Pour analyser les r�cents d�veloppements intervenus sur la sc�ne nationale, nous avons sollicit� le concours de notre ami Mohamed Chafik Mesbah qui a bien voulu r�pondre � nos questions � travers l�entretien que nous publions. Voici la premi�re partie de cet entretien. Le Soir d�Alg�rie : La conjoncture politique nationale conna�t des �volutions importantes qui nous renvoient, cependant, � des interrogations qui se rapportent aux origines de la crise politique que traverse, encore, le pays. Commen�ons par l�arriv�e au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika. En 1999, l�actuel pr�sident de la R�publique avait acc�d� au pouvoir gr�ce � l�appui d�terminant du Commandement militaire. Depuis lors, s�est-il affranchi de cette tutelle ? Mohamed Chafik Mesbah : Sur le plan formel, comme sur le plan pratique, le pr�sident Bouteflika s�est, incontestablement, affranchi de cette tutelle. La d�mission de l�ancien chef d��tat-major de l�ANP, le g�n�ral Mohamed Lamari, a constitu� un v�ritable tournant dans les rapports de M. Bouteflika avec l�institution militaire. Le g�n�ral Mohamed Lamari, avec sa personnalit� exultante, �tait le seul officier capable de s�opposer frontalement au chef de l�Etat. Ce d�part qui a sonn� le glas de ce que nous pourrions appeler �le commandement politique� a ouvert, aussi, la voie aux jeunes officiers qui ont pu acc�der aux postes de commande dans les unit�s de feu et des services. Ces jeunes officiers dot�s d�une solide formation militaire et technique sont ferm�s, aussi bien, aux sir�nes de la politique. En r�sum�, l�autorit� du pr�sident de la R�publique sur la hi�rarchie militaire ne souffre pas de contestation. Les propos rapport�s par WikiLeaks sur la question ne sont pas erron�s. L�institution militaire a subi des �volutions substantielles depuis l�accession au pouvoir du pr�sident Bouteflika. Quel bilan dressez-vous de ces �volutions ? Redoutable tacticien, le pr�sident Bouteflika, sit�t parvenu au pouvoir, a vite fait de comprendre qu�il �tait urgent de se d�faire d�un commandement militaire qui manifestait une trop forte propension � interf�rer dans le champ politique. Ce choix lui semblait d�autant plus n�cessaire qu�il ne lui fallait pas rester tributaire d�une hi�rarchie � qui il devait son intronisation. M. Bouteflika a agi, intelligemment, en trois �tapes successives. Premi�re �tape, de mani�re pacifique et presque consensuelle, il a pouss� vers la sortie les chefs militaires qui pouvaient le plus porter ombrage � son pouvoir, il s�agit des chefs appel�s commun�ment �janvi�ristes� par r�f�rence � l�interruption du processus �lectoral en janvier 1992. Deuxi�me �tape, il a plac� les chefs militaires rest�s en activit� dans une position de rivalit� potentielle au sommet de la hi�rarchie, les contraignant, en permanence, � livrer des combats �puisants et sans fin o� ils se neutralisent mutuellement. Troisi�me �tape, il a favoris� l��mergence aux postes de commandement les plus sensibles de jeunes officiers comp�tents et ne tra�nant pas d�ant�c�dents professionnels ou moraux f�cheux. Le bilan peut �tre jug� positif, sauf que l�indispensable clarification de la doctrine de d�fense, notamment, en mati�re de d�finition des rapports de l�arm�e � la soci�t� et de d�termination des menaces �trang�res, n�a pas suivi. Pourquoi le DRS a-t-il �t� soumis � une politique diff�rente ? Le pr�sident Bouteflika, d�j� m�fiant par instinct vis-�-vis de l�institution militaire, l�a �t� encore plus par rapport aux services de renseignement. Pourquoi, alors, n�a-t-il pas agi semblablement pour �le corps de bataille� et les services de renseignement ? Premi�rement, c�est, vraisemblablement, son �tat de sant� qui l�a conduit � r�viser l�ordre de priorit�s dans sa d�marche. La r�organisation des services de renseignement, �tant