[email protected] Nous y sommes : la Ligue arabe vient de redessiner les nouvelles fronti�res de la Libye et des pays membres. Ce nouveau red�coupage exclut, bien s�r, l'espace a�rien, puisque la Ligue appelle � interdire son survol par les avions de guerre de Kadhafi. Les Am�ricains et leurs alli�s occidentaux pourront ainsi d�truire tout avion suspect, donc libyen, volant au-dessus de la zone d'exclusion. L'essentiel, c'est qu'il n'y ait pas de contact physique, comme le stipulent les th�ologiens, entre les soldats impies et la terre sacr�e arabo-musulmane. Il faut juste que les godillots des fantassins am�ricains ne souillent pas le sol libyen. Le cas des survols et les actes de guerre au-dessus d'une certaine altitude, n'ayant pas �t� formellement interdits, ils sont donc licites. Ainsi, personne ne pourra accuser la Ligue arabe de livrer une terre d'Islam � des puissances �trang�res et m�cr�antes, mais le ciel ne peut pas attendre. Vu de Washington, le feu vert des Arabes � un embargo a�rien occidental ressemble beaucoup plus � une demande pressante. Les fr�res-chefs d'�tat syndiqu�s ne veulent plus de Kadhafi, comme ils l'ont d�j� fait savoir, ils veulent juste que les formes soient respect�es. S'ils avaient eu le loisir d'oser, ils auraient m�me �mis la condition qu'aucun appareil ou pilote d'appareil ennemi ne soit autoris� � s'�craser sur le sol libyen. Ceci, au cas tr�s hypoth�tique o� les h�ro�ques aviateurs de Kadhafi auraient r�ussi � abattre un avion am�ricain ou britannique. Bien entendu, les membres de la Ligue arabe ne parlent pas tous la m�me langue, ni d'une m�me voix, ce qui ne serait pas tr�s d�mocratique. On n'imagine pas le Soudanais Omar El B�chir et le Y�m�nite Abdallah Salah, b�nissant en personne la corde destin�e � les pendre, et leurs repr�sentants ont donc fait profil bas. La note discordante, ou double croche est venue de l'Alg�rie et de la Syrie, qui ont ainsi r�anim� l'axe Damas-Alger, oppos� nagu�re aux accords de Camp David. Sauf que cette fois-ci, il s'agit purement et simplement d'un �front de la r�sistance�� au changement. Il est vrai qu'au jeu de la roulette politique, Washington semble avoir plac� des mises importantes sur les cases Bouteflika et Assad. On peut le comprendre, surtout lorsqu'il y a du p�trole et des Isra�liens en jeu. Comme il est notoire que les Am�ricains aiment bien qu'on leur r�siste, un peu, lorsqu'ils d�sirent ardemment, ou que la mari�e est trop belle(1). Cependant, aussi bien � Damas qu'� Alger, on doit se demander lequel des deux amis est le plus encombrant pour l'autre� Pendant ce temps, l'�gypte oscille entre avanc�e r�volutionnaire et tergiversations tactiques, comme le montre la situation des m�diats d'�tat. Sentinelle vigilante, Selim Azzouz, chroniqueur au quotidien londonien Al-Quds, ne cesse de d�noncer l'opportunisme et les retournements de vestes de ses confr�res. Non contents d'avoir chang� de discours, d'�tre pass�s de l'hostilit� au soutien � la r�volution, ils s'�rigent en porte-parole de cette r�volution. Notre confr�re constate que les courtisans du clan Moubarak sont toujours en place, et parmi eux les animateurs c�l�bres d'�missions comme �L'�gypte aujourd'hui�, ou �Bonjour l'�gypte�. �Ces gens sont rest�s � leurs postes, constate Selim Azzouz, et ils parlent au nom de la r�volution avec l'aplomb de ceux qui poss�dent un haut degr� d'opportunisme. Ceux qui ont fauss� l'image de notre r�volution sont encore en place et ceux qui �taient sur la place Al-Tahrir sont toujours tenus � l'�cart�. Le chroniqueur cite ainsi le cas de notre cons�ur Hala Fahmi, licenci�e de la