Par Lalaoui Belkacem �Une soci�t� n�a pas de violence, elle la cr�e� (V. v. Weizs�cker) La violence dans le sport, li�e principalement aux rencontres de football, commun�ment appel�e hooliganisme, tend � se manifester aujourd�hui sous des formes diverses. Elle touche aussi bien les pays d�velopp�s que ceux sousd�velopp�s ; les pays riches ou pauvres. La seule chose que les �ducateurs professionnels, les sociologues, les psychologues, les politiques et d�autres savent d�elle, c�est qu�elle ne continue rien, elle recommence. Deux mod�les cherchent � la cerner et � l�expliquer. Le premier mod�le renvoie � l�image st�r�otyp�e du hooliganisme anglais des ann�es 1970, qui se caract�rise par une violence physique et la d�gradation de biens et mat�riels. Cette violence est pr�m�dit�e, organis�e et structur�e. Les responsables britanniques jugent aujourd�hui ce th�me comme �tant caduc. Le second mod�le fait r�f�rence au supporterisme ultra-italien des ann�es 1960, fond� sur la visibilit� et le folklore, qui �voque � son tour une violence plus spontan�e, plus ritualis�e et dionysiaque, n��clatant qu�en certaines occasions. Ces deux mod�les, confin�s d�abord dans leurs foyers nationaux initiaux, se sont largement diffus�s en se combinant avec des traditions locales et r�gionales, au point que certaines �quipes de football sont d�sormais encadr�es par des groupes de supporters hooligans et ultras. Le sociologue allemand G. A. Pilz a fini par d�velopper le terme d��hooltra� pour caract�riser ces deux mod�les qui peuvent se m�langer et se confondre. Il ne reste pas moins, que malgr� leurs rapports diff�renci�s � la violence, hooliganisme et supporterisme ultra continuent de susciter, pour les autorit�s, les instances sportives et le public de l�incompr�hension et de l�indignation, voire de l�inqui�tude. Du fait de leurs sp�cificit�s, on constate que ces deux formes de violence, outre qu�elles ne recourent pas aux m�mes modes op�ratoires, n�entretiennent pas le m�me rapport au territoirestade et au dispositif s�curitaire. Nous emploierons ici le terme de �supporterisme violent�, d�sign� comme production de comportements violents dans et � l�ext�rieur des stades ; et dont l��tiologie renvoie � un faisceau complexe de raisons. Ce supporterisme violent se caract�rise par des violences exerc�es entre groupes de supporters, dans et � l�ext�rieur du stade, � l�encontre des forces de l�ordre et dans le but de d�truire des installations. C�est un supporterisme s�rieux et radical, qui nous offre un tableau contrast� tant est grande la vari�t� des valeurs et des id�ologies qu�il v�hicule. Il se traduit par un mode d�organisation, un style particulier de participation au spectacle, un type de relations avec le monde du football et une mani�re d�appr�hender la violence qui plonge ses racines dans l�histoire d�un club, d�une �quipe. Les politiques qu�on a adopt�es � son �gard passent � c�t� de l�essentiel : elles ont contribu�, successivement, � mettre en place une fabrique sociale des �meutiers. Dans cette contribution, nous tenterons de comprendre en quoi consiste le supporterisme violent et quel sens il convient de lui accorder. Pour cela, nous poserons trois questions principales : tout d�abord que cherche � nous transmettre le supporterisme violent en Alg�rie ? Ensuite, de quelle s�ve se nourrit-il : politique, social, culturel, etc. ? Et enfin, qui est responsable de son d�veloppement : l�institution, l��ducation, la famille, etc. ? Que cherche � nous transmettre le supporterisme violent en Alg�rie ? Essayer de comprendre les ressorts du supporterisme violent et les r�gles de sa singularit�, c�est, en fin de compte, essayer de comprendre comment la violence trouve une expression particuli�re dans le sport. Or, il n�y a pas � ce jour une th�orie globale de la