donn� les menaces pressantes apparues contre le r�gime, ne pouvait plus constituer une urgence. Deuxi�mement, le pr�sident Bouteflika, ne disposant ni de v�ritables relais politiques pour s�adresser � la population ni d�appareils de coercition efficaces pour les substituer au DRS a d� estimer pr�f�rable, selon toute �ventualit�, de conserver en l��tat les services de renseignement pour s�en servir comme arme de dissuasion. Troisi�mement, enfin, le pr�sident Bouteflika pourrait avoir consid�r� que le DRS, confront� � des difficult�s d�adaptation dans un environnement de plus en plus hostile, finirait par perdre, de lui-m�me, de son influence. N�oublions pas, �galement, que le pr�sident Bouteflika s�est assur� d�un certain r�pit en d�couplant, depuis l��lection pr�sidentielle de 2004, �tat-major de l�ANP et services de renseignement. L��tat-major devenait, en effet, aveugle face � la soci�t� politique tandis que le DRS ne pouvait plus disposer du socle de l��tat-major sur lequel il avait pour habitude de s�appuyer. Nonobstant toutes ces consid�rations, M. Bouteflika doit garder pr�sent � l�esprit, n�anmoins, l�ambition symbolique qui lui est pr�t�e de vouloir laisser pour l�histoire l�image du chef de l�Etat qui aura normalis� toutes les institutions du pays, y compris le DRS. Quelle influence exerce le DRS sur la prise de d�cision strat�gique en Alg�rie ? S�agit-il, comme il se dit, d�un p�le concurrent au cercle pr�sidentiel ? Dans le contexte politique et institutionnel actuel, il n�existe aucun contre-pouvoir r�el � celui du chef de l�Etat. Au plan formel, le pr�sident de la R�publique, aux termes de la Constitution, dispose d�un pouvoir sans limites. Le processus de prise de d�cision conna�t, cependant, sur le plan pratique, de s�rieuses d�faillances aggrav�es, � pr�sent, par l�indisponibilit� chronique de M. Bouteflika. Il en r�sulte un fonctionnement atrophi� du gouvernement et de l�administration. Le DRS, la force de pesanteur jouant, conserve, certes, une certaine efficacit� qui lui permet d�exercer une influence relative sur le cours des choses. Pas au point, toutefois, d�engager une d�marche d�obstruction � la volont� du chef de l�Etat. Le DRS ne dispose pas, faut-il le souligner, d�un projet alternatif � celui du pr�sident de la R�publique. Il existe bien au sein des services de renseignement, chez de nombreux cadres du DRS, des r�miniscences du pass�, une r�serve de culture patriotique vivace qui les pousse � nourrir du ressentiment face aux scandales de grande corruption ou � cultiver un attachement visc�ral � la cause du peuple sahraoui. Cela ne constitue pas la matrice d�un projet alternatif � celui du pr�sident de la R�publique. Comment expliquez-vous que le DRS, service secret militaire, se soit substitu� � la police et au juge d�instruction dans les enqu�tes sur la corruption au sein de Sonatrach ? Il ne faut pas se voiler la face. Le DRS est l�h�ritier des services de renseignement de la p�riode du parti unique, lesquels disposaient d�une expertise �prouv�e dans les investigations complexes � propos de ce qui �tait connu sous le libell� de �crimes �conomiques�. Il est certain que le DRS a, toujours, accumul� la documentation relative aux graves anomalies de gestion. Cette mission de pr�vention des atteintes � l��conomie nationale ressortit des attributions confi�es, officiellement, au DRS et n�a jamais �t� absente du plan de charges des services de renseignement. C�est, d�ailleurs, l�exploitation des donn�es recueillies par ces services de renseignement qui a grandement facilit� les enqu�tes op�rationnelles qui ont �t� men�es. Des enqu�tes qui ne pouvaient �tre confi�es � la police, mal outill�e pour ces lourdes infractions sur lesquelles, de surcro�t, p�sent, parfois, des pr�somptions d�intelligence avec l��tranger. D�s sa saisine, le