Par Nour-Eddine Boukrouh [email protected] L�Iran est le premier pays musulman contemporain o� une r�volution populaire a renvers� le despotisme. Il avait suscit� dans le monde une plus grande polarisation que celle cr��e par les r�volutions arabes, mais, � leur diff�rence, les ul�mas chiites avaient pr�par� l�alternative au r�gime du shah. L�ayatollah Khomeyni, qui l�avait dirig�e de l��tranger, est aussi l�auteur d�un livre, Le gouvernement islamique, dans lequel il a expos� sa th�orie du �velayet-e-faqih�, c�est-�-dire, le gouvernement du pays par un imam coiffant tous les pouvoirs et chef supr�me des arm�es et des services de s�curit�. Dans ce syst�me, le pr�sident de la R�publique est une sorte de Premier ministre, m�me s�il est �lu au suffrage universel, alors que le Guide supr�me est �lu � vie par 86 dignitaires religieux r�unis dans une �Assembl�e des experts�. C�est ce syst�me th�ocratique qui a remplac� le r�gime monarchique du shah. Le lendemain du retour de Khomeiny en Iran, je d�barquais � T�h�ran pour vivre de l�int�rieur la R�volution iranienne. Au contact des Iraniens des quartiers populaires chez qui j�ai habit�, et � travers les rencontres que j�ai eues avec les hauts dignitaires religieux et les dirigeants de la R�volution de tous bords, j�avais pris la mesure de leur ferveur, de leur confiance en eux-m�mes et de leur certitude qu�ils allaient entrer dans un nouveau cycle de civilisation. Mais je n�avais cess�, pendant et apr�s mon s�jour, d��tre taraud� par une ind�finissable crainte. De retour en Alg�rie, j�ai publi� une s�rie d�articles pour relater ce que j�avais v�cu. Alors que dans le premier, j�avais laiss� libre cours � mon enthousiasme (�Voyage dans la R�volution iranienne�, El Moudjahid du 2 mai 1979), que dans le deuxi�me, je la d�fendais contre ses d�tracteurs (�La R�volution assaillie�, 3 mai), j�ai mis dans le troisi�me (�L�islam � l��preuve des musulmans�, 4 mai) un voile de scepticisme. Il me paraissait inconvenant de faire plus ou d��taler mes doutes au grand jour car cette R�volution �tait encore dans les langes. Le titre que j�avais donn� � la troisi�me partie indiquait clairement que le sujet ne concernait plus la seule R�volution iranienne, mais la pla�ait dans une perspective plus large, celle du rapport entretenu tout au long de l�Histoire par les musulmans avec l�islam. J�y exprimais mon appr�hension que cette nouvelle mise de l�islam � l��preuve des musulmans ne soit un ratage. Cette R�volution se voulait islamique, mais il m��tait apparu sur place qu�elle �tait d�abord persane et ensuite chiite. Aujourd�hui, je r�alise combien j�ai �t� bien inspir� de choisir ce titre qui t�moigne de la prudence avec laquelle j��tais revenu. Trente-trois ans apr�s, les chiites ne sont plus � l��preuve de l�islam, mais du juda�sme. Un nouveau round de n�gociations sur le dossier nucl�aire iranien a eu lieu le 14 avril � Istanbul entre les cinq membres du Conseil de s�curit� de l�ONU, plus l�Allemagne et l�Iran. Les participants � ce round ont unanimement jug� que les discussions avaient �t� �constructives�, alors qu�aucune avanc�e concr�te, hormis la prise d�un nouveau rendez-vous, n�a �t� signal�e. Ce qui, par contre, ne laisse pas de surprendre, ce sont les propos du chef de la d�l�gation iranienne, Sa�d Jalili, qui a d�clar� aux m�dias : �Les 5+1 ont consid�r� que la fetwa du Guide de la R�volution sur l�interdiction des armes atomiques �tait d�une grande importance et qu�elle est la base pour une coop�ration pour un d�sarmement nucl�aire global.