violence dans le sport en fonction de laquelle on peut observer, d�crire, comprendre, pr�voir et contr�ler les comportements violents des supporters. Car, comment expliquer, par exemple que ces actes de violence concernent essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, le football et ce, quel que soit le pays ? Comment expliquer, encore que ces actes de violence ne touchent qu�un public de jeunes ? On a l�impression que par ce mode d�expression les jeunes supporters tentent de marquer un territoire, de d�livrer un message, d�en appeler aux autorit�s, � l�Etat. Dans cette perspective, la violence est due essentiellement � une recherche d�identit�, � un besoin d��tre socialement reconnu ; que ces jeunes n�ont pas dans la soci�t�. Dans son �tude sur le hooliganisme, D. Bodin montre le poids des origines populaires des supporters violents, utilisant la violence comme �expression d�une frustration sociale de la part de jeunes d�sh�rit�s, en situation de crise �conomique grave�. Cette approche limite la violence � un comportement �motionnel et r�actionnel, propre � des individus issus des classes populaires. Elle consid�re le supporter violent comme un individu � la scolarit� courte et rat�e, d�origine ouvri�re et de famille instable. Ne disposant pas d�emploi r�gulier, il compense l�absence de perspectives sociales par une identification qu�il juge valorisante. Plut�t que de n�avoir aucune identit� sociale, il pr�f�re d�s lors une identit� �n�gative�, puissante, centrale et provocatrice. En rupture totale avec les habitudes et les r�gles habituelles de l��change social, il devient porteur d�une tendance violente avec un ensemble organis� de comportements volontairement mena�ants pour les autres. Souffrant d�an�mie �motionnelle, ne s�accrochant � rien, il est en manque d�identification. Sentant que sa vie est futile et sans but, il va r�agir � sa situation d�exclusion par la violence. Le futur, pour lui, est mena�ant et la soci�t� dans laquelle il vit lui para�t d�r�gl�e et impr�visible ; sans direction, ni coh�rence. Comme pour se prot�ger contre un vide social et culturel, il va rechercher la rivalit�, la comp�tition brutale, la mesure du courage en situation r�elle. Dans le stade, il veut para�tre, gagner de l�estime de soi, s�affirmer. Contrairement � une id�e largement r�pandue, son but n�est pas de commettre des actes de violence, mais plut�t d�humilier ses rivaux, de les rabaisser, de les disqualifier : ceux qui l�emp�chent d�aller de l�avant, d��tre visible, d��tre quelqu�un. Dans le stade, le supporter violent ne nous parle pas de football, mais de tout ce qui est faux dans une culture. De quelle s�ve se nourrit le supporterisme violent en Alg�rie ? On ne peut interpr�ter le supporterisme violent dans les stades, sans chercher � rendre compte des rapports complexes et subtils qui s��tablissent entre sport, violence et soci�t�. Car le supporterisme violent prend des configurations diff�rentes selon les pays, les �poques et les cultures. C�est ce que plusieurs auteurs ont tent� de faire ressortir, en proposant un ensemble d�explications causales, susceptibles d��clairer la col�re, l�hostilit� et la violence du supporter. Parmi ces explications, nous avons retenu celles ayant trait au �sens de l�honneur�, au �code des rues�, � la �virilit� physique� et au �cadre cognitif de crise�. Concernant le sens de l�honneur, on a observ� que les soci�t�s qui font grand cas des logiques de l�honneur, dans leurs activit�s, d�veloppent en contre-partie le d�fi, la brutalit�, la cruaut� et la vengeance, � la fois physique et verbale. Dans le stade, ce sens de l�honneur vient se superposer, fortement, au d�roulement du jeu. Pour maintenir l�honneur de son �quipe et la glorifier, le supporter violent doit insuffler qu�il est capable de courage, de