Par Samy Zamoun, docteur vétérinaire(*) Les données actuelles indiquent que le virus de la Covid-19(1) se transmet par des gouttelettes respiratoires ou par contact. La transmission par contact se produit lorsque des mains contaminées touchent les muqueuses de la bouche, du nez ou des yeux ; le virus peut également être transféré d'une surface à une autre par des mains contaminées, ce qui facilite la transmission par contact indirect. Par conséquent, l'hygiène des mains est extrêmement importante pour prévenir la propagation du virus de la Covid-19. Elle interrompt également la transmission d'autres virus et bactéries responsables de rhumes courants, de grippes et de pneumonies, réduisant ainsi la charge de morbidité globale. À cet effet, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, en plus de la distanciation physique et du port du masque, de se laver régulièrement les mains avec de l'eau et du savon ainsi que l'utilisation, en l'absence d'un point d'eau, de Solutions hydroalcooliques désinfectantes (SHA) contenant une concentration en alcool d'au moins 60%.(2) Pour faire face à l'épidémie de la Covid-19 et à la pénurie de solutions de désinfection des mains, l'OMS a mis à la disposition des professionnels de la pharmacie un guide(3) pour la préparation locale de solutions hydroalcooliques, l'une à base de 80% v/v d'éthanol, l'autre à base de 75% v/v d'isopropanol. En Algérie, à l'instar d'autres pays, le ministère du Commerce a accordé, au cours du mois d'avril de l'année en cours, 37 licences de production à des entreprises locales qui se sont lancées dans la fabrication des gels et solutions hydroalcooliques pour approvisionner les professionnels de la santé et les citoyens. Cependant, comme dans toute situation de crise, des spéculateurs de tout bord ont envahi les marchés des produits destinés à la désinfection, entraînant une prolifération de marques, une augmentation des prix inhabituelle et une disponibilité de produits dits hydroalcooliques dans tous types de commerces destinés au large public. Evidemment, l'arrivée de ces nouveaux fabricants a soulevé des inquiétudes chez les spécialistes qui s'interrogent sur leurs recettes, leurs modes de fabrication et la sécurité de leurs installations, d'autant plus qu'une tension mondiale pèse sur les composants de base des SHA, notamment l'éthanol, l'isopropanol et la glycérine (de type pharmaceutique). Plusieurs cas de situations frauduleuses et de contrefaçons ont été signalés à travers le territoire national, révélant que certains spéculateurs n'hésitent pas à tromper les Algériens et à vendre des produits inefficaces et non conformes. A Sidi Bel Abbès, les services de la Direction du commerce ont procédé à la saisie de 43 000 flacons de gel hydroalcoolique non conforme et des intrants, découverts dans un atelier de fabrication de produits cosmétiques qui ne disposait pas des autorisations légales. Une décision de fermeture de cet atelier a été émise par les services concernés. A Blida, un atelier de fabrication clandestine de gel hydroalcoolique a été démantelé par la Brigade économique et financière de la Police judiciaire, qui, outre l'interpellation du propriétaire, a procédé à la saisie d'une quantité de matière première et de plusieurs machines servant à la confection de ces produits. Au niveau de la daïra de Hamma-Bouziane (wilaya de Constantine), la Police judiciaire a démantelé un atelier clandestin de fabrication de gel hydroalcoolique et saisi pas moins de 5 000 flacons de ce produit contrefait. La quantité récupérée a été détruite et le mis en cause traduit en justice. À Jijel, les services de la Police judiciaire ont procédé à la saisie d'une quantité de 588 flacons de 60 ml, contenant du gel hydroalcoolique contrefait. La quantité saisie a été trouvée chez deux commerçants contre lesquels des dossiers judiciaires ont été établis pour être transmis à la justice. À Alger, la Direction du commerce a déclenché une enquête contre l'entreprise CEICS, basée à Béni-Messous, qui a contrefait la solution hydro-alcoolique désinfectante «Enadol», propriété de l'entreprise Enad-Shymeca. Ainsi le produit «contrefait», présenté dans des contenants «identiques» à ceux du produit original, reprend toutes les informations de l'étiquetage du produit original, avec la même police de caractère et la photo d'illustration du produit de l'Enad-Shymeca, à une exception près, la lettre M a remplacé la lettre N (Enadol est devenu Emadol). Un quotidien national(4) a rapporté qu'une étude réalisée par des épidémiologistes au profit du Laboratoire national de toxicologie, sur un échantillon de sept marques différentes de gel hydroalcoolique (GHA) disponibles sur le marché, a démontré qu'aucune d'elles ne compte 70 degrés d'alcool comme cela a été exigé par l'OMS. Dans le même sillage, on peut citer l'anecdote(5) d'un chef cuisinier qui a voulu vérifier la teneur en alcool d'un GHA en procédant à sa combustion, il fut stupéfait de constater que le produit n'a pas pris feu, alors qu'il est supposé être hautement inflammable. Certes, cette situation n'est pas spécifique à l'Algérie. Au niveau international, l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) a tiré la sonnette d'alarme sur l'augmentation significative du trafic des produits liés au Covid-19 : masques, gel hydroalcoolique, tests de dépistage et même chloroquine. Au Canada, l'Ordre des chimistes du Québec (OCQ) a annoncé récemment le lancement d'une enquête sur la production de gel hydroalcoolique, et ce, à la suite de la multiplication des informations troublantes qui circulent dans l'espace public à ce sujet. L'OCQ a motivé sa décision par les préoccupations suivantes : Les risques de contamination ou de faux sentiment de sécurité qui pourraient résulter de l'utilisation de produits ne respectant pas les paramètres établis (ex : pourcentage d'alcool insuffisant pour avoir un effet désinfectant). Les risques pour la santé et le bien-être des utilisateurs de gel qui pourraient résulter de l'utilisation de produits ou de processus inadéquats (ex. : irritation de la peau). Les risques d'incidents dans le processus de production, de transport ou d'entreposage du gel (ex : incendie). En France également, l'Anses(6) a été saisie par le directeur général de la santé, la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et le directeur général de la prévention des risques, pour la réalisation de l'appui scientifique et technique concernant les critères d'efficacité des désinfectants hydroalcooliques pour l'hygiène humaine et la garantie de cette efficacité tout au long de leur cycle de vie.(7) Les autorités sanitaires recommandent l'utilisation de solutions et gels hydro-alcooliques en l'absence d'eau et de savon. Mais pas n'importe lesquels. L'idéal est qu'ils aient été testés selon les normes d'efficacité antimicrobienne,(8) et dans le contexte actuel selon la norme de virucidie NF EN 14476.(9) En l'absence de référence à cette norme sont également recommandés les produits à base d'alcool éthylique (éthanol) ou d'alcool propylique (propane-1-ol ou n-propanol) ou d'alcool isopropylique (propane-2-ol ou isopropanol), dont la concentration optimale est comprise entre 60% à 80% d'alcool.(10) La concentration en alcool doit figurer visiblement sur l'étiquetage. Une efficacité virucide sur virus enveloppés et donc a priori sur le SARS-CoV-2 est attendue dès lors que les solutions hydroalcooliques désinfectantes ont une teneur en alcool supérieure à 60% v/v(11). En Europe, les produits de désinfection des mains sont soumis à une règlementation spécifique ; ce sont des produits biocides(12), relevant du type de produits 1 (TP1), définie à l'Annexe V du règlement UE 528/2012.(13) À ce titre, leur mise sur le marché et utilisation dans les Etats membres de l'Union est encadrée par les dispositions prévues par ce règlement (marquage CE(14) et AMM).