Par Ma�mar FARAH [email protected] J�ai connu les salles d�audience du tribunal d�Alger � une �poque o� les avocats faisaient de vraies et grandes plaidoiries et l�on venait de partout pour les �couter. L��loquence �tait un art qui trouvait toute sa splendeur dans le pr�toire o� les d�fenseurs avaient des airs de grands acteurs arpentant les planches sous les sunlights et les applaudissements. Lorsque l�un d�eux prenait la parole, un silence religieux s�installait dans la salle. On �coutait ce qu�il disait avec d�lectation mais on suivait aussi ses gestes augustes magnifi�s par ces robes noires brillantes que chaque �tudiant en droit r�vait de porter. En p�n�trant dans le vaste hall du tribunal, j�ai cru entendre Ma�tre Bouzida improviser quelques tournures �l�gantes dont il avait le secret et qui laissaient �bahie l�assistance. Une fois, alors que je couvrais un proc�s retentissant dans les ann�es 1970, le ma�tre, achevant une longue plaidoirie, semblait chercher une conclusion convaincante quand, d�une vitre cass�e de ces lucarnes perch�es tr�s haut, une colombe s�engouffra dans la salle et tournoya longuement, � la recherche d�une sortie. Sans h�siter un moment, il montra le volatile battant inutilement des ailes et s��cria : �Mon client est innocent. Lib�rez-le ! Ne le laissez pas comme cette pauvre colombe, prisonni�re malgr� elle�� J�avais ces moments de bonheur � l�esprit en me demandant si c��taient des moments de vrai bonheur parce que, apr�s tout, c��tait de la vie ou de la mort d�un homme ou d�une femme qu�il s�agissait ! Car, � l��poque, la peine de mort �tait monnaie courante. Mais le bonheur, c��tait plut�t de voir comment l�art de la plaidoirie avait atteint les cimes chez nous et que cela n�existait pas seulement dans les films ! La premi�re fois que je suis pass� du banc de presse � celui des accus�s, c��tait en 1989. Le comble, c�est que j��tais directeur de la r�daction d�un quotidien gouvernemental, en l�occurrence Horizons. Et je crois m�me pouvoir dire aujourd�hui que j�ai �t� l�un des premiers journalistes alg�riens condamn�s apr�s les �v�nements de 1988. Je n��tais pas seul d�ailleurs puisque le proc�s �tait intent� par la direction de l�h�tel El Djaza�r suite � la publication d�un article de mon ami A�ssa Chenouf. L�hypocrisie de l��poque faisait que l�on avait �vit� d�appeler � la barre le directeur g�n�ral de la soci�t� �El Moudjahid Presse�, �ditrice d� Horizons. Un directeur de r�daction, c��tait plus commode. En fait, A�ssa avait d�montr� que certains hauts responsables avaient planifi� de vendre en catimini ce prestigieux �tablissement � un groupe �tranger. Et le principal grief retenu contre nous �tait cette caricature qui montrait un voleur masqu� s�emparant de l�argent du coffre de l�h�tel. Banal clich� sorti du crayon d�un dessinateur qui, curieusement, n�avait pas �t� invit� � la f�te. Dans sa plaidoirie, Ma�tre Sellini, qui d�fendait A�ssa Chenouf, avec une rare �loquence et un argumentaire sans faille, dira que si justice il y avait, on n�intenterait pas un proc�s contre ceux qui veulent d�fendre le patrimoine public mais plut�t contre ceux qui le dilapident ! Je quittais Horizonsl��me en peine. Nous fondions Le Soir d�Alg�rie en septembre 1990 et c��tait parti pour une nouvelle aventure. M. Bergui, alors arbitre connu, ne trouva pas mieux que de venir inonder nos colonnes de graves accusations contre la FAF du d�funt Kezzal. C��tait dans une interview o� il parlait notamment de corruption et de d�tournements des billets d�avion. Il dira la m�me chose dans deux autres quotidiens. Et me voil�, avec les deux autres directeurs de publication, devant une juge � l�air s�v�re ! Il faut dire qu�avant d�en arriver l�, je suis pass� par bien des p�rip�ties. Je