A travers cet ouvrage historique, Rachid Khettab nous restitue le parcours de ce pionnier du nationalisme algérien : Mohamed Lamine Debaghine. C'est une démarche qui n'a pas été des plus aisées, comme il nous l'explique dans le préambule : «Présenter une biographie du docteur Mohamed Lamine Debaghine n'a pas été une chose aisée pour deux raisons, l'une est liée au caractère très discret du personnage qui n'a laissé que peu de traces écrites ou de confidences, l'autre relève des conditions historiques particulières dans lesquelles s'est inscrite toute son activité politique, caractérisée par le secret dû à la clandestinité et à la répression coloniale.» Rachid Khettab nous révèle que ce dirigeant n'aimait pas donner d'interview. L'homme est décrit comme taciturne et extrêmement discret. «Après l'indépendance, nombreux sont les historiens et journalistes qui ont essayé de l'approcher (...) il a toujours décliné poliment ces sollicitations, refusant de parler ou d'écrire.» Lamine Debaghine a vu le jour le 24 janvier 1917 à Alger dans une famille relativement aisée. Il fut scolarisé à l'école primaire de Cherchell puis fréquenta le lycée Duveyrier de Blida (actuellement Ibn-Rochd). «Durant sa dernière année d'études secondaires, il fera fonction de maître d'internat. Au lycée, il devancera de quelques années dans ce lieu ses jeunes condisciples musulmans : Benyoucef Benkhedda, Saâd Dahlab, M'hamed Yazid, Ramdane Abane, Ali Boumendjel.» Lamine Debaghine a ensuite suivi des études de médecine à l'université d'Alger où il décroche son doctorat. Sa carrière politique commence à 22 ans, lorsqu'il rejoint les rangs du PPA en 1939. «Sa figure d'intellectuel fera de lui un cas particulier : un intellectuel chez les plébéiens. Il jouira d'une aura particulière.» En 1943, le médecin refuse de s'engager pour la France. Il est arrêté par la police de la DST avec d'autres militants : Mezerna, Arezki Djemaâ, Hocine Lehoual, Cherchalli, Yahiaoui et Benyoucef Benkhedda. «Les insoumis de Blida» avaient appelé à ne pas servir de chair à canon pour la France durant la Seconde Guerre mondiale. Rachid Khettab nous apprend que Lamine Debaghine joua un rôle primordial dans l'élaboration du Manifeste du peuple algérien en 1943. «Selon Benkhedda, ce sont Ferhat Abbas et Lamine Debaghine, les représentants de deux formations politiques nationales algériennes, qui ont enfanté le Manifeste. Ce travail est, selon les témoignages, un effort commun entre ces deux hommes et non pas une élaboration de Ferhat Abbas seul ou l'œuvre d'une partie étrangère, comme voulait le faire croire l'administration coloniale.» Lamine Debaghine refusera de participer aux soulèvements populaires du 8 Mai 1945. Il déclinera également l'offre de prendre la tête de la révolution à la veille du 1er Novembre 1954. Quant à la marginalisation puis l'exclusion de Lamine Debaghine du MTLD, l'auteur apporte son éclairage : «Selon les rumeurs, l'exclusion de Lamine Debaghine aurait été provoquée en partie par un mécontentement de Messali à cause d'une initiative prise par Lamine Debaghine de partir en mission sans l'en avoir informé, ni lui avoir rendu compte de ses contacts au Caire.» Lamine Debaghine regagne en décembre 1949 son cabinet à Saint-Arnaud (El Eulma) pour endosser son tablier de médecin sans pour autant renoncer à la politique. Il est surveillé de très près par la police qui note ses moindre faits et gestes. Durant la guerre de libération, Lamine Debaghine a occupé des postes stratégiques : responsable de la délégation extérieure du FLN, membre du CCE et ministre des Affaires extérieurs du GPRA. «Il était l'une des têtes pensantes de la diplomatie algérienne et de la stratégie du déploiement de la voix de l'Algérie à travers le monde», écrit l'auteur. «Tout le combat du docteur Lamine Debaghine et de la frange indépendantiste du mouvement national (ENA PPA, MTLD, FLN) s'inscrit sur un arrière-plan dominé par les débats autour de deux questions, la première a trait à la diffusion du sentiment national algérien et la seconde aux moyens révolutionnaires, violents ou pacifiques, légaux ou clandestins, à mettre en œuvre pour libérer le pays de la domination coloniale et construire la nation algérienne.» Après l'indépendance, Lamine Debaghine décroche d'avec la vie politique mais continue à exercer son métier de médecin dans la ville d'El Eulma. Il décédera en 2003 à l'âge de 86 ans. Rachid Khettab est diplômé en sciences humaines. Il a publié deux dictionnaires biographiques à caractère historique. L'auteur a lancé sa propre maison d'édition qui porte son nom. Soraya Naili Docteur Mohamed Lamine Debaghine. Un intellectuel chez les plébéiens. Dar Khettab éditions. 387 p. 2021. 1500 da.