(15) En Algérie, les gels hydroalcooliques sont soumis aux dispositions du décret exécutif n°10-114 du 18 avril 2010 définissant les conditions et les modalités de fabrication, de conditionnement, d'importation et de commercialisation sur le marché national des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle. Par conséquent, tout opérateur économique est tenu de solliciter une autorisation préalable qui est délivrée par le ministère du Commerce, après étude et validation d'un dossier technique et administratif. Néanmoins, un flou règlementaire subsiste concernant les normes relatives à la qualité de l'alcool, la concentration finale et à la composition des autres intrants. Bien entendu, cela se traduit par des étiquetages avec des allégations surprenantes concernant les revendications et activités antimicrobiennes. Cet état de fait amène à la nécessité de mettre en place des mesures correctives et/ou coercitives afin d'améliorer et de garantir la qualité des produits hydroalcooliques, qui sont actuellement les seuls produits disponibles pour l'inactivation rapide et efficace d'un large éventail de microrganismes manuportés. Des actions de sensibilisation et de contrôle doivent être entreprises par les services chargés de la protection des consommateurs en direction des opérateurs économiques pour les inviter à se conformer aux bonnes pratiques de fabrication, notamment sur le choix des composants pour leurs formulations. Toutes les matières premières doivent être exemptes de spores et conformes à la pharmacopée internationale. Les alcools sont inflammables, et pour cette raison, il est recommandé de fabriquer les SHA dans des installations certifiées et conformes à la règlementation ATEX(16). Les conditionneurs sont tenus de porter une attention particulière sur l'impact de l'évaporation de l'alcool lors des phases d'ouverture des contenants et lors des phases de remplissage des conditionnements. Le grand public devra être sensibilisé pour bien utiliser le gel hydroalcoolique, en choisissant d'utiliser un produit testé selon la norme NF EN 144769. En l'absence de cette indication, il pourra choisir un produit contenant 60 à 80% v/v d'alcool. La concentration en alcool doit figurer visiblement sur l'étiquetage. Il devra utiliser les gels hydroalcooliques sur des mains sèches et propres : le produit sera moins efficace, voire inefficace, sur des mains souillées, se frictionner les mains 20 à 30 secondes, jusqu'à séchage de la solution. Afin de débusquer les allégations trompeuses, les services officiels de la répression des fraudes sont tenus de procéder à des contrôles réguliers de la qualité et de l'évolution du titre alcoolique. Pour ce qui est des établissements de santé privés et publics, les exigences du moment imposent de renforcer leurs programmes d'amélioration de l'hygiène des mains suivie par une meilleure observance de la friction hydroalcoolique, soit une consommation minimale adéquate de SHA qui constitue l'indicateur qualité le plus pertinent de la stratégie multimodale recommandée par l'OMS(17). Par conséquent, il est particulièrement important de choisir des produits hydroalcooliques dont l'efficacité et l'innocuité sont démontrées, et ce, par la mise en place d'un cahier des clauses techniques particulières afin de pouvoir s'approvisionner avec des produits hydroalcooliques efficaces, qui doivent contenir entre 60% et 80 % v/v d'alcool, et leur efficacité antimicrobienne prouvée conformément aux normes européennes NE ou aux normes américaines l'ASTM International. Les responsables du CLIN(18), entre autres les pharmaciens, pourront conforter le choix des produits hydroalcooliques en procédant à un contrôle de qualité de base, qui consiste à mesurer à l'aide d'un alcoomètre la concentration en alcool d'un échantillon de SHA. Un contrôle de niveau supérieur peut être également effectué pour vérifier la qualité (éthanol ou n-propanol ou isopropanol) et la teneur de l'alcool avec un chromatographe en phase gazeuse, technique d'analyses largement maîtrisée par de nombreux laboratoire nationaux. De plus, l'absence de contamination bactérienne (y compris par les spores) peut être contrôlée par filtration, conformément aux spécifications de la pharmacopée européenne. S. Z. (*) Consultant scientifique et règlementaire | Sarl Nosoclean. Lexiques et références : 1. La Covid-19 : désignation en langue anglaisehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Anglais (COronaVIrus Disease 2019) de la maladie infectieuse émergentehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_infectieuse_%C3%A9mergente de type zoonose https://fr.wikipedia.org/wiki/Zoonose virale causée par la souche https://fr. wiki pedia.org/wiki/Souche_(biologie) de coronavirushttps://fr.wikipedia.org/wiki/CoronavirusSARS-CoV-2https://fr.wikipedia.org/wiki/SARS-CoV-2. 