Dounia, personnage principal de ce récit, est atteinte de schizophrénie. Elle qui porte le nom de la vie va pourtant commettre l'irréparable : en finir avec l'existence. Brillante étudiante, belle et rebelle, Dounia rejette en bloc la société hypocrite dans laquelle elle vit. Après ce geste fatal, ses parents se demandent quelle a été leur responsabilité dans ce drame qu'ils n'ont pas vu venir. La réponse arrivera peut-être en filigrane dans le journal intime de leur fille, retrouvé par Aïcha, la femme de ménage. Page après page, les lecteurs découvrent l'étendue du mal-être de Dounia. C'est la psychiatre qu'elle consultait qui lui avait conseillé de coucher par écrit ses pensées les plus intimes. Des mots pour essayer de traiter les maux qui l'habitaient. Dounia évolue dans une famille où personne ne la comprend finalement. Le père, haut commis de l'état, sévère et autoritaire, est détesté par ses propres enfants. Lui, voue une grande affection à Dounia, sa fille préférée. Sa mère, médecin de son état, est une épouse soumise. Elle n'est pas expansive avec sa fille, ne lui montre jamais d'affection et la prive de câlins depuis sa plus tendre enfance. Deux sœurs et un frère drogué complètent cette famille. Dans ce récit, Rabéa Douibi évoque le regard malveillant que porte la société sur les êtres souffrant de troubles psychiatriques. Ainsi, la mère de Dounia tente de dissimuler la maladie de sa fille. «La plupart de nos proches avaient un regard chargé de honte envers notre pauvre fille. Ils murmuraient lorsqu'ils parlaient de son état mental comme s'ils nous faisaient des confidences sur un secret familial à préserver, à cacher. Une question revenait souvent dans un chuchotement : «Comment va-t-elle ?» «Ils ne la nommaient plus, rayant son identité propre tout en entretenant une curiosité malsaine vis-à-vis d'elle.» Dounia appartient à une famille aisée. Pourtant, elle rejette ce statut. Elle prend le bus pour aller à l'université, cherche des petits boulots et refuse les passe-droits que peut lui offrir son statut de fille de haut commis de l'Etat. Pour son dix-huitième anniversaire, son père voulait lui offrir une voiture. Elle refusa catégoriquement. Son directeur de thèse, qui se montre imbuvable envers elle, accentue la haine qu'elle voue aux hommes et lui rappelle un épisode dramatique de sa vie. Celui du viol qu'elle a subi sous son propre toit... Dounia est une féministe. Elle travaille bénévolement pour une association qui vient en aide aux femmes en détresse. Elle fait la connaissance de Zoulikha, une femme du Sud à la vie cabossée. Abandonnée par son mari le jour de son accouchement, elle finira par se prostituer pour gagner sa pitance. Chaque vendredi, Dounia participe au «Hirak», marches populaires et pacifistes. Elle se laisse porter par cette foule exaltée. «Cette ébullition incroyable et le stress généré par les bousculades dues à la compression de la foule ont mis mes nerfs à vifs. Mes nuits agitées par les slogans que je répétais dans mon lit m'ont fait disjoncter. Je manifestais dans mon lit... Cela rendait fou papa... Lui imposer la voix de la révolution sous son propre toit était au-dessus de ses forces !» Journal d'une jeune schizophrène plonge dans l'introspection humaine en évoquant un sujet tabou, la schizophrénie. Rabéa Douibi évoque également la situation des femmes dans notre société : femmes soumises, violées, répudiées mais aussi femmes libres, combatives, rebelles. Dounia est atteinte d'une maladie mentale, mais c'est une femme de tête. Elle a toujours imposé ses choix à son père, un homme qui, pourtant, est très autoritaire. Née en 1967, Rabéa Douibi est originaire de Bordj-Bou-Arréridj. Titulaire d'une licence d'enseignement de la langue française et d'une maîtrise en didactique, elle est l'auteure de plusieurs ouvrages : Comme un désert, La femme aux chevilles tatouées, Le vent de la discorde et Poésie de l'Ahaggar. Soraya Naili Journal d'une jeune schizophrène, Rabéa Douibi. éditions Anep, 2021. 173 pages.