juge d�instruction, jusqu�� preuve du contraire, a contr�l� les proc�dures engag�es. C�est ailleurs que se situe le probl�me. La question pertinente consiste � s�interroger, en effet, sur l��tendue de la marge de man�uvre dont a dispos� le DRS � propos d�enqu�tes d�clench�es avec l�aval du chef de l�Etat, si ce n�est sur son initiative. A pr�sent, c�est la justice qui est en charge de ces enqu�tes. A voir le niveau subalterne des responsables mis en cause ainsi que les suites judiciaires r�serv�es, il est permis de supposer que la v�ritable lutte contre la corruption ce n�est pas demain la veille. En perspective de cette transition d�mocratique que vous consid�rez comme une issue fatale, quel avenir en Alg�rie, pour le DRS, en termes de missions, de structures et de cadres ? Le leitmotiv d�une �ventuelle r�organisation des services de renseignement pourrait �tre le suivant : �prot�ger la soci�t�, non pas la contr�ler�. Trois axes de d�ploiement peuvent �tre envisag�s. Premi�rement, au plan de la doctrine, il s�agira de consacrer la subordination des services de renseignement aux instances politiques. Un plan national de renseignement doit �tre �labor� par le gouvernement et soumis, dans son ex�cution, au contr�le du Parlement. Deuxi�mement, au plan organique, il s�agira d�adopter une configuration qui pr�vienne l�exercice monopolistique de la fonction de renseignement. Cette fonction doit �tre r�partie entre diff�rentes structures sp�cialis�es, plac�es elles-m�mes sous des tutelles distinctes. Naturellement, sans pr�juger de la coordination fonctionnelle � instaurer entre ces diff�rentes structures. Troisi�mement, au plan humain, il s�agira d�ouvrir, r�solument, les portes des services de renseignement � l��lite parmi l��lite du pays pour remplacer une composante humaine, en partie d�ficiente. Apr�s quoi, il faudra maintenir, sans d�semparer, le cap dans cette direction. Cette r�organisation pourra-t-elle se d�rouler, pacifiquement, dans un climat de s�r�nit� appropri�? Ce sera l�un des d�fis majeurs de la transition d�mocratique � venir. Enfin ! c�est l� une vision idyllique des choses que vous envisagez. Que faites-vous du contexte et de l�environnement hostiles au DRS ? Oubliez-vous que l�opinion publique, � tort ou � raison, consid�re que les services de renseignement sont la source de tous les blocages en Alg�rie ? Ne pensez-vous pas que le chef du DRS constituera, fatalement, une victime expiatoire lorsqu�il s�agira de passer d�une phase � l�autre dans le processus qui se dessine ? Sans doute, en effet, faudra-t-il beaucoup de conviction, de t�nacit� et d�intelligence � ceux qui seront en charge de cette �uvre historique. Il existe, comme vous le soulignez, un contexte et un environnement, au plan national comme international, plut�t d�favorable au DRS. L�environnement international, tout d�abord. Les puissances �trang�res, concern�es par l��tat des lieux en Alg�rie, appr�cient que les services de renseignement soient un facteur de stabilisation de la situation interne, en termes de s�curit�. Ils pr�f�reraient, cependant, qu�ils ne soient pas agissants contre leurs int�r�ts essentiels dans le pays. Il existe, �galement, au plan national, une sourde hostilit� contre le DRS de la part de ce qu�il est convenu d�appeler �le cercle pr�sidentiel� constitu� de responsables apparents mais aussi d�une pl�thore d�hommes d�affaires et de sp�culateurs �voluant autour desdits responsables mais dans l�opacit�. Les services de renseignement, notamment depuis l��clatement des affaires de grande corruption, sont consid�r�s par ces hommes d�affaires comme des obstacles � l�accaparement vorace des richesses nationales, des emp�cheurs de �tourner en rond�. Sur un registre presque analogue, tout ce qui s�apparente � l�opposition tire � boulets rouges sur le