Jeune auteure originaire d'une localité déshéritée de Boumerdès, diplômée en littérature française, Imene Bensitouah s'est installée à Istanbul où elle exerce l'enseignement et la traduction tout en se lançant dans l'écriture littéraire. Elle a édité deux recueils de poésie en français et un livre en langue arabe. Dans cet entretien, elle explique son rapport avec l'écriture qu'elle considère comme «une cure spirituelle» et «un remède pour l'âme». «C'est mon refuge quand les questions existentielles me dévorent et l'amertume de cette réalité me fait mal. Ecrire, c'est se débarrasser du poids des mots, des lettres et des idées que j'ai toujours réprimés, c'est affronter aussi et briser la peur», dit-elle. Le Soir d'Algérie : Vous êtes auteure de deux recueils de poésie et d'un livre. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Imene Bensitouah : Je suis jeune auteure algérienne native de la commune de Chabet El Ameur, dans la wilaya de Boumerdès. Je suis établie actuellement à Istanbul, en Turquie, où je travaille en tant qu'enseignante et traductrice, comme je fais également des recherches sur la littérature turque. J'ai à mon actif trois publications : deux recueils de poésie en français et un dernier livre en langue arabe Ponts de l'oubli qui est un recueil d'histoires et de récits autobiographiques. De Chabet El Ameur à Istanbul, comment est faite «l'ascension» ? «Un combat» est le mot le plus approprié pour qualifier cette ascension (rires). D'une villageoise rêveuse à une globetrotteuse. D'une fille, qui a choisi de subir le froid glacial de l'hiver, la chaleur suffocante de l'été et les kilomètres qui la séparent de son école et elle n'a jamais abandonné ses études, à une enseignante des générations de différentes nationalités. D'une fille qui ne maîtrisait que sa langue maternelle à une polyglotte aujourd'hui. Voilà, l'ascension était faite d'une lutte, d'une volonté de fer et d'ambition. Le chemin était plein d'obstacles que j'ai su transformer en points de force et d'équilibre. Croyez-moi, quand je repense à ce que j'ai pu surmonter et réaliser, je me dis que, dans chaque être humain, il y a une force divine, il suffit juste d'y croire, de croire en soi et surtout de la définir et de travailler. Ceci dit, concernant mon parcours, il n'était pas aussi exemplaire. Je n'ai pas eu mon BEM. Je suis passée au lycée par la moyenne des trimestres. Par contre, j'ai eu mon bac et étais parmi les premiers. Je voulais tellement étudier la littérature anglaise mais finalement ce fut la littérature française. Et après l'obtention de mon diplôme, je n'ai pas pu, malheureusement, trouver un poste de travail pendant trois ans. Un jour, j'ai quitté l'Algérie pour un séjour linguistique : peut-être, c'est ce qu'on appelle «sortir de sa zone de confort». Voilà ! Mais comment êtes-vous venue à l'écriture ? Qu'est-ce qui vous a poussée à la production littéraire ? Quand j'étais enfant, je parlais souvent aux fleurs, aux arbres, aux rochers dans la vallée. J'étais dotée d'une sensibilité exacerbée. Mon rêve, c'était de devenir poétesse. J'ai commencé par lire. J'étais passionnée de la poésie arabe. Je retenais par cœur des poèmes de grands poètes abbassides, omeyyades, andalous... j'ai écrit dans mon adolescence des bouts de poèmes ici et là mais je n'ai pas pensé à me mettre sérieusement à écrire. J'étais comme accablée par je ne sais quoi. Mon histoire avec l'écriture a commencé après mon immigration, c'est ici, à Istanbul, que l'écriture s'est imposée à moi telle une évidence, un refuge pour alléger l'atrocité de l'éloignement. Ecrire et extérioriser mes sentiments est devenu un besoin. Les mots ont commencé à couler abondamment. C'était comme une force qui a jailli de moi, une lumière qui a illuminé le chemin pour ces mots qui étaient jusque-là réprimés. J'ai écrit alors mon premier recueil, Un esprit loup me hante. Le loup symbolise donc cette force. Le recueil contient des poèmes avec des sujets différents : l'amour, l'amitié, l'exil, l'éloignement. On y trouve même des sujets philosophiques. Le recueil fut publié en France. Après un an et demi de la parution de mon premier recueil, j'ai écrit un deuxième recueil de poésie, Funérailles des tourments, et dernièrement j'ai publié un livre autobiographique en langue arabe que j'ai intitulé Les Ponts de l'oubli édité par Khayal Editions. Je profite de l'occasion pour remercier l'éditeur Rafik Taibi de m'avoir ouvert les portes de l'édition en Algérie. C'était vraiment important pour moi d'éditer dans mon pays. Qu'est-ce qui vous inspire dans vos écrits ? Y a-t-il des moments particuliers où l'inspiration est envahissante ? Je dirai tout simplement mon vécu et moi-même. Je m'écris et ne cesserai jamais de le faire. Je crois fermement que chaque être humain a une histoire propre à lui, il regorge de connaissances, de choses à transmettre, il suffit juste de retourner vers soi et