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C'EST MA VIE
Le d�fi d�une m�re
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 03 - 2012

Apr�s la naissance du gar�on, Kenza, d��ue, voulait la fille � tout prix. Elle d�cide alors de tenter une troisi�me grossesse � 39 ans , et quand femme veut, Dieux veut : cette fois c'est la bonne. Elle mit au monde, Ayam, mais elle �tait loin de se douter que sa petite fille serait handicap�e � vie. Une souffrance fatale qui � fait d'elle un l�gume.
Et commencera alors un v�ritable combat pour Kenza. A force de pers�v�rance et sans jamais baisser les bras, cette m�re donnera une le�on de courage � tous ceux qui ne croyaient jamais que la petite Ayam se mettrait debout et marcherait. �C�est un d�fi que je me suis lanc� � moi-m�me�, dira-t-elle les yeux embu�s. La pers�v�rance, c�est ce qui la guidera tout au long de son combat. Sa fille a 5 ans et demi aujourd�hui. Elle a r�ussi � marcher, cela fait � peine six mois. Pour Kenza, c�est une premi�re victoire. �Quand Ayam est n�e, elle n�a pas cri�. Allong�e sur mon lit d�h�pital et encore dans les vapes, apr�s mon accouchement, ma fille n�a pouss� aucun cri. Cela m�a inqui�t�e. Je me souviens que la sage-femme l�a prise dans ses bras, et confia � sa coll�gue qu�elle avait paniqu� et qu�elle ne savait plus quoi faire.� Mais Kenza fut vite rassur�e, sa fille est tout � fait normale. �Le p�diatre me r�p�tait : il n�y a pas lieu de s�inqui�ter, tous les b�b�s ne sont pas forc�ment m�chants. Votre petite fille est sage, c�est tout.� En plus, Ayam d�routait tout le monde. Elle �tait belle et bien portante. Lorsqu�elle avait un mois, son p�rim�tre cr�nien �tait visible � l��il nu et croissait anormalement. J�ai donc d�tect� l�anomalie � temps pour pouvoir y rem�dier, mais en Alg�rie, cela ne sert pas � grand-chose, car pour explorer et r�aliser tous les examens, il faut toujours attendre. Et le temps, dans ces cas-l�, favorise la gu�rison � 50%. Quand elle a boucl� ses six mois, elle avait un cr�ne �norme et un tout petit visage o� se dessinaient ses yeux et son nez. D�ailleurs, dans la rue, elle attirait des regards pitoyables qui me transper�aient le c�ur. C��tait insoutenable. Les neurologues �taient cat�goriques, ma fille serait, en grandissant, atteinte de d�bilit� profonde, en plus du fait qu�elle ne bougeait pas. En fait, c'�tait une loque humaine. Le choc �tait terrible pour moi d�autant que certaines m�decins, il faut le dire, manquent de tact. Ils ne savent pas communiquer. Le p�diatre m�a lanc�e �a en pleine figure, en me demandant de m�en remettre � Dieu. �C�est le destin�, m�a-t-il dit. Ce jour-l�, c�est le ciel qui m�est tomb� sur la t�te. J�en voulais � toute la plan�te. Quand je suis rentr�e � la maison, j�ai pleur� toutes les larmes de mon corps. Je m'arrachais les cheveux, en criant �Pourquoi moi ? Cela m�a an�antie, d�autant que je me suis retrouv�e seule avec mon malheur. Son p�re, moins courageux, ne voulait pas accepter la r�alit�. J��tais seule au front.