� On doit donc comprendre que l�Iran est venu � ce round avec une fetwa, que la politique internationale a planch� � Istanbul sur une fetwa et que ce n�est pas le programme iranien qui �tait au centre de la rencontre, mais le �d�sarmement nucl�aire global�. Ladite fetwa stipule que les armes atomiques sont �haram� et le nucl�aire civil �halal�. Ne manquait-il aux puissances mondiales que cette sainte distinction pour les convaincre d�abandonner leurs arsenaux, alors que les trait�s de d�sarmement bilat�raux (SALT, START et SORT) et multilat�raux (TNP, TICE) n�ont pas r�ussi, apr�s un demi-si�cle de n�gociations, � mettre la plan�te � l�abri du danger nucl�aire ? L�Iran, d�j� sous le coup de six r�solutions du Conseil de s�curit� de l�ONU, ne semble donc pas trop s�en faire, alors que c�est de l�option militaire qu�on se rapprochera si le round de mai prochain ne d�bouche pas sur un abandon contr�l� de l�enrichissement de l�uranium � un pourcentage permettant son utilisation � des fins militaires. Car si ce sont les 5+1 qui n�gocient, ils le font en r�alit� pour le compte d�Isra�l et accessoirement des Etats du Golfe qui s�estiment pareillement menac�s, en plus du contentieux sur les trois �les du d�troit d�Ormuz que les Iraniens ont occup� par la force en 1971 et que les Emirats arabes unis revendiquent comme les leurs. Il est � douter que des juifs, format�s par des r�glages religieux propres � eux, se rangent � l�avis d�une fetwa islamique, et que des wahhabites et des sunnites accordent un quelconque cr�dit � une fetwa chiite. Les Isra�liens ont eux aussi, eux surtout, devrai-je dire, une approche religieuse du danger que repr�senterait pour eux un Iran nucl�aris�. C�est une culture essentiellement th�ocratique qui pr�side � leurs actes politiques depuis au moins l�apparition de la doctrine sioniste avec la publication en 1896 de �L�Etat juif� par Theodor Herzl. Car deux d�cennies plus t�t, le Premier ministre anglais, Benjamin Disraeli, s��criait d�j� devant le Parlement britannique en brandissant le Coran : � Tant qu�il y aura ce livre, il n�y aura pas de paix dans le monde !� Et, dans cette culture, menacer Isra�l suffit pour encourir la mort et la destruction � grande �chelle. Ignorer cette dimension mentale et intellectuelle, c�est se condamner � ne rien comprendre � la politique isra�lienne envers les Arabes et les Palestiniens depuis 1948, et les Perses chiites aujourd�hui. Au cours de sa rencontre en mars dernier avec le pr�sident am�ricain, le Premier ministre isra�lien, venu demander des avions ravitailleurs en vol et des munitions sp�ciales en liaison avec les pr�paratifs d�une attaque contre l�Iran, a offert un cadeau symbolique � Obama. Il s�agit d�un des livres (de quelques pages) formant la Bible, le Livre d�Esther, du nom d�une femme juive de la tribu de Benjamin qui aurait �t�, au Ve si�cle av. J.-C., l��pouse du roi de Perse Assu�rus, sans qu�il connaisse sa confession, et qui aurait sauv� les juifs d�un massacre annonc�. En lui remettant le livre, Benjamin Netanyahu a dit � Obama : �Lui aussi voulait nous annihiler�, comme s�il parlait d�un terroriste recherch� depuis� vingt-cinq si�cles. On ne sait pas qui il visait au juste, car, selon le Livre d�Esther lui-m�me, c�est Haman, le Premier vizir, et non le roi, qui aurait foment� le complot et qui sera d�ailleurs mis � mort pour avoir con�u cette id�e apr�s qu�Esther l�e�t d�nonc� � Assu�rus. Sous l�influence d�Esther, le roi promulgue une loi qui �autorisait les juifs, quelle que soit la ville qu�ils habitent, � se rassembler et � d�fendre leur vie en exterminant, massacrant et supprimant tous les groupes arm�s d�un peuple ou d�une province qui les attaqueraient, y compris