d'apprendre à se connaître. Quand j'ai appris à me connaître, j'ai connu l'autre et lui écris. Alors tout ce qui me touche et touche mon for intérieur me pousse à m'exprimer, à écrire. Pour la deuxième partie de la question, pour être sincère, je n'ai pas un moment précis, ni un rituel ni un endroit non plus où l'inspiration me vient. Je peux écrire un texte en quelques minutes et rester des jours, voire des mois sans rien écrire. L'inspiration me vient comme une pluie d'été pour rafraîchir l'aridité de mon vécu. Une simple chanson, un visage, un cri dans la rue font surgir un souvenir lointain qui déclenchera ensuite mon inspiration et caresse ma muse. Et que représente pour vous l'écriture ? L'écriture pour moi est une cure spirituelle. Un remède pour l'âme. C'est mon refuge quand les questions existentielles me dévorent et l'amertume de cette réalité me fait mal. Ecrire, c'est se débarrasser du poids des mots, des lettres et des idées que j'ai toujours réprimés, c'est affronter aussi et briser la peur. Dire ce que j'avais peur de dire. C'est parler après des années de silence imposé. L'écriture pour moi est un noble message que je dois transmettre à l'humanité. C'est ma connexion à l'esprit de l'univers. Croyez-moi, j'ai commencé à savoir qui je suis vraiment quand ma plume a décidé de se rebeller ! Votre dernier livre est intitulé Les ponts de l'oubli. Pouvez-vous nous en parlez ? Pourquoi les ponts et pourquoi l'oubli ? Pour être franche, au début, je voulais l'intituler Ponts de souvenirs puisque ce ne sont que des souvenirs lointains que je raconte. Des souvenirs qui m'ont forgée et que je ne voulais absolument pas oublier. L'oubli n'a jamais eu de ponts et il ne les aura jamais. Par contre, quand on veut oublier quelque chose qui nous possède, de plus en plus elle reste ancrée dans notre mémoire à tout jamais. Ponts de l'oubli est un ensemble d'histoires et récits autobiographiques qui racontent l'enfance de la narratrice Djedjiga, ses souvenirs et surtout son combat. Djedjiga, la fleur d'automne, la villageoise aux tresses rousses, la courageuse, l'espiègle et l'aventurière nous emmène alors dans son enfance et son village. Un village perdu dans les hauteurs de la Kabylie, isolé et qui manque de toute condition de vie mais qui regorge de mythes, de préjugés et d'histoires. La fillette, sage qu'elle était, a compris dès son jeune âge qu'il faut faire de la privation et la pauvreté une source d'ambition et de défi. Elle savait que tout se passe dans l'esprit et qu'elle doit voir les choses autrement et surtout ne pas accepter à vivre la même condition que les femmes de ce village, qui souffraient en silence. Elle disait dans son journal : «Je ne veux pas que mes pensées soient enchaînées par les chaînes rouillées du passé.» Voilà ! Djedjiga s'est alors armée d'une volonté de fer pour réaliser ses rêves, affirmer sa place dans une société patriarcale, continuer son éducation malgré tous les obstacles. Elle, la vendeuse de melons, la bergère, était aussi très brillante à l'école. «Les circonstances ne sont que des arguments de l'esprit qui a peur de s'aventurer. Rien ni personne ne pourra m'empêcher de briller», disait-elle. Ponts de l'oubli est aussi un hommage à la femme kabyle, rurale et algérienne en général. La femme courageuse et combattante. On trouve dans ce livre les histoires d'autres braves femmes, qui ont marqué et inspiré Djedjiga à l'instar de sa maman et sa sœur Soumia ainsi que la folle Ouardia qui lui a appris la sagesse, Na Hmama qui lui a appris la patience et son amie Sara Didane qui lui a tenu compagnie jusqu'à son épanouissement. Toutes ces histoires qui nous font parfois pleurer et parfois rire parlent de la réalisation et la confirmation de soi, de la guérison de ces blessures causées par la misère et l'injustice. Afin de transmettre tout ça, j'ai utilisé un style direct mêlé d'un peu de sarcasme, un vocabulaire simple. Je voulais toucher le cœur avant la raison. J'ai abordé des sujets différents y compris : la condition de la femme rurale, les coutumes et les traditions, les mythes kabyles, les fléaux sociaux, el harga... Justement, en parlant de la condition de la femme, sujet que vous abordez aussi sur les réseaux sociaux, que pensez-vous de cette question et comment évaluez-vous la condition féminine dans notre société ? Je ne dirai pas que la femme vit ses meilleurs moments historiques. On a eu beaucoup d'acquis, certes, mais beaucoup de régressions aussi. Et vu que je suis apolitique, je ne préfère pas dire que ceci est la cause, cela est la solution. Je pense que je suis plutôt écrivaine, c'est-à-dire avec mon approche littéraire, je relate le vécu de ces femmes. Donc, je ne saurais dire que j'ai raison ou pas mais à mon avis, la société est mesurée progressiste si seulement la femme est émancipée, alors si on veut un progrès, nous devons donner à chacun sa place. Entretien réalisé par Karim Aimeur