De Tunis, Mohamed Kettou À la fin de sa réunion de mercredi dernier, le Conseil de la choura du parti islamiste Ennahdha semblait convaincu de la nécessité, pour ce parti, de tirer la leçon des évènements vécus la semaine dernière, après ce qu'il ne cesse de qualifier de «putsh» mené par le Président Kaïs Saïed. Rached Ghannouchi préfère, désormais, le vocable «redressement». Est-ce tactique ? À propos de la dégradation de la situation économique, sociale et sanitaire, le Conseil a souligné la responsabilité collective et seul le dialogue entre toutes les parties, en particulier avec le président de la République, serait à même d'aboutir à des solutions salvatrices. Selon des informations ayant fuité, la réunion a été houleuse en raison des désaccords survenus entre Rached Ghannouchi et certains membres du Conseil qui le tiennent responsable de la dérive du parti qui a conduit le pays à une situation intenable. Malgré l'appel lancé par certains hauts responsables d'Ennadha à Rached Ghannouchi de quitter la présidence du parti, ce dernier reste sourd. Il s'impose encore au niveau du parti et entend rester au perchoir du Parlement, se considérant comme l'homme par qui passent toutes les solutions. À ce propos, il a appelé à un retour rapide à la situation antérieure au 25 juillet, c'est-à-dire au rétablissement du Parlement dans ses prérogatives constitutionnelles et à la formation d'un gouvernement qui tirera sa légitimité uniquement de la confiance des députés. À son avantage, le soutien que lui apporte la plupart des chaînes privées de télévision. Celles-ci sont souvent ouvertes aux partisans d'Ennahdha qui s'évertuent à influencer le peuple en montrant leur parti comme étant victime des décisions du chef de l'Etat. 30 hauts responsables limogés En face, Kaïs Saïed les entend-il de cette oreille ? Il ne manque pas de rappeler qu'il ne reculera pas. «Il n'y a aucun retour en arrière possible», martèle-t-il. D'ailleurs, il poursuit l'exécution de son plan d'assainissement des rouages de l'Etat et a limogé, jeudi dernier, trois nouveaux gouverneurs. A cela s'ajoute l'assignation à la résidence surveillée de 13 hauts cadres dont 11 magistrats. Au total, 30 hauts responsables ont été limogés en dix jours. À l'heure actuelle et, comme l'affirme le cabinet de la présidence de la République, le chef de l'Etat ne semble pas pressé de désigner un Premier ministre, encore moins de mettre fin au gel de l'Assemblée. Certains analystes lui prêtent l'intention d'aller au-delà de la date fatidique du 24 août, date-butoir du rétablissement du Parlement dans ses prérogatives. En annonçant que ce délai n'est pas définitif et que son maintien demeure tributaire de l'évolution de la situation dans le pays, Kaïs Saïed cacherait un plan qui pourrait déboucher sur «l'auto-dissolution» du Parlement. Ce serait pure spéculation, voire de l'extrapolation. Après avoir exploité l'article 80 de la Constitution, il pourrait recourir à l'article 163 de la loi électorale. Dans ce cas, il lui faut attendre les décisions de la justice qui se penche, depuis quelques jours, sur les «financements extérieurs» interdits des campagnes électorales du parti islamiste et de son allié Qalb Tounès.
Le Parlement en sursis En cas de condamnation, ces deux partis, qui forment la majorité parlementaire, perdraient tous leurs sièges à l'Assemblée et celle-ci serait dissoute automatiquement. C'est un scénario que les cercles politiques n'excluent pas comme une possibilité qui permettrait à Kaïs Saïed - soutenu à ce propos par le SG adjoint de la centrale syndicale - d'annoncer des élections législatives anticipées sans endosser la responsabilité de dissoudre le Parlement. Cependant, pour gagner la confiance et la sympathie du peuple, le chef de l'Etat multiplie ses interventions sur le terrain de la vie quotidienne des citoyens afin que ces derniers tirent profit de ses appels à la baisse des prix des produits essentiels et à promouvoir la vaccination contre le Covid-19. A l'évidence, c'est une partie d'échecs serrée entre Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi. Chacun cherche à bien placer ses pions, le chef de l'Etat bénéficie d'une avance appréciable qui pourrait l'amener à réduire le parti islamiste à une portion congrue. C'est, du moins, le souhait de la majorité des Tunisiens à qui est offerte l'occasion d'effacer Ennahdha de la scène politique ou, du moins, de réduire, au minimum, son influence dans la vie nationale. M. K.