�Quand le diagnostic est tomb�, j�en voulais � toute la plan�te. Je suis rentr�e � la maison, j�ai pleur� toutes les larmes de mon corps, en criant pourquoi moi ?�
La d�pression me guettait j�avais besoin, en plus du soutien de mes parents, de ma belle-famille, d�une aide psychologique pour m�orienter. J�ai consult�, mais je n�ai pas trouv� ce que je cherchais. Je suis tomb�e sur des psychologues qui, au lieu de me guider, me soulager, se plaignaient de leur sort. Exc�d�e, j�ai d�cid� de me prendre en main, d��tre ma propre psychologue. Je me rappelle, ce jourl�, je suis rentr�e chez moi apr�s une s�ance de r��ducation �reintante. Je me suis affal�e sur le divan, j�ai piqu� une crise de nerfs, puis, comme si quelqu�un m�avait gifl�e, je me suis ressaisie. J�ai essuy� mes larmes, j�ai pris une douche, j�ai regard� ma fille dans son lit immobile et j�ai d�cid� de ne plus jamais baisser les bras. La pers�v�rance est devenue mon leitmotiv. � C�est ainsi que Kenza, ce cadre d�entreprise, a d� composer avec tout le monde pour mener � bien son combat. La r��ducation �tait l��tape la plus d�cisive dans l�am�lioration de l��tat de sant� de sa fille. �Je la conduisais au centre de r��ducation, d�abord une fois par semaine, puis deux. Je n�en ai rat� aucune. Et ce, qu�il pleuve, qu�il vente ou qu�il fasse chaud. Je me souviens qu�un jour, ayant pass� une nuit blanche � la veiller, car elle avait une sant� tr�s fragile, je me sentais incapable d�ouvrir les yeux. J�avais toutes les peines du monde � me lever. Je luttais contre le sommeil, voyant l�heure, j�ai jet� ma couverture et je me suis mise debout. Je me suis d�barbouill�e le visage, j'ai habill� Ayam et j�ai saut� dans ma voiture. Les s�ances de r��ducation ne sont pas toujours faciles. Il faut toujours m�nager les susceptibilit�s des uns et des autres. Faire mousser le personnel, offrir des cadeaux, rendre service au chef pour garantir les meilleurs soins � ma fille.� C��tait avec une rigueur et un acharnement sans pareils que Kenza suivait le traitement de Ayam. �Je ne m�occupais plus de moi, ni de mon fils a�n�, qui a aujourd'hui 12 ans, encore moins de mon �poux. Quand la maladie de Ayam a �t� diagnostiqu�e, alors qu�elle avait un mois, je dormais avec elle dans sa chambre, de peur qu�elle ne convulse et ce, pendant six mois. Durant cette p�riode, j�ai remarqu� un changement chez mon �poux. Il devenait distant, moins attentionn� comme s�il m�en voulait . Des non-dits qui m�ont bless�e au plus profond de moi-m�me. J�ai compris qu�il rejetait l�id�e du handicap. Il souffrait en silence, il ne croyait pas qu�un jour Ayam se mettra debout et qu�elle r�ussirait � marcher. J��tais donc condamn�e � l�accompagner seule � la r��ducation comme la plupart des mamans qui souffrent seules. Les hommes sont absents. Il m�arrive quelquefois d�en rencontrer quelques-uns mais j�ai compris par la suite que leur pr�sence s�explique par le fait qu�ils d�fendent � leurs femmes de sortir. Au d�part, je croyais que les s�ances de r��ducation allaient durer quelques mois, mais je me suis rendue compte que cela s��talerait sur plusieurs ann�es. Ayam a aujourd�hui presque 6 ans, cela fait cinq ans qu�elle suit ses s�ances. Il m�arrive de craquer, d��tre � bout de souffle. Les cernes creusaient mon visage, ma p�leur inqui�tait les m�decins qui ont attir� mon attention. �Vous devriez vous reposer et pr�server votre sant�, votre fille a besoin de vous�, cela a fait tilt dans ma t�te. J�ai donc parl� � mon �poux en lui demandant de s�impliquer. Il m�a r�pondu tout de go : �Quand elle marchera, je le ferai.� Sur ce plan, les m�decins sont on ne peut plus clairs. Pour eux, les enfants handicap�s sont plus sensibles que les autres, ils ressentent l�abandon. Et bien, ils ne croyaient pas si bien dire. En grandissant et en d�couvrant son environnement, Ayam se rapprochait de plus en plus de moi. Je pleurais en cachette, mais elle s�en rendait compte, elle s�approche de moi, essuie mes larmes. Je lui transmettait ma tristesse. En voyant Ayam �voluer, son p�re commer�ait � s�impliquer. Il participait � ses s�ances de r��ducation � la maison, je le sentais plus proche d�elle, comme j�ai constat� le changement en elle. La joie rayonnait son visage, elle �tait plus �panouie, elle faisait de plus en plus de progr�s. Elle ne se sentait plus abandonn�e et moi aussi. La pression diminuait � la maison. Le poids que je portais seule s�all�geait.� Kenza devait concilier entre son travail, ses t�ches m�nag�res et s�occuper de ses enfants et de son �poux. �Mon mari n�aime pas les femmes de m�nage. Je devais donc veiller � garder ma maison toujours propre. Je faisais la popote et tout le reste, toute seule, mais la priorit� c��tait Ayam. Heureusement que j�avais le soutien de ma sup�rieure et je comptais sur la solidarit� de mes coll�gues. Quand je rentre � la maison apr�s une journ�e de travail, c�est un nouveau jour qui commence pour moi, apr�s, bien s�r, avoir mis au lit mes enfants. Apr�s quoi, je termine ma besogne.