m�pris, d�affronts, d�insultes, de menaces, d�injures, de querelles, de provocations, de bagarres, si la situation le justifie. Ce sens de l�honneur aiguis�, on le retrouve dans la violence attribu�e � un genre de culture des rues appel�e par E. Anderson le �code des rues� stipulant � la fois un comportement particulier et une mani�re opportune de r�pondre au d�fi. Le probl�me du respect est au c�ur du �code des rues�. Un exemple bien connu d�affront est celui du contact visuel. La logique de cette offense est qu�un contact prolong� peut �tre un indicateur d�intentions hostiles. Dans le stade, l��change du regard devient un signe imposant de sympathie ou d�antipathie. Le supporter veut du respect pour pr�server sa virilit�. Des �tudes men�es sur la violence �meuti�re en Grande-Bretagne, dans les ann�es 1990, ont montr� que la violence des jeunes au ch�mage s�explique, partiellement, par un sentiment de d�classement viriliste, face � des jeunes femmes plus dipl�m�es et relativement bien ins�r�es dans la vie professionnelle. La violence peut devenir une forme de r�affirmation virile, lorsque le r�le dominateur des hommes semble c�der le pas � la r�alit� sociale et professionnelle des femmes. Cette probl�matique de la virilit� physique � redjla en Alg�rie � joue un r�le important dans le supporterisme violent. On la trouve pr�sente dans la culture du hooligan. Elle a pour but de provoquer, de conspuer les autorit�s morales et politiques. La violence peut aussi profiter et fleurir dans les soci�t�s qui vivent, en permanence, dans ce que le sociologue am�ricain A. Obershall a appel� un �cadre cognitif de crise�. Lorsque ce mode de pens�e, hostile, s�empare de l�appareil psychique, il a tendance � �touffer les autres qualit�s humaines telles que l�empathie et la moralit�. L�individu a une vision de son environnement fond�e sur la peur, la crainte de l�autre et donc de l�imp�tueuse n�cessit� de r�agir avant de dispara�tre. Cette forme de violence, si elle perdure, enferme les individus en euxm�mes, amoindrit la relation avec l�autre et risque, � la longue, de d�composer la soci�t� et l�emp�cher de se fonder. Dans un environnement social o� r�gne un cadre cognitif de crise, l�autre ne peut �tre qu�ami ou ennemi. A.P. Agote illustre bien le fonctionnement de ce �cadre cognitif de crise�, dans le cas basque, qui repose enti�rement sur ce qu�il appelle une �proph�tie imaginaire �, profond�ment inscrite dans la mentalit� basque. Cette proph�tie consiste � l�gitimer la violence et � l�encourager en d�signant, implicitement, le pouvoir de Madrid comme n�o-franquiste, fasciste et g�nocidaire � l�encontre du peuple basque. De la m�me fa�on, E. F�ron montre que la violence frondeuse et persistante des miliciens orangistes, en Ulster, repose sur un cadre de perception de la r�alit� ; insistant sur �la prise du pouvoir par les catholiques�. La violence r�pond, ici, � une grille de lecture de l�environnement, qu�une communaut� construit et entretient. En r�sum�, ces quelques explications causales que nous venons de passer en revue constituent une tonalit� de fond qui accompagne, dans les diverses manifestations sportives, le supporterisme violent. Elles lui donnent une consistance et une orientation. Caract�ristiques saillantes d�une culture donn�e, ces causes prennent racines, diversement, dans chaque soci�t�. Elles nous enseignent que le probl�me du supporterisme violent peut, en partie, �tre associ� � des facteurs �ducatifs (le code des rues), culturels (le sens de l�honneur et de la virilit� physique), politique (un cadre cognitif de crise), etc. Bien que de nombreuses divergences existent encore, toutes ces explications causales peuvent, en dernier lieu, nous aider � saisir le sens et la fonctionnalit� de certains traits comportementaux du supporter violent. Ces