fus destinataire d�un mandat d�amener et c�est gr�ce � M. Fergani, alors commissaire central, que le panier � salade me fut �vit�. Une fois dans le bureau du premier policier de la wilaya d�Alger, ce dernier m�expliqua que le juge d�instruction �tait fou furieux contre moi car je n�avais pas r�pondu � plusieurs assignations. Ce qui n��tait pas vrai. Lorsque je me suis pr�sent� devant le juge, il m�interpella en ces termes : �Alors, M. Zoubir Souissi, on ne r�pond pas aux convocations. � Il parlait beaucoup et ne me laissa pas placer un mot. Finalement, je pus lui expliquer que je n��tais pas Zoubir. �Mais qui �tes-vous, donc ?� Je me suis pr�sent� alors en lui rappelant qu�il m�avait re�u � plusieurs reprises et que nous avions longuement parl� de la guerre d�Irak (la premi�re). C��tait son dada ! Et c�est reparti pour deux heures de commentaires sur Saddam, le Kowe�t, Bush le papa et CNN� Face � la juge � l�air s�v�re, il y avait du monde, et du beau ! Le d�funt Benhamouda passait juste devant nous. A une incartade du magistrat, Me Brahimi l�interpellera en ces termes : �Vous vous adressez � trois millions de travailleurs, pr�sidente !� Il faut dire que les d�bats n��taient pas toujours aussi �lev�s car, en correctionnelle, il y avait de tout. En attendant votre tour, vous devez vous payer l��pouse qui a box� son mari, la voisine qui a laiss� tomber un pilon sur la t�te d�un habitant de l�immeuble, le conducteur qui est rentr� dans la vitrine d�un vendeur de vins et liqueurs� Quand notre tour arriva, nous nous pr�sent�mes, les trois directeurs, devant la dame de fer. Le procureur, silencieux dans les autres affaires, nous fit une le�on de morale comme si nous �tions des gosses de cours pr�paratoire. M. Omar Kezzal �tait �galement l�, l�air grave, car il voulait laver l�affront qu�il subissait. Quand on me donna la parole, je fis remarquer � la cour que les accusations port�es contre la FAF �taient sign�es et qu�elles �taient entre guillemets. Le journaliste n�en est pas responsable : il n�a fait que reproduire une d�claration. La juge r�pondit en pr�cisant que nous �tions responsables de tout ce qui �tait publi�. Alors, avec la courtoisie qui lui �tait due, je lui fis cette remarque : �Dans le journal d�aujourd�hui, M. Saddam traite M. Bush de tous les noms. C�est entre guillemets et �a n�engage que lui. Si la Maison Blanche porte plainte, alors je serai responsable de ce qu�a dit l�homme fort de Bagdad ?� La dame de fer r�pondit : �Oui !� Pour avoir ouvert ma gueule je fus condamn�. Mais la juge me fit appeler dans son bureau pour me consoler : �Vous savez, ce que vous dites est d�une logique implacable mais que voulez-vous, c�est votre code de l�information qui est tordu !� Ah bon ! Moi, je ne savais pas que je pouvais �tre responsable des paroles de n�importe quel dingue de dirigeant de cette foutue plan�te, sinon je serais rest� bien tranquille � B�ni Messous, faisant la chasse aux signaux de la t�l� espagnole avec mon antenne UHF. Nous f�mes appel et � l�audience du mardi, le type en kachabia assis � c�t� de moi se pr�senta comme le d�l�gu� de la communaut� juive qui poursuivait Alg�rie Actualit�. Le m�me hebdo �tait harcel� par le minist�re public pour offenses au royaume wahhabite� Au d�but des ann�es 2000, et pour le compte d�un quotidien arabophone dont je dirigeais la r�daction, la justice me rattrapa et je fus, de nouveau, face � un juge et un procureur qui auraient d� ne pas faire le car�me tant ils �taient odieux dans leurs propos. Encore pour une caricature ! Mais ce n��tait rien � c�t� de ce que subiront plus tard mes confr�res sous Bouteflika. C��tait juste le d�part et, au fond, les juges de l��poque �taient gentils avec nous� Personne ne leur t�l�phonait la nuit.