DRS, assimil� comme vous le dites � une source absolue de blocage. Il existe, enfin, au sein de l�opinion publique nationale un ressentiment, plus ou moins objectif, vis-�-vis des services de renseignement, h�rit� des d�cennies �coul�es. Bien que l�influence pr�t�e aux services de renseignement paraisse exag�r�e, il serait ridicule de nier ce contexte et cet environnement hostiles. A d�faut de recourir � la d�marche consensuelle, pr�c�demment d�crite, pour engager le processus de r�organisation des services de renseignement, faut-il se r�soudre � d�capiter ces services et � pr�senter � l��chafaud leurs cadres ? Cette vision nihiliste de la r�forme des services de renseignement est parfaitement infantile. La lucidit� et la raison devraient pr�valoir aupr�s des responsables futurs de l�Alg�rie lesquels devraient s�assurer des voies et moyens � m�me de garantir l�aboutissement, en parfaite condition, du processus d�mocratique engag�. Aucune nation, aucun Etat ne peut se passer de services de renseignement adapt�s, cependant, au contexte institutionnel de l��poque. Bien des fantasmes se nourrissent des exploits pr�t�s aux services de renseignement alg�riens. C�est ainsi que l�ancien ambassadeur fran�ais � Dakar, l��crivain Jean-Christopher Rufin, affirme, dans son dernier roman Katia, que le DRS est le service de renseignement le plus performant en Afrique du Nord. Faut-il le croire ? Pourquoi le plus performant au niveau de l�Afrique du Nord seulement ? Il fut un temps o� les services de renseignement alg�riens �taient craints pour leur efficacit� partout � travers le monde. Par rapport � leur capacit� � contenir les activit�s d�intelligence �trang�re dans le pays et par leur efficience dans l�appui apport� aux mouvements de lib�ration en Afrique et de r�sistance d�mocratique en Am�rique latine. Sans doute le DRS a-t-il subi le contre-coup de la lutte contre le terrorisme au profit de laquelle il a mobilis� toutes ses ressources. Un potentiel r�siduel subsiste, cependant, qu�il suffit de canaliser vers les missions li�es aux imp�ratifs stricts de s�curit� nationale, en le dotant de moyens logistiques et techniques ad�quats. La conduite de l�arm�e alg�rienne en cas de d�clenchement d�un soul�vement populaire devenu incontr�lable nourrit toutes les supputations. Quelle est l�hypoth�se qui vous para�t la plus probable ? La r�ponse exige, sans doute, que soit d�taill�, encore plus, le profil des jeunes officiers qui a �t� �voqu� pr�c�demment. Issus des �coles de cadets de la R�volution ou des universit�s, ces nouveaux chefs militaires sont habit�s, en effet, par une conviction patriotique qui les pr�dispose � venir au secours d�une Alg�rie en p�ril. Face � une situation de chaos potentiel, l�arm�e alg�rienne adopterait un comportement semblable � celui des forces arm�es �gyptiennes. Ce comportement pourrait m�me pencher encore plus vers les attentes populaires. Est-ce � dire, a contrario, que la toute puissance pr�t�e au DRS constituerait, en pareil cas, un obstacle � la volont� populaire ? Vous pouvez me citer un pr�c�dent historique o� un appareil de renseignement, aussi puissant soit-il, a pu faire obstacle � la marche imp�tueuse d�un peuple d�termin� et guid� par des leaders charismatiques, convaincus et r�solus ? La Savak en Iran, la Pide au Portugal ou la Stasi en Allemagne ? Vous savez ce qu�il en est advenu ! Regardez seulement ces jeunes �tudiants qui, tout derni�rement encore, ont pu d�border le service d�ordre mis en place � Alger jusqu�� faire basculer � momentan�ment, il est vrai � le rapport de forces. Les services de renseignement tout puissants et capables de faire �chec � par l�infiltration ou l�affrontement, peu importe � � un v�ritable soul�vement populaire ? C�est de l�histoire ancienne ! Il ne s�agit pas de disculper ces services de renseignement