Par Sa�d Dahmani* Il ne s�agit pas, ici, de plaindre Kadhafi, son clan et son r�gime tribal ! Il ne fait aucun doute que ce monsieur est un �barbarisme� en mati�re de syst�me de gouvernance contemporaine. C�est un cheikh tribal fossile qui rappelle les chefs dans l�organisation tribale, notamment lors de l�exode hilalien du XIe si�cle qui avait d�ferl� sur la Libye, d�abord, sur le Maghreb ensuite. Le malheur de la Libye fut d��tre un boulevard. Ni les Ottomans ni les r�gimes qui leur avaient succ�d� n�avaient construit un syst�me �volu� et viable ; et encore moins le pronunciamento kadhafien qui ne fut qu�une suite de catastrophes et pour les Libyens et pour leurs voisins, et m�me pour ses propres enfants. Le pays semble s��tre fig� dans les XI/XIIe si�cles. Il est temps que cela change ; le peuple libyen m�rite de rejoindre les autres nations maghr�bines dans l�acc�s � la contemporan�it�. Cela pos�, que faut-il voir dans ce qui se passe ? D�abord les faits tels qu�ils semblent appara�tre. Un mouvement d�opposition �clate, notamment dans la moiti� est du pays, ayant pour but de recouvrer la souverainet� du peuple libyen en le soustrayant � presqu�environ un demi-si�cle de dictature tribalo-f�odale. Ce n�est pas la premi�re fois que le peuple libyen combat pour sa libert� et sa souverainet� : il les avait pay�es tr�s cher contre le colonialisme fasciste italien ! Et m�me contre la pr�sence anglo-fran�aise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Kadhafi r�agit et couronne son d�dain pour le peuple libyen en le mena�ant de r�pression et de sang. Une guerre, entre Libyens, s�enclenche. Mais un troisi�me acteur, �tranger, intervient : une coalition constitu�e des anciennes puissances coloniales europ�ennes (celles-l� m�mes de la Seconde Guerre mondiale !), de leur bras arm� l�Otan, du parrain �tasunien, avec la �b�n�diction� du �machin� onusien. Laissons de c�t� la ligue, dite arabe, s�nile. Le conflit, car c�en est un, se d�roule dans une portion de l�Afrique m�diterran�enne, qui a pour arri�re-pays les trois quarts m�ridionaux de l�Alg�rie et l�ensemble des pays sah�liens. Cet espace est strat�gique : portail m�diterran�en du continent africain, mati�res premi�res strat�giques diverses dont les �nergies fossiles, mais aussi �nergie solaire, produits naturels (le cacao par exemple, essentiel pour les chocolats ! pour ne citer que celui-l�)� Toujours dans les faits : le peuple libyen entreprend une action de salut public. C�est son droit et c�est son affaire souveraine stricte. Etant donn� l�accumulation des rat�s et des retards dans l��dification de son pays, et �tant donn� la nature et le caract�re de son adversaire, le peuple libyen aura beaucoup de difficult�s, et aura besoin de beaucoup de temps pour arriver � bout de cet adversaire devenu l�ennemi des siens. Mais se met en branle l�aide, en apparence, � l�opposition libyenne. Or cette �aide� devient le pr�texte � sauvegarder la mainmise coloniale sur le continent africain. La premi�re �tape de cette mainmise s�est d�roul�e, par le pourrissement, puis une rapide intervention polici�re en C�te d�Ivoire. L��gypte ne pose pas de probl�me ; gr�ce � l�arm�e, le ra�s est sacrifi� pour avoir les mains libres ; un protectorat peut s�instaurer � tout moment (il suffit d�actualiser le sc�nario du XIXe si�cle !) ; et puis le puissant voisin � l�est veille au grain. Reste donc cet immense portail que constitue la fa�ade m�diterran�enne de la Libye. Celle-ci fut momentan�ment interdite vers 1957- 1958, quand le roi de Libye, Idris Al Sanoussi, avait refus� de permettre l��tablissement d�un terminal pour l��vacuation du p�trole alg�rien d�Edjel� par la c�te tripolitaine, alors que d�autres �fr�res maghr�bins� avaient accept� �al khubz al masm�m� (le pain empoisonn�)(*) de son �vacuation par le port de la Skhira et n�avaient pas pes� les choses �au-del� du