De tous les Présidents qui s'étaient succédé, il est certainement celui qui laissa en héritage le mandat politique le plus édifiant en termes de défense des intérêts nationaux mais également en succès économiques tout au long des 13 années de sa gouvernance. Sauf qu'il devint,après sa disparition (27-12-1978), le leader à qui des hommages furent rarement rendus à sa mémoire. Un ostracisme qui n'a jamais été justifié si ce n'est que l'on n'a retenu de son parcours que ce fait d'armes suspect qu'était le putsch renversant Ben Bella, lequel ne tira d'ailleurs sa légitimité en 1963 qu'à travers la violence de la police politique. Identifié comme l'inspirateur de l'esprit du système et, par voie de conséquence, de maître d'œuvre d'un modèle de « mur de Berlin » cloisonnant l'Algérie contre les sirènes de la démocratie, Boumediène ne pouvait qu'être perçu négativement que pour l'aspect dictatorial à l'origine de son ascension. Il avait donc suffi, au lendemain de sa disparition, de ne l'évoquer que pour cet aspect et qu'aussitôt l'on s'interdisait de lui reconnaître quelques mérites tout à fait patriotiques, notamment celui qui avait permis à la chrysalide qu'était la patrie d'accoucher d'un véritable Etat. Ceci expliquant cela, c'est pour cette raison que nul cacique ayant cultivé son compagnonnage n'eut le courage de s'aventurer à mettre en exergue les qualités éthiques de ce Président quand bien même il lui arrivait parfois de ne pas être en phase avec tous les membres du Conseil de la Révolution qui le soupçonnèrent, avec justesse, d'une certaine inclination vers un zaïmisme typiquement oriental. Etait-ce là une faible ambition décelée chez le personnage qui fera en sorte que le nom même de Boumediène ne puisse inspirer d'autres hommages que ceux qui ne l'évoqueraient que par son « opportunisme politique » ayant capté toute la lumière générée par les légendes tissées en marge de la guerre d'indépendance ? Certainement, car, à ce propos, il ne fait pas de doute qu'il s'agissait exclusivement des héritiers putatifs souhaitant enfouir son œuvre afin de se doter à leur tour de nouveaux plans de carrière à l'abri de la moindre référence à ce parrain. Il est vrai que celui-ci ne pouvait à l'origine qu'être jadis un colonel énigmatique au point de faire écrire à un journaliste du quotidien Le Monde « qu'il (Boumediène) était imprévisible à un point tel que lorsque vous le rencontrez dans les escaliers, vous ne savez jamais s'il était en train de monter ou de descendre... ».(1) Et puisque sa discrétion était à ce point inviolable, ceux qui furent préoccupés de ce qu'il pensait d'eux en silence ne pouvaient que ruminer de l'hostilité à son encontre. Bouteflika en fut d'ailleurs l'un d'entre eux en interdisant, dès sa réélection en 2004, la moindre manifestation allant dans le sens des hommages qui, pourtant, lui étaient dus, obligeant, de surcroît, la direction du parti du FLN de sanctionner la moindre kasma désireuse de saluer la mémoire de Houari Boumediène, fût-elle celle d'Héliopolis, sa terre natale, ou Guelma, le chef-lieu de son éducation. Cette aversion, soulignée durant une douzaine d'années, devint, par la suite, le mot d'ordre officiel justifiant la moindre interrogation ayant un rapport direct avec sa trajectoire. C'est pourquoi, l'on ne peut résister à l'idée que sa relégation mémorielle n'était rien d'autre que de l'autodéfense de la part de la nouvelle camarilla ayant occupé les « appartements » du pouvoir en 1999. Dit autrement, c'était cette sorte d'exemplarité qui ne pouvait que déranger des politiciens véreux. Il est vrai qu'il y avait certainement chez Boumediène un peu de cette image du plébéien sensible à la condition des couches sociales les moins favorisées, lesquelles marquèrent justement son souvenir. De surcroît, sa trajectoire a rarement été marquée par des scandales en relation avec le comportement des dirigeants. Et même si ce genre d'appréciation relève à présent des reliquats du romantisme, elle reflète néanmoins un profond sentiment de respect que les Algériens partageaient en comparaison à la pétaudière qu'était la gouvernance de Bouteflika. C'était peut-être de cette crainte de la comparaison qu'était née, dans le clan d'El-Mouradia, la réfutation du passé. Celui de ne pas souffrir la moindre comparaison entre deux destins politiques (Boumediène vs Bouteflika) sauf celui de s'imposer comme le « recordman » dans sa présence au sommet du pays. Bref, en décrétant implicitement qu'il n'y avait pas d'autres normes que lui-même, comment pouvait-il autoriser, tout au long de ses quatre mandats, que l'on prenne le risque de la fausseté en faisant des parallèles ? C'est ainsi qu'il ne resta pour sa mégalomanie que le secours à la substitution des héritages afin qu'il puisse se doter d'une autre filiation. Exit de son histoire personnelle le tutorat de Boumediène tout en le remplaçant par celui de Ben Bella en sa qualité de père fondateur de l'Etat algérien. En somme, dès son second mandat, il affinera le stratagème afin de parvenir à réduire les « années Boumediène » à une période transitoire qu'il est préférable d'enjamber pour accéder à l'olympe de l'historicité nationale grâce à la flagornerie exercée auprès d'un Ben Bella. De la même façon, mais à partir de procédés sinueux quant aux avis dissuasifs, il ne cessa de pilonner le souvenir de Boumediène, ce parrain disparu que d'aucuns affirmaient que sans lui Bouteflika n'aurait jamais gagné la notoriété dont il s'était prévalu. En définitive, ce n'étaient pas l'érosion du temps et l'œuvre de l'amnésie, à elles seules, qui confinèrent la vie et l'œuvre de Boumediène dans les archives poussiéreuses des historiens. Il y eut certainement les ressentiments de ses successeurs qui « raturèrent » sciemment et chacun à sa façon son nom de guerre. Celui que s'est donné le brave soldat Boukharouba alors qu'il ne cherchait guère une quelconque postérité devenue, en définitive, la sienne, en dépit du bannissement mémoriel que l'on a voulu lui imposer. B. H. (1) La formule de Jean Lacouture qui décrivait le défunt Boumediène dans le portrait publié dans le quotidien Le Monde. Auparavant et plus précisément en mars 1969, il accorda à Simone et Jean Lacouture un long entretien publié par Le Nouvel Observateur d'où il ressort un constat lumineux établi par le Président : « N'oubliez pas que nous avons perdu dans cette guerre deux millions d'hommes : un million de rapatriés et un million de morts ! »