de leur part de responsabilit� dans l��tat des lieux d�crit dans cet entretien. Il ne s�agit pas de �sanctuariser� ces services et de les glorifier de mani�re b�ate. Quoi qu�en pensent les esprits simplistes, nous ne sommes pas, en pr�sence d�une soci�t� �infantilis�e�, nous sommes en pr�sence d�une soci�t� d�sorganis�e qui souffre d�un manque patent de leadership. Pour l�heure, hisser � tout bout de champ l��pouvantail du DRS, c�est un proc�d� sp�cieux du cercle pr�sidentiel qui cherche � d�gager sa responsabilit� dans la paralysie qui frappe le pays. Un pr�texte commode chez certains leaders de l�opposition soucieux de justifier leur r�signation symbolique � une situation de fait. Mais il est permis de s�interroger, ayant � l�esprit l�exemple de Youri Andropov qui, � la t�te du KGB puis du PCUS, avait tent� de tout faire pour �viter le naufrage de la Russie et la disqualification irr�m�diable de l�appareil sovi�tique de s�curit� et de renseignement, il est permis de s�interroger, en effet, si les services de renseignement en Alg�rie, leur chef en t�te, seront capables de devancer le cours de l�histoire ? C�est l�ANP, corps de bataille, qui, paradoxalement, pourrait �tre plus r�ceptive au souffle puissant de l�histoire. Votre analyse laisse presque sugg�rer que ce n�est pas sur la puissance du DRS et la force de l�arm�e que repose le pouvoir du pr�sident Bouteflika ? La r�ponse devrait �tre nuanc�e. Sans doute, le DRS procure un appui au pr�sident Bouteflika dans l�exercice de son pouvoir. Nul doute que l�ANP, corps de bataille, ne constitue pas une source de contestation du pouvoir du pr�sident Bouteflika. Mais il faut convenir, lucidement, que la r�signation des �lites nationales, politiques et intellectuelles suivie de la normalisation de presque la totalit� des formations politiques sont pour beaucoup dans la cons�cration du pouvoir du pr�sident Bouteflika. La difficult� pour ces �lites d��tablir un contact r�el et permanent avec la soci�t� r�elle devrait les interpeller s�rieusement. Comment, en effet, ne pas �tre frapp� par ce foss� qui s�pare la soci�t� r�elle des leaders traditionnels de l�opposition ? Pourquoi les retomb�es en termes de mobilisation et d�organisation de la population restent aussi limit�es, malgr� ce potentiel de contestation ind�niable qui agite la soci�t� alg�rienne ? Rien ne sert, � cet �gard, de rejeter la faute sur un p�le de pouvoir quel qu�il soit. L�histoire nous enseigne, depuis la nuit des temps, qu�il n�existe pas de vrai antidote � la volont� d�un peuple d�termin�. A propos de r�le et de statut de l�arm�e, cela ne vous semble pas paradoxal que cette institution soit interpell�e par M. Ali Yahia Abdennour, pr�sident d�honneur de la Ligue alg�rienne des droits de l�homme, qui lui demande de destituer le pr�sident Bouteflika ? Il ne faut pas prendre au mot ma�tre Ali Yahia Abdennour, homme des plus respectables s�il en f�t. C�est sur le mode symbolique qu�il faut d�crypter son message : �Vous, militaires, qui avez intronis� M. Bouteflika, aidez-nous � le faire partir.� Dans le cadre bien entendu de la Constitution. Au demeurant, ma�tre Ali Yahia Abdennour, parfaitement avis�, ne peut ignorer que ce qui est en cause c�est le syst�me lui-m�me. A quoi bon le d�part de M. Bouteflika si le syst�me doit perdurer ? Entout �tat de cause, l�hypoth�se d�une initiative de l�arm�e sous la forme imagin�e par ma�tre Ali Yahia Abdennour a peu de chances de se v�rifier. En premier lieu, � l�exception notable du chef du DRS, les chefs militaires qui ont intronis� le pr�sident Bouteflika ne sont plus en activit�. Ils ne peuvent plus agir sur la cha�ne de commandement militaire. En deuxi�me lieu, les jeunes officiers qui, d�sormais, d�tiennent les leviers de commande ne sont plus dans une logique d�interf�rence dans la sph�re