t�l�vision pour avoir particip� aux manifestations du Caire. Elle avait accus� nomm�ment le ministre de l'Information du moment, Anas Al-Feki(2), d'avoir organis� l'assaut des Baltaguia contre les occupants de la place Al-Tahrir. Les coptes eux aussi observent avec circonspection l'�volution des �v�nements, depuis les affrontements intercommunautaires de mercredi dernier dans un quartier du Caire. L'union sacr�e scell�e entre chr�tiens et musulmans sur la place Al-Tahrir n'a pas r�sist� aux provocations et au retour de l'intol�rance. Les antagonismes risquent de revenir � la charge, au moment o� il faudra que l'�gypte se dote d'une nouvelle constitution, �labor�e par une nouvelle assembl�e �lue. Mais les amendements provisoires qui seront soumis � r�f�rendum samedi prochain n'incitent pas � l'optimisme. Si elle l�ve certains obstacles mis par l'ancien r�gime � des candidatures hors s�rail, la nouvelle constitution n'offre aucune issue aux espoirs coptes. Avec le cheikh Djamal Al-Bana, l'�crivain Sayed Al-Qimni est l'un des rares penseurs musulmans � s'insurger contre le maintien de l'article 2 de la constitution qui dispose que l'Islam est la religion de l'�tat. Il rappelle que le mouvement des Fr�res musulmans qui s'oppose aujourd'hui � l'abrogation de l'article 2 avait accept� que Sadate amende l'article 77 dans le sens d'un mandat � vie. Ceci en �change d'une �l�g�re� modification apport�e � l'article 2 : �La Charia (est) source principale de toute l�gislation� est ainsi devenu �La Charia (est) la source principale de toute l�gislation�. C'est ainsi qu'avec un simple �la�, Sadate est devenu pr�sident � vie avec la b�n�diction des Fr�res musulmans et des autorit�s religieuses. Depuis, l'�gypte est livr�e pieds et poings li�s aux tenants du hidjab et du niqab, qui ont d�form� son histoire et d�voy� son parcours, constate Al-Qimni. �Aussi, ajoute-t-il, l'insistance � maintenir cet article est un coup destructeur port� aux revendications de libert� formul�es par la r�volution et aux fondements de toute constitution. Il perp�tue les in�galit�s entre les citoyens qui perdront ainsi la notion d'appartenance � une patrie, pour se retrouver dans un rapport colonisateur-colonis�, ma�tre-esclave. Le type de rapport instaur� par les Omeyades. Un gouverneur se rendit un jour � Damas pour demander l'all�gement du fardeau des imp�ts pour les ressortissants �gyptiens pressur�s. La seule r�ponse de l'�mir fut celle-ci : �Ces gens-l� ne sont pas des ressortissants, mais seulement nos esclaves dont nous pouvons augmenter la charge, selon notre bon plaisir�. C'est, h�las, cette tendance proclamant la sup�riorit� d'une religion et de ses adeptes sur les autres qui semble se dessiner dans tout le monde arabo-musulman, apr�s l'�gypte. Selon un sondage r�cent effectu� par une universit� am�ricaine, 59% des �gyptiens se rangent derri�re les fondamentalistes dans leur combat contre la modernit�. Alors qu'ils sont 11% seulement � penser la m�me chose en Turquie. Enfin, 82% des �gyptiens sont pour la lapidation de la femme adult�re, 84% pensent que l'apostat m�rite la mort, et 77% estiment que le voleur doit avoir la main coup�e. Je vous laisse augurer du reste. A. H. (1) Juste pour conforter mon patriotisme, � tendances non suicidaires, car cela fait du bien et r�conforte de penser encore que son pays est l'objet de convoitises �trang�res, que les complots externes sont plus dangereux que les conjurations et coups bas de l'int�rieur. (2) Depuis, ce ministre est assign� � r�sidence, mais de nombreux cadres et journalistes des m�dias publics continuent comme si de rien n'�tait.