plusieurs années, appelle à un dialogue avec Iyadh et les groupes terroristes du Nord. K. A.