Norvège. Trondheim, troisième ville de Norvège après Oslo et Bergen. A l'université, les étudiants viennent de tous les pays. Mazen est palestinien. Il a grandi en Algérie et obtenu un master en génie des systèmes industriels et tertiaires à l'Université des sciences et de la technologie de Bab-Ezzouar, à Alger. M'beké est originaire d'Afrique du Sud, Dimitri de Moscou, Andrew d'Ecosse, Dao du Vietnam. Déborah, la Juive polonaise. Tous ces étudiants ont décroché une bourse de doctorant à l'Université de Trondheim, dans le pays des fjords. Très vite, Mazen se lie d'amitié avec Déborah. Mazen est musulman. Déborah est de confession juive. Elle traîne derrière elle une histoire douloureuse. Jozef, son grand-père, est mort à Auschwitz, après y avoir été déporté par l'Allemagne nazie. Les deux doctorants occupent le même étage au campus de l'université. Ils partagent leurs journées ensemble. L'occasion d'échanger sur leur situation et sur le conflit palestino-israélien. «Les remous historiques se transformaient en discussions enthousiastes et pondérées à la fois. Mazen, Palestinien, connaissait Déborah, son amie juive et celle-ci savait reconnaître en son brillant compagnon le fils des exilés dans le monde, ceux qui, à l'instar de ses grands-parents, n'avaient pas encore de patrie pour eux». Au fil des mois, l'amour prend le pas sur l'amitié dans le cœur du Palestinien et de la Juive polonaise. Même à Oslo, les belligérants n'ont pas réussi à trouver une solution au conflit palestino-israélien. Les deux amoureux se trouvent des points communs. «La Palestine et Auschwitz se rapprochèrent, firent corps et commencèrent à détourner les stigmates. La paix se dessinait à coups de soulignements, de lectures à haute voix, de feuillets déchirés... Déborah et Mazen savaient que le savoir pouvait réunir, que la science était un lien sûr et que l'Histoire attendait des modérateurs comme eux. Ils s'estimaient, et des colombes blanches envahirent le ciel sombre d'Oslo.» La complicité rapproche ce couple que tout opposait au début. En dépit de leurs différences culturelles et religieuses, Mazen et Déborah parviennent à dépasser les considérations politiques et à vivre un grand amour. Tous les deux sont conscients que leurs peuples ont grandement souffert. «La Pologne et la Palestine sont des parcelles de ce monde agité... La Shoah et la Nekba sont des épisodes incontournables de notre histoire commune», dit Mazen. «Pourquoi n'y voir que la haine, la violence et la souffrance ?... Nous avouerons tout ce que nous savons et craignons de dire, tu me raconteras les souvenirs de tes grands-parents, leurs déceptions, leurs douleurs et je te narrerai les désillusions des miens, la spoliation de leurs terres... Hélas, nous finirons par comprendre que les autruches d'Oslo n'apporteront rien aux colombes de Jérusalem.» Tourner la page du passé pour avancer ensemble, en dehors des conflits et de la politique. Déborah et Mazen aspirent à vivre pleinement leur amour. Mazen dit : «Je suis un apatride forcé, un vagabond et un quêteur de confiance. Je t'ai trouvée comme un radeau, moi le navigateur sans port.» Encadré par le professeur Anton, le tandem prépare une thèse sur la théorie des contraintes. Ces travaux viennent couronner leurs quatre ans d'études. Mazen et Déborah pourront-ils construire leur vie ensemble ? Déborah est inquiète. «Qu'allons-nous devenir, Mazen ? Devrions-nous, à cause d'idéaux nationaux, taire ce qui fait le bonheur des êtres humains? Serions-nous coupables de toutes les ignominies de nos gouvernements, des ignorants au sein de nos peuples?» Mazen est conscient que sa petite amie est plus privilégiée que lui. Il partage ses réflexions avec elle : « (...) les exactions endurées par les Juifs et l'antisémitisme n'ont semé que désolation. Mais remarques-tu, Déborah, combien ton statut est préférable au mien ? Tu peux aller en Pologne fouler ton sol natal, et je ne peux me rendre sur une terre qui m'est interdite, dont on me prive et que je ne connais même pas (...) Je circule avec un passeport algérien et mon père avec celui de Jordanie. Il n'est ni juste ni acceptable de vivre occupant deux chaises à la fois.» Sous d'autres latitudes, loin des terres scandinaves, deux autres personnages surgissent dans le roman de Omar Kazi Tani. Merouane, le père de Mazen, instituteur de son état, passe de longues heures à palabrer avec Shlomo. Le Palestinien et l'Israélien cultivent une belle amitié. Tous deux vivent en Israël et militent au sein d'une association pour la paix. En dépit de toutes les tentatives de séparation, Merouane et Shlomo rêvent d'un monde plus juste. Merouane est rongé par l'inquiétude. Sa maison est sur la liste des constructions à démolir par Israël. «Dans ce grand malheur de nos deux peuples, les colonies israéliennes constituent une transgression du droit international. Tous ceux qui aspirent à la paix affirment que c'est surtout un obstacle à l'avènement de la paix, car les colonies engendrent la pauvreté et le non-respect des droits des Palestiniens dans les territoires occupés. Malheureusement, les colonies foisonnent et le nombre de colons augmente, il a franchi le cap du demi-million en vingt ans, en confisquant davantage de terres palestiniennes.» Merouane souhaite ardemment que son fils s'installe en Jordanie pour y vivre et y travailler à la fin de ses études. Mazen acceptera-t-il d'écouter la requête de son père ? Et qu'adviendra-t-il de Déborah ? Les réponses sont dans le roman. Omar Kazi Tani a consacré de longues années au service de l'éducation nationale : psychopédagogie, élaboration de manuels de lecture en langue française... Il a déjà publié plusieurs romans : La valise de la veuve, La fileuse, Le vizir. Soraya Naili Les Autruches d'Oslo. Omar Kazi Tani. éditions Khayal. 2021. 217p.