2. Recommandations de l'OMS pour l'hygiène des mains au cours des soins. 3. Formulations des produits hydroalcooliques recommandées par l'OMS. 4. Publié par Le Soir d'Algérie/Périscoop du 12.09.2020. 5. Propos recueillis lors de l'émission radiophonique «Service public», Magazine quotidien d'Alger Chaîne III. 6. L'Anses : l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (France). 7. 10.11. Avis de l'Anses saisine n°2020-SA0067 relatif aux critères d'efficacité des désinfectants hydroalcooliques pour l'hygiène humaine et la garantie de cette efficacité tout au long de leur cycle de vie. 8. Selon la Société française d'hygiène hospitalière, il est fortement recommandé pour le choix des produits d'hygiène des mains pour le traitement hygiénique des mains par frictions de n'accepter que des produits répondant aux normes NF EN 1040, NF EN 1275 (lévuricidie) et NF EN 1500. 9. Selon la Société française d'hygiène hospitalière, il est fortement recommandé si l'activité virucide est recherchée en période épidémique (infections respiratoires virales] que les produits d'hygiène des mains en plus des recommandations susmentionnées répondent à la norme NF EN 14476+1. 12. Les produits biocides sont des substances ou des préparations destinées à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes jugés nuisibles (champignons, bactéries, virus, rongeurs, insectes...). L'action du produit peut être chimique ou biologique (ex : utilisation de microorganismes bénéfiques). Ils sont à usage domestique, professionnel ou industriel. 13. Le règlement (UE) n°528/2012 du Parlement européen et du conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides. Celui-ci vise à harmoniser la mise sur le marché et l'utilisation de ces produits au sein de l'Union européenne. L'objectif principal de cette réglementation est d'assurer un niveau de protection élevé de l'homme, des animaux et de l'environnement, en ne mettant sur le marché que des produits biocides efficaces et ne présentant pas de risques inacceptables. 14. Le marquage CE (en vigueur depuis 1993https://fr.wikipedia.org/wiki/1993) est l'indicateur principal de la conformitéhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Conformit%C3%A9 d'un produit aux législations de l'UE et permet la libre circulation au sein du marché européen. Le marquage CE n'indique pas une origine géographique, mais précise que le fabricant ou l'importateur s'engage sur la conformité de son produit par rapport aux législations européennes, notamment en matière de sécuritéhttps://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9curit%C3%A9,d'hygiènehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Hygi%C3%A8ne et de protection de l'environnement. 15. L'Autorisation de mise à disposition sur le marché, dite AMM, des produits biocides est encadrée au niveau communautaire par le règlement européen (UE) n°528/2012. La mise en œuvre réglementaire s'articule en deux étapes : évaluation des substances actives biocides, suivie d'une évaluation des produits (contenant des substances actives approuvées) qui peut déboucher sur une autorisation nationale (uniquement valable dans le pays qui a délivré cette autorisation) ou de l'Union (valable dans tous les pays de l'Union européenne) de mise à disposition sur le marché, dite «AMM». 16. La règlementation ATEX (de ATmosphères EXplosives) est issue de deux directives européenneshttps://fr.wikipedia.org/wiki/Directive_de_l%27Union_europ%C3%A9enne (2014/34/UE ou ATEX 95 pour les équipements destinés à être utilisés en zones ATEX, et 1999/92/CE ou ATEX 137 pour la sécurité des travailleurs). La réglementation dite ATEX demande à tous les chefs d'établissement de maîtriser les risques relatifs à l'explosion de ces atmosphères au même titre que tous les autres risques professionnels. 17. WHO guidelines on hand hygiene in health care/2009. 18. CLIN : le Comité de lutte contre les infections nosocomiales [WFSD2020-web-banner-210x230FR] [cid:[email protected]]http://www.nosoclean.com/