politique. De surcro�t, il n�existe pas, parmi eux, de figure charismatique capable d�audace et susceptible d�exercer un effet d�entra�nement sur l�ensemble de la chaine de commandement. Le seul cas de figure qui pourrait se pr�senter c�est bien donc le sc�nario �gyptien o� l�arm�e, sans prendre ellem�me l�initiative, viendrait appuyer un soul�vement populaire devenu non ma�trisable. C�est tant mieux ainsi, il faut, autant que possible, tenir l�arm�e loin des d�mons de la politique. A propos de p�les de pouvoir, l�ancien ambassadeur am�ricain � Alger, Robert Ford, estimait impossible de d�terminer qui d�tient, r�ellement, le pouvoir en Alg�rie ? L�ambassadeur Robert Ford �tait bien avis� lorsqu�il envisageait cette probl�matique. En fait, il existe, en Alg�rie, deux r�alit�s juxtapos�es. Une r�alit� formelle, tout d�abord. A se r�f�rer � la Constitution, � examiner l�organisation th�orique des pouvoirs en Alg�rie, le r�gime est hyper pr�sidentiel avec prime au chef de l�Etat dispens�, pour ses d�cisions, de l�aval pr�alable du Parlement. Une r�alit� pratique, ensuite. L�indisponibilit� chronique du pr�sident de la R�publique aidant, il n�existe plus de centre de d�cision centralis� en Alg�rie. Le Premier ministre, par exemple, dispose d�un pouvoir virtuel, seulement virtuel, sur les membres du gouvernement. Le pr�sident de la R�publique, seul d�positaire du vrai pouvoir, ne l�exerce pas, pour autant. Il en r�sulte un effritement du pouvoir avec impact pr�judiciable sur la coh�rence et l�efficacit� de la d�marche strat�gique de l�Etat. La stabilit� politique et institutionnelle de l�Alg�rie peut-elle �tre, aujourd�hui, menac�e par un mouvement islamiste d�extraction populaire ? Le mouvement islamiste, dans sa forme pl�b�ienne radicale, � l�image de ce que fut le FIS, a v�cu. C�est une nouvelle direction que ce mouvement a prise, d�sormais, s�appuyant sur la pr�dication et pr�nant l��loignement par rapport aux attraits mat�riels, jug�s condamnables, de la vie moderne. La conqu�te du pouvoir politique n�est plus un objectif prioritaire, c�est la conqu�te des esprits qui est au c�ur du combat que m�nent ces nouveaux islamistes. A court terme, il n�existe pas de menace majeure sur la stabilit� politique et institutionnelle du pays. Encore que dans le cas d�une �lection libre et transparente, la victoire de ce mouvement islamiste s�il venait � �tre structur� � il ne s�agit gu�re ici de Hamas � pourrait provoquer la surprise. A moyen et long termes, si, en termes de mauvaise gouvernance, de pr�carit� et d�injustice, le statu quo persiste, ce mouvement finira par cueillir, comme un fruit m�r, un pouvoir qui tombera, fatalement, dans son escarcelle. Dans l�une de vos r�centes interventions dans la presse, vous avez �voqu� l�hypoth�se selon laquelle le pr�sident Bouteflika, pour s�assurer de garanties apr�s son d�part, pourrait frayer la voie au pouvoir � un tel mouvement islamiste. Si le suffrage populaire en d�cidait ainsi, faudra-t-il, de nouveau, d�juger le choix du peuple alg�rien ? Absolument pas, les th�ses ��radicatrices� appartiennent � un pass� r�volu. L�exclusion politique n�est plus de mise en Alg�rie comme partout ailleurs dans le monde arabe. Pour mieux �tayer la r�ponse dans le cas pr�sent, �largissons, cependant, le champ de la r�flexion. Supposons que, d�sormais, la pr�occupation du chef de l�Etat porte, d�une part, sur le besoin de disposer d�un r�pit pour pr�parer une sortie qui lui soit la plus favorable et, d�autre part, sur l�imp�ratif de n�gocier les conditions d�un d�part qui ne lui soient pas pr�judiciables dans l�avenir, pour lui et pour sa famille. Revenons plus en d�tail sur les hypoth�ses qui peuvent se pr�senter dans ce contexte ferm�. Deux cas de figure au total. D�une part, les p�les de pouvoir qui se chevauchent, actuellement, � l�int�rieur