La pers�v�rance, c�est ce qui l�a guidera tout au long de son combat. Sa fille a 5 ans et demi aujourd�hui, elle marche, c�est une premi�re victoire pour Kenza.
Par moments, je suis tellement fatigu�e que je j�ach�ve par exemple le repassage le lendemain � 6h du matin, avant que les enfants et leur papa ne se r�veillent. Il faut que je laisse ma maison nickel avant d�aller au travail. En fait, ce n�est pas la fatigue physique qui m�abat, c�est surtout le regard des autres. On fixe Ayam comme une b�te de cirque. On s�apitoie sur son sort et le mien, et on lance des remarques qui me fendent le c�ur. Pendant un an, je n�ai pas travaill�, je suis rest�e avec elle. Je ne sortais pas beaucoup. Ma d�cision a �t� prise, quand j�ai remarqu� qu�elle n��tait pas la bienvenue chez certains amis, surtout lorsqu�ils f�taient l�anniversaire de leurs enfants. Ayam �tait consid�r�e comme un fardeau, car elle ne bougeait pas, il fallait s�en occuper. De plus, ils consid�raient qu�elle agressait le regard des autres enfants, avec sa t�te volumineuse et son petit visage. Il valait mieux le cacher, pensaient-ils. Mais le pire que j�ai v�cu, c�est lorsqu�un m�decin, alors qu�il l�auscultait, l�avait prise en photo sous toutes ses coutures, la consid�rant comme un cobaye. Ce jour-l�, je suis sortie de mes gonds. J�ai pris ma fille et j�ai quitt� le cabinet, scandalis�e par un comportement des plus inhumains. Venant d�un m�decin, c��tait horripilant.� �tre pers�v�rante, ne jamais baisser les bras, �a a donn� des fruits et Ayam s�est mise � marcher. ��a �t� le plus beau jour de ma vie. J��tais convaincue que cela arriverait un jour ou l�autre. C��tait une question de temps, �a ne tenait qu�� moi. J�ai serr� ma fille dans mes bras et je lui ai dit en pleurant de joie : ��Je serai toujours l� pour toi.�� Je refusais d�admettre le pessimisme de certains m�decins, qui me rappelaient que si ma fille ne marche pas � trois ans, elle restera clou�e sur une chaise toute sa vie. Je r�futais cette id�e et le temps m�a donn�e raison. C�est vrai que la pers�v�rance �a donne des r�sultats mais les moyens aussi, je pense � toutes ces femmes que je rencontre au centre et qui sont issues de milieux d�favoris�s. Malgr� toute leur bonne foi et leur bonne volont�, elles finissent par abandonner. Leur d�placement co�te cher, les s�ances chez le kin�, chez l�orthophoniste... En plus, elles ne sont pas remboursables, les rendez-vous qui sont report�s aux calendes grecques, le client�lisme qui bat son plein... Et pour couronner le tout, des maris absents. En fait, tous les ingr�dients sont r�unis pour d�courager les plus coriaces. Elles sont face � un mur de b�ton, forc�ment elles craquent. Si j�ai un message � leur transmettre, je leur dis de continuer de se battre, car il s�agit de leurs enfants. Si elles abandonnent les soins, ce sont leurs enfants qu�elles abandonnent. Maintenant que Ayam marche, mange toute seule, balbutie, dit papa, son premier mot, je suis pass�e � une seconde �tape : son instruction. Je ne sais pas encore si je dois l�inscrire dans une �cole sp�cialis�e. Je me dis que dans ce genre d��tablissement, elle risque de r�gresser, car elle va �voluer avec des enfants qui seront peut-�tre plus atteints qu�elle. Je pense aussi � son avenir, je r�ve comme toutes les mamans, de la voir mari�e. Je sais qu�elle ne fera pas de longues �tudes, mais je me console, en me disant qu�elle sera vers�e dans le commerce. Mais pour l�heure, il faut que je sois constante dans ses soins, c�est cela le plus important. Et je demeure persuad�e que le combat ne fait que commencer.�


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