les petits enfants et les femmes, et � proc�der au pillage de leurs biens�. Le Livre d�Esther poursuit : �Beaucoup de membres des autres peuples du pays se faisaient juifs, tant ils avaient peur d�eux� Ce fut au tour des juifs de dominer ceux qui les d�testaient. Ils se rassembl�rent dans leurs villes respectives, dans toutes les provinces du roi Assu�rus, pour porter la main contre ceux qui leur voulaient du mal. Personne ne leur opposa de r�sistance, tant les autres peuples avaient peur d�eux. De plus, tous les chefs de province, les satrapes, les gouverneurs et les fonctionnaires du roi soutenaient les juifs� Les juifs frapp�rent tous leurs ennemis � coups d��p�es, les tuant et les faisant dispara�tre. Ils trait�rent selon leur bon plaisir ceux qui les d�testaient�� Et tout cela en riposte � une menace qui n�a pas connu un d�but d�ex�cution, exactement comme dans le cas du nucl�aire iranien. On ne peut s�emp�cher, en lisant ces lignes, de penser, d�un c�t� aux Palestiniens, et d�un autre, aux puissances occidentales qui soutiennent Isra�l en d�pit de ses innombrables violations des droits de l�homme et du droit international depuis 1948. Les historiens n�ont pu recouper aucune donn�e de ce r�cit, qualifi� de �roman historique�, avec l�histoire bien �tablie de l�empire perse. Mais l� n�est pas l�important. L�important, c�est que les Isra�liens y croient et l�appliquent comme un strict devoir religieux. Il ne faut donc pas voir dans le cadeau de Netanyahu � Obama une coquetterie, une plaisanterie ou une provocation, mais la pose d�un simple acte de foi : Isra�l n��coute que la voix de son histoire et ne croit qu�� ses Livres sacr�s, confirm�s ou non par la science historique. Les �gards aux lois humaines et au droit international viennent apr�s, et � condition de leur �tre favorables. L�histoire d�Esther �tait en l�occurrence la nouvelle la plus fra�che, l�actualit� la plus br�lante, dont �tait venu discuter Netanyahu avec le pr�sident am�ricain. Avant de quitter la Maison- Blanche, il a l�ch� devant les m�dias : �Isra�l est ma�tre de son destin.� De l�, il s�est rendu � une r�union du lobby pro-isra�lien aux Etats-Unis, la fameuse et puissante AIPAC, devant laquelle il a dit : �Nous avons donn� du temps � la diplomatie, nous avons donn� du temps aux sanctions. Nous ne pouvons plus attendre davantage... Je ne laisserai jamais mon peuple vivre sous la menace d�un an�antissement.� Il a parl� en cette circonstance comme Mardoch�e, l�homme qui, par la ruse, a plac� Esther dans le harem d�Assu�rus avec l�espoir qu�elle devienne reine de Perse, projet qui se r�alisa. A la fin de l�histoire, nous apprend le Livre d�Esther, �le juif Mardoch�e �tait l�adjoint du roi Assu�rus. Il jouait un r�le important pour les juifs et �tait tr�s appr�ci� de ses nombreux fr�res. Il recherchait le bonheur de son peuple et contribua par ses paroles au bien-�tre de toute sa lign�e�. Golda Meir, ancien Premier ministre isra�lien, rapporte dans son autobiographie ( Ma vie) un souvenir gard� d�une conf�rence internationale sur les r�fugi�s juifs � Evian-les Bains (France) � laquelle elle avait assist� � la fin des ann�es 1930. Indign�e par l�attitude des repr�sentants des Etats occidentaux qui se relayaient � la tribune pour dire leur compassion aux juifs sans les aider concr�tement, elle eut cette pens�e : �A la question �Etre ou ne pas �tre ?�, chaque nation doit apporter sa propre r�plique. Les juifs ne peuvent ni ne devraient jamais attendre de qui que ce soit d�autre l�autorisation de rester en vie.