du syst�me pourraient �tre tent�s de privil�gier la cr�ation d�un poste de vice-pr�sident de la R�publique � la faveur de la prochaine r�vision constitutionnelle pour adouber un successeur au pr�sident Bouteflika coopt� � l�avance. C�est, �videmment, compter sans l��tat d�exasp�ration de la population laquelle devrait r�agir violemment. Ne nous attardons pas trop sur l�effet contre-productif, puisque ce n�est pas la perspicacit� politique, de toute mani�re, qui domine en ces sph�res. D�autre part, le pr�sident Bouteflika pourrait �tre tent� par la conclusion d�un �deal� avec un nouveau parti islamiste populaire qui serait cr�� � la faveur de la r�vision de la loi sur les partis. Ce deal comporterait l�octroi de garanties, apr�s son d�part, au pr�sident Bouteflika ainsi qu�� sa famille. En contrepartie de quoi, le pr�sident Bouteflika s�engagerait � mettre en place un cadre juridique et organisationnel qui permettrait � ce nouveau parti islamiste d�acc�der, l�galement, au pouvoir. Comme une politique d��radication comparable � l�exp�rience pass�e en Alg�rie � faut-il le souligner � nouveau � est inconcevable, c�est dans la perspective de la dur�e que ce parti islamiste pourra acc�der au pouvoir. Pour le reste, il ne s�agit d��tre ni pour ni contre cette perspective, c�est au titre de la r�flexion que le cas de figure est �voqu�. Vous �tes, personnellement, oppos� � cette �ventualit� ? Quelle importance s�il s�agit d�un point de vue �mis � titre personnel ? Sur le plan du principe, qui pourrait, sans craindre le ridicule, contester un choix populaire, librement exprim� ? Un �lecteur islamiste est un �lecteur alg�rien, l��quation est aussi banale. Observez ce qui se passe dans le monde arabe avec cette attention focalis�e sur le mod�le turc, n�y trouvez-vous pas mati�re � illustrer l�incongruit� de toute forme d�exclusion de l�islam, cette dimension identitaire essentielle des soci�t�s musulmanes ? C�est, donc, sur le plan op�ratoire que l��quation m�rite un examen plus attentif. L�id�al, aurait �t�, en effet, qu�une telle �ventualit� intervienne apr�s la conclusion d�un pacte politique qui garantisse la p�rennit� du syst�me d�mocratique. Nonobstant l�exp�rience sp�cifique de l�Alg�rie, il aurait �t� utile, sans doute, de tirer les enseignements des situations similaires v�cues � travers le monde. Depuis que l�Alg�rie � cela fait vingt ans, sinon plus � est confront�e � la crise, n�aurait-il pas �t� plus judicieux d�envisager des garanties pour que le fonctionnement d�mocratique des institutions, gr�ce � un �quilibre appropri� des pouvoirs, ne puisse jamais �tre entrav� ? Bien s�r que l��mergence d�un mouvement islamiste comparable � l�AKP turc aurait �t� la plus favorable des issues pour l�Alg�rie. Bien s�r qu�une soci�t� civile organis�e, disciplin�e et imbue de patriotisme, � l�instar de ce qui est v�rifiable pour la soci�t� civile en Turquie aurait �t� une progression salutaire en Alg�rie. Bien s�r que l��volution de l�arm�e vers un statut professionnel irr�versible avec mobilit� r�guli�re aux postes sup�rieurs de commandement et un retrait plus marqu� par rapport au champ politique aurait �t� un d�nouement heureux pour l�Alg�rie. Bref, comme la politique n�est pas affaire de sentiments, il eut fallu que de v�ritables et puissants leviers soient mis en place pour �viter que l�acc�s d�un parti islamiste ne conduise � l�instauration d�un Etat th�ocratique reniant les fondements du syst�me d�mocratique. O� sont ces institutions et ces hommes capables d�assurer le fonctionnement harmonieux du pays en pareil contexte ? Il eut fallu trouver chez les gouvernants actuels ou pass�s de l�Alg�rie, les doses n�cessaires d�intelligence, de conviction et de courage qui, au demeurant, d�terminent le destin des hommes d�Etat ? Entretien r�alis� par H. M.