pain quotidien�(*). C��tait alors la guerre pour l�ind�pendance livr�e par le peuple alg�rien. Une guerre o� l�enjeu n��tait pas uniquement de lib�rer l�Alg�rie, mais �galement de participer � l��mancipation des peuples de cet espace saharo-sah�lien africain. Les ind�pendances acquises de haute lutte, ou octroy�es, c�est selon, la premi�re g�n�ration de dirigeants forg�e dans la lutte avait �uvr� pour donner corps � la lib�ration et la consolider. Ces dirigeants avaient cru alors qu�ils avaient r�ussi l�ind�pendance. Mais en disparaissant, ils n�avaient pas laiss� une rel�ve � la hauteur. Celle-ci, dans la plupart des cas, avait agi comme Pyrrhus, ou bien plong� dans �les d�lices de Capoue�. Or les puissances d�Europe et d�Am�rique n�ont jamais cess� de penser en colonisateurs et de cultiver la philosophie coloniale �labor�e et appliqu�e au XIXe si�cle. D�abord en conservant les partages, entre eux, des �chasses gard�es� �labor�es depuis le d�but du XXe si�cle, en veillant � s�en assurer la mainmise sur les richesses avec une nouveaut� : le parrainage �tasunien. Et pour donner � leurs actions un masque de l�galit�, ils font syst�matiquement participer l�ONU dans la mise en place du colonialisme-nouveau (l�affaire de l�Irak en est l�inauguration, suivie de l�Afghanistan). Car, � aucun moment depuis les ann�es 1960, les puissances coloniales n�ont rel�ch� leur vigilance et leurs vell�it�s de r�cup�ration des anciennes possessions sous une forme ou une autre. Et voil� que le conflit inter-libyen offre cette occasion que les situations strat�giques de la Tunisie et de l��gypte n�offraient pas. Le pr�texte de �l�aide � s�offre sans peine. L�Europe et son parrain �tasunien s�engouffrent dans la br�che. Ils confient d�abord la t�che de pr�paration psychologique et morale de l�opinion arabe, et de victimisation d�un des protagonistes, aux harkis du Golfe, via leurs cha�nes d�information. Politiquement, la Ligue �arabe�, fille naturelle des officines du Foreign Office, sous la houlette d�un pr�tendant � la succession en Egypte, est actionn�e pour donner la b�n�diction politicomorale �arabe�. Reste l�aspect �juridique�. Le �machin� onusien est appel� � donner � l�agression coloniale la justification ultime. C�est la r�solution sur les zones d�exclusion a�rienne ! Th�oriquement, la seule intervention ne peut concerner que l�interdiction du ciel aux a�ronefs militaires libyens. Le reste, en dehors de secours humanitaires d�ment contr�l�s, est du ressort des opposants libyens. En r�alit�, les parachutages des commandos britanniques, fran�ais, italiens, marines, secrets ou non, pr�parent le pays � la partition, en deux ou probablement en plusieurs entit�s. En effet, le colonialisme euro-�tasunien se pr�pare � aggraver les tensions tribales libyennes que Kadhafi, non seulement n�a pas tenu � r�sorber, mais qu�il a volontairement exacerb�es ; m�me la zone touar�gue est menac�e et de l� tout le c�ur continental de l�Afrique. Malheureusement, ce colonialisme �be-born� trouve des supports. D�abord � l�int�rieur de la Libye. Ce sont aussi bien le pouvoir kadhafien que le rapport des opposants avec ce colonialisme-nouveau, qui finira par balayer les premiers et inf�oder les seconds. Les assassinats par dr�nes, et les reconnaissances trompeuses des opposants le d�montrent. Ensuite, les politiques post-ind�pendances de l�Afrique et des pays arabes dont leurs deux organisations r�gionales, notamment, ont compl�tement failli dans la promotion de l��volution de la gouvernance dans nos pays. Un si�cle apr�s les r�veils du mouvement d��mancipation dans nos pays, nous sommes confront�s, de nouveau, � la politique de la canonni�re, des mandats et autres protectorats. (*) Titres des �ditoriaux de l�organe du FLN, El Moudjahid, lors de la signature de l�accord autorisant l��vacuation du p�trole d�Edjel� par le port de la Skhira.