donn�es sont n�cessaires, si l�on veut mener un travail de pr�vention socio-p�dagogique, dans le milieu des supporters. Qui est responsable du d�veloppement du supporterisme violent ? Il nous reste maintenant � aborder la relation entre la soci�t� globale alg�rienne et un ph�nom�ne sp�cifique se d�veloppant en son sein, en l�occurrence le supporterisme violent. Car, il faut bien comprendre la soci�t�, dans ses maux, pour expliquer la violence dans les stades. Or, il n�est point n�cessaire de rappeler, que depuis une trentaine d�ann�es, la soci�t� alg�rienne, dans son ensemble, est plus violente et le ph�nom�ne se refl�te de plus en plus dans le sport. On assiste, en effet, � une certaine d�composition de la sociabilit� et � une d�sint�gration des conventions. Une soci�t� en proie � des conflits permanents tend � produire des hommes et des femmes antisociaux au fond d�eux-m�mes. C�est ainsi, que certaines formes de violence plus feutr�es (famille, �cole, etc.), moins visibles socialement, peuvent renforcer les violences physiques dans les stades. Mais la violence dans les stades refl�te, en grande partie, l�image d�un syst�me sportif chaotique ; dans son type et dans sa fonction. En l�absence d�une politique sportive claire, ce syst�me a purement et simplement abandonn� sa fonction premi�re, l��ducation du corps : premier point d�ancrage o� l�individu construit son identit� profonde. En effet, le sport aurait pu contribuer � r�guler l�agressivit� et la violence physique en milieu �ducatif. Car, c�est l� que l�on apprend � l�enfant, � l�adolescent et au futur citoyen, � ma�triser son corps, � contenir ses �motions et � lire celles des autres. C�est l�, aussi, que l�on inculque les normes de sensibilit� � l��gard de la violence physique et verbale. En dehors des qualit�s physiques et morales qu�il d�veloppe, le sport reste avant tout un moyen de lutter contre la violence. En optant pour une politique sportive de prestige (lyc�es sportifs, CEM sportifs, Acad�mies sportives, �coles sportives, professionnalisme, etc.) et � force de d�tecter et de s�lectionner le don et le talent, on a �vacu� les d�chets, les victimes, les exclus : ceux qu�on appelle, aujourd�hui, les supporters violents. Une p�dagogie, � la Stirner, qui consiste � diviser et � classer les hommes et les femmes en faibles et en forts, d�s l��cole primaire. Mimer et imiter ne m�ne jamais trop loin. Une politique qui pousse, aujourd�hui, les forces de l�ordre, non pas � maintenir �l�ordre public� dans les stades, mais seulement �l�ordre en public�, c�est-�-dire la volont� de donner l�apparence du calme social, en refluant en d�autres lieux tous ces corps violents; sans nullement chercher � en corriger les causes. Enfin, on a oubli� que le sport spectacle est porteur d�un message particulier, celui du sch�me des valeurs fondamentales de la soci�t� pacifi�e : moderne. Il reste marqu� par un mode de pens�e, une mani�re d��tre et une fa�on d�agir, ayant comme finalit� l�adoucissement des m�urs et l�humanisation les conduites : un seuil de sensibilit� � l��gard de la violence � ne pas d�passer. Ces valeurs, ce mode de pens�e et cette mani�re d�agir, que l�on retrouve sur le terrain de sport (des r�gles � respecter) et sur les gradins du stade (des normes � ne pas transgresser) se forgent � l��cole et nulle part ailleurs. Se demander, aujourd�hui, pourquoi nos jeunes ont ce go�t du d�sordre et de la destruction, et ces corps (violents) qui font peur aux autres, c�est interroger l�institution responsable de l��ducation et de la formation, du corps, de la jeunesse alg�rienne. Car �on ne peut tromper la violence que dans la mesure o� on ne la prive pas de tout exutoire, o� on lui fournit quelque chose � se mettre sous la dent.� (R. Girard). Avons-nous fourni ces exutoires � la jeunesse ?