Le Premier ministre et ministre des Finances, Aïmene Benabderrahmane, a fait récemment une révélation pour le moins frappante : l'Etat a accordé 10 milliards USD entre 2018 et 2019, sous forme d'incitations et d'avantages fiscaux pour l'investissement, mais sans retour en termes de création de richesses et d'emplois. Et il a promis que le temps de la prodigieuse générosité d'un Etat prodigue et dépensier à fond la caisse est révolu ! Et, en toute logique, il a indiqué que les futurs incitations et autres avantages de tout type seraient dirigés vers les vrais porteurs de projets et vers les régions selon une éligibilité rigoureusement établie. Croisons donc les doigts et wait and see... Avant l'avènement du sage et rigoureux Aïmene Benabderrahmane, c'est le Président Abdelmadjid Tebboune, alors Premier ministre en 2017, qui s'était attaqué lui aussi à ce complexe problème. Dans le quatrième chapitre de son programme d'action, dédié à la consolidation de la sphère financière et économique, il avait prévu de transformer le régime de croissance en l'orientant vers le développement des secteurs producteurs de richesses et de valeur ajoutée, et, bien évidemment, créateurs d'emplois. Il avait notamment précisé que l'investissement ne pouvait plus être essentiellement supporté par l'argent public et pas seulement en raison de son amenuisement en temps de baisse importante des ressources tirées des hydrocarbures. Autrement dit, son gouvernement devait faire le nécessaire pour que le privé prenne toute sa part dans l'investissement national. Mais qu'accorder de plus au privé algérien, dont la majeure partie existe grâce à la manne de la commande publique et de la subvention généreuse des matières premières que ce même privé s'évertue à transformer, comme c'est le cas des produits à base de sucre ou d'oléagineux, ou encore du ciment et des mélanges bitumineux ? Des facilités bancaires ? Il en a déjà bénéficié, notamment de prêts très avantageux et que d'aucuns n'ont pas encore remboursés à l'Etat à ce jour. Des incitations fiscales ? Il en faudrait certainement encore, mais le privé algérien en a déjà assez bénéficié. Ces magnats de l'argent accumulé grâce aux vastes programmes d'investissement de l'Etat et aux prix subventionnés des matières de base doivent désormais rendre la monnaie de la pièce de l'Etat en participant plus activement au développement de la richesse nationale. Et en créant plus d'emplois et de valeur ajoutée, en investissant dans les filières industrielles et les TIC, par exemple, et autrement qu'en fabriquant du sucre, de la limonade, des jus de fruits industriels, des pâtes alimentaires ou en se contentant d'asphalter des kilomètres de routes généreusement ou complaisamment accordés par l'Etat constructeur. M. le Président Tebboune, vous aviez bien raison : il est temps que le privé algérien devienne une vraie source de création de richesses et de valeur ajoutée ; il est temps qu'il prenne toute sa part dans la réduction du piège structurel de la dépendance aux hydrocarbures. Il est plus que temps qu'il investisse dans l'emploi massif et la formation. Il est tout aussi bien grand temps qu'il entre dans des partenariats avec des étrangers qui favorisent réellement les transferts de technologie vers l'Algérie. Oui, Monsieur le Président, il faudrait que le privé national crée des groupes puissants mais pas seulement par la surface financière. Des groupes citoyens qui innovent, qui prennent des risques économiques en mettant de l'argent dans la formation et la recherche, notamment dans les filières d'excellence et d'avenir. À charge pour vous, et c'est du moins votre intention bien affichée, de l'aider à s'organiser pour qu'il devienne une source régulière de création de richesses, d'autant plus providentielle que la manne pétrolière a vocation à s'étioler. Une puissance de production à l'export aussi. Une force de contribution réelle à la réduction de la dépendance aux hydrocarbures. Un contributeur positif à la transition énergétique. Bref, un acteur patriotique, transparent et efficace participant à l'essor du bien commun. À l'image de la Chine, devenue une superpuissance mondiale grâce à ses entrepreneurs publics et privés. Le pays a plus que jamais besoin d'un privé fort, autonome, inventif, agressif à l'export, qui investit dans le pays et à l'étranger. Qui contracte des partenariats favorisant le transfert de technologie et l'accumulation des savoirs, et ce, dans des cadres respectant la souveraineté nationale là où elle doit être impérativement défendue par l'Etat. Un Etat qui doit tout faire pour l'épanouissement d'un privé vigoureux, dynamique et patriote qui sera un atout réel lorsque l'adhésion inéluctable à l'OMC provoquerait le désarmement tarifaire et ne s'accommoderait pas toujours des protections nationales. Un Etat qui serait dans son rôle national et naturel de régulateur, d'arbitre et de recours ultime souverain. Un Etat qui veillerait à ce que le privé ne cède pas à la tentation du démantèlement des digues et des protections sociales, ainsi que des acquis sociaux historiques des Algériens. Pour que ce privé soit un jour une réalité, il faudrait que ses forces agissantes ne soient pas des condottieres mais de véritables capitaines d'industrie. Des forces d'entraînement qui doivent se poser aujourd'hui les questions structurelles et structurantes suivantes : après avoir réglé le problème de l'accumulation de l'argent, que dois-je en faire désormais ? Et quel sens politique donner à son usage ? C'est en répondant intelligemment à ces deux questions que le privé algérien sera ou ne sera pas, aux côtés du secteur public performant, un moteur de développement durable du pays, débarrassé progressivement du syndrome hollandais. N. K.