� C�est cette femme qui, Premier ministre au moment de la guerre d�Octobre 1973, a failli utiliser l�arme nucl�aire contre l�Egypte et la Syrie. Il a fallu toute l��nergie de Nixon pour l�en dissuader en �change d�un pont a�rien pour lui livrer les armes et munitions conventionnelles qu�elle souhaitait et des photos-satellites du champ de bataille en temps r�el. C�est cette doctrine qu�a appliqu�e Menahem Begin en 1981 quand il a ordonn� la destruction du r�acteur nucl�aire irakien Osirak, et c�est la m�me qui anime aujourd�hui Shimon P�r�s, Benjamin Netanyahu et Ehud Barak. Et cette doctrine n�est que la traduction de la culture th�ocratique qui pr�side � la philosophie politique et � la strat�gie intemporelle de survie d�Isra�l. Les Etats-Unis et l�Europe, qui n�ont jamais exclu l�option militaire et dont les plans op�rationnels doivent �tre fin pr�ts, ont t�ch� jusque-l� de r�fr�ner les pulsions guerri�res d�Isra�l en arguant que les sanctions suffiraient pour fragiliser le r�gime iranien qui serait alors contraint de renoncer � ses ambitions. Si cela n�arrivait pas, alors ils attaqueraient de concert un Iran affaibli et coup� du monde comme l��tait l�Irak en 2003. La guerre a donc �t� pour l�instant �vit�e ou diff�r�e, mais elle est in�luctable, sauf brusque recul du r�gime iranien sur son programme qui ruinerait son cr�dit tant il a mobilis� son opinion sur cette question. Si le gouvernement isra�lien d�cide de passer � l�action contre l�avis de l�Occident, celui-ci sera oblig� de suivre. Comme dans le r�cit biblique : �Le jour- m�me, le nombre de personnes tu�es � Suse, la capitale, fut communiqu� au roi, et celui-ci dit � la reine Esther : �A Suse, la capitale, les juifs ont tu� et fait dispara�tre 500 hommes, sans compter les dix fils d�Haman. Qu�auront-ils fait dans le reste de mes provinces ? Cependant, quel est l�objet de ta demande ? Il te sera accord�. Que d�sires-tu encore ? Tu l�obtiendras.� Esther r�pondit : �Si tu le juges bon, il faudrait autoriser les juifs de Suse � agir demain encore conform�ment � la loi en vigueur aujourd�hui et pendre le corps des dix fils d�Haman � une potence�. Le roi ordonna d�agir de cette mani�re.� C�est vraisemblablement ainsi que se parlent, dans le secret des bureaux pr�sidentiels des grandes puissances, dirigeants occidentaux et dirigeants isra�liens � chaque crise impliquant Isra�l, les premiers dans le r�le d�Assu�rus, les seconds dans celui d�Esther. C�est ainsi aussi que la culture th�ocratique a eu � tous les coups raison de la culture rationnelle et d�mocratique, et justifi� tous les exc�s, tous les abus et toutes les d�raisons isra�liennes. Pendre les cadavres d�hommes d�j� morts ! Ces crimes, ces pogroms, ce bain de sang n�avaient pour justification qu�une intention, un �projet�, celui reproch� � Haman �de faire dispara�tre les juifs et de leur avoir jet� un sort� et qui lui valut la pendaison. C�est ce qui est reproch� aujourd�hui � Ahmadinejad, assimil� par l�allusion de Netanyahu � Haman. On lit dans le Livre d�Esther : �Cet �dit fut donc proclam� � Suse et l�on pendit le corps des dix fils d�Haman ; de plus, les juifs de Suse se rassembl�rent de nouveau le quatorzi�me jour du mois d�Adar et tu�rent 300 hommes � Suse� Quant � ceux qui se trouvaient dans les autres provinces, ils tu�rent 75 000 personnes parmi ceux qui les d�testaient�� Mais n�a-ton pas lu dans les m�dias, il y a quelque temps, qu�Ahmadinejad aurait une ascendance juive, tout comme Kadhafi ? L�histoire ne serait-elle que myst�res et �sot�risme comme beaucoup d�auteurs l�ont soutenu et dont la plupart ont �t� pass�s aux oubliettes ou poursuivis devant les tribunaux de la d�mocratie pour antis�mitisme ou r�visionnisme ? Le livre le plus c�l�bre de Malek Bennabi, Vocation de l�islam, a �t� r�dig� en 1949 et remis aux �ditions du Seuil qui ne l�ont publi� qu�en 1954. Ce qu�on ne sait pas, c�est qu�il lui a donn� une suite sous le titre de Le probl�me juif, rest� � l��tat d�in�dit. Dans ce manuscrit, le penseur alg�rien �crit ces lignes que j�ai glan�es dans diff�rents chapitres pour les livrer � la m�ditation du lecteur : �Le monde actuel p�rira et un nouveau monde viendra sans que le musulman ait jou� un r�le d�cisif, ni m�me appr�ci� les facteurs, les forces qui entreront en jeu dans son propre avenir� Ce nouveau monde voudra transformer tous les pays musulmans en champ de bataille afin qu�aucune �uvre positive n�y soit entreprise et que m�me ce qui existe actuellement y soit d�truit, en sorte qu�une future colonisation reste encore possible� L�islam doit poss�der la technique, dompter l��nergie atomique�� C��tait en d�cembre 1951 ! Aujourd�hui, c�est trop tard. Isra�l a commenc� � dompter l��nergie atomique dans les ann�es soixante, et l�Iran � s�int�resser � la chose dans les ann�es soixante-dix. Le premier est arriv� � produire, dans le plus grand secret, des centaines de bombes atomiques, alors que le second en est, dans le plus grand tapage diurne et nocturne international jamais connu, sous le regard des services de renseignement de l�univers entier et la curiosit� des badauds de toute la plan�te, � 3 ou 20%, d�enrichissement de l�uranium. Quoique leurs r�f�rents soient tout autant religieux, le rabbin et le �lem n�ont apparemment pas la m�me efficacit� et le m�me rendement historique. Les ul�mas chiites et sunnites ont-ils lu le Livre d�Esther ? Je ne le crois pas, sinon il ne serait pas arriv� aux musulmans ce qui leur est arriv� depuis un si�cle et continuera � leur arriver � l�avenir. Ils n�ont �t� capables d�inventer, depuis les Muatazila, que les bombes humaines et les attentats-suicides, autrement dit, la fronde contre le drone furtif, et leurs ul�mas ne sont experts que dans la connaissance du pass� et la recherche du diable dans le d�tail. L�Iran ne peut pas gagner cette guerre si elle survenait, car, nonobstant son bon droit et sa contestation l�gitime d�un droit international � g�om�trie variable, il n�en a pas les moyens. Il eut fallu qu�il poss�d�t des rabbins au lieu de ses ul�mas �infaillibles�. Si elle �clate, l�Occident se liguera contre lui comme un seul homme. Il faut donc se pr�parer � la d�faite au lieu d�esp�rer �voir ce qu�on va voir� comme on nous l�avait promis en 1967, 1973, 1991 et 2003. A la veille de ce dernier conflit, il �tait visible que l��conomie irakienne �tait par terre, que son peuple �tait �trangl�, que ses nourrissons mouraient, faute de lait et de m�dicaments, du fait de l�embargo, mais ces r�alit�s n�emp�chaient pas des experts militaires � la retraite de venir d�montrer sur les plateaux de t�l�vision arabes la �strat�gie de d�fense� de l�Irak et la probabilit� de dommages �consid�rables� pour la coalition internationale. Elle �tait cens�e �tre attendue par une garde pr�sidentielle hyper-entra�n�e, des chars enfouis sous le sable, des Skud capables de br�ler Isra�l, des armes chimiques et un supercanon que seul l�Irak poss�derait, par on ne sait quel prodige. Au final, il y a eu moins de 5000 victimes, tous pays de la coalition confondus en vingt ans, contre plus d�un million de victimes irakiennes � un titre ou un autre. Faut-il, cette fois, donner du cr�dit aux �lourdes pertes� qui seront inflig�es � l�ennemi, � en croire Ahmadinejad ? On voudrait bien, mais on ne voit pas comment : ses adversaires disposent de syst�mes offensifs et d�fensifs infiniment plus performants que les siens, ils les produisent eux-m�mes et � volont�, et ils ont derri�re eux, pour soutenir l�effort de guerre, des �conomies in�puisables. De toute fa�on, ils ont, comme dans les deux pr�c�dentes guerres du Golfe, � qui envoyer la facture une fois le travail fait. Quant � la menace des missiles agit�e par les pasdarans, elle ne fait pas peur aux Isra�liens dont le ministre de la D�fense civile ne cesse de r�p�ter � ses concitoyens : �Isra�l a la capacit� op�rationnelle d�intercepter des missiles d�o� qu�ils viennent.� Comment les deux pays se pr�parent-ils � ce que d�aucuns n�h�sitent pas � qualifier de possible troisi�me guerre mondiale ? Cette guerre a en fait d�j� commenc�. Elle a pris les formes discr�tes d�op�rations men�es par les services secrets des deux pays contre leurs int�r�ts r�ciproques. Il y a eu, en 2008, une attaque cybern�tique contre les installations nucl�aires iraniennes. Un virus destructeur num�rique a �t� cr�� par les experts isra�liens ou, disent certains, am�ricains, appel� �Stuxnet�, pour perturber le fonctionnement des centrifugeuses de l�usine d�enrichissement d�uranium de Natanz. Il a mis en panne un millier d�entre elles, et on dit que ce virus sophistiqu� cache d�autres �l�ments programm�s pour s�activer de nouveau. Il y a eu aussi, ces derniers mois, plusieurs assassinats de scientifiques iraniens et l�explosion au moment de son lancement d�un missile longue port�e �Shehab� dans une base militaire pr�s de T�h�ran, tuant plusieurs dizaines de militaires dont le g�n�ral en charge du programme de missiles. Il aurait �t� �trafiqu� par le Mossad. Des attentats � la voiture pi�g�e ont eu lieu aussi r�cemment en Tha�lande, en G�orgie et en Inde contre des diplomates isra�liens sans faire de victimes, hors les bless�s. Dans les premiers cas, on n�a pas la preuve que c�est Isra�l qui est derri�re ces attaques et ces assassinats, car, si c�est lui, il n�a laiss� aucune trace. Dans le second cas, des Iraniens ont �t� imm�diatement arr�t�s. On ne peut faire autrement que constater que la guerre de l�ombre n�a pas tourn� � l�avantage des services secrets iraniens, et que si l�Iran est fort par la parole, Isra�l l�est par les actes. Non seulement, il ne fait pas d�annonces, mais m�me quand il frappe, il nie, comme lorsqu�il a d�truit les installations nucl�aires syriennes en 2007. Les faits et gestes d�Isra�l sont discrets comme � l�accoutum�e, et ses dirigeants ne rendent pas publics leurs projets le jour du shabbat comme le font les dirigeants iraniens � la pri�re du vendredi. La guerre a de multiples facettes : politique, diplomatique, �conomique, technologique et militaire. Isra�l n�en a n�glig� aucune. Sur le plan politique, il s�emploie depuis longtemps � rallier le maximum de forces politiques int�rieures � l�option militaire et � pr�parer son opinion � la situation qui en d�coulerait. Sur le plan m�diatique, il a mobilis� ses relais en vue de l�gitimer aux yeux de l�opinion publique mondiale l�option militaire. Sur le plan diplomatique, il travaille depuis des ann�es � isoler l�Iran sur la sc�ne internationale et � le faire r�guli�rement condamner par l�ONU et l�AIEA. Il ne cesse de demander l�alourdissement et l��largissement des sanctions en faisant jouer ses lobbies dans le but d��touffer l��conomie iranienne. A partir de juillet prochain, l�Iran ne pourra plus vendre son p�trole, car les paiements ne pourront plus �tre effectu�s � sa banque centrale, alors que les sanctions ont d�j� commenc� � produire leurs effets d�sastreux : la monnaie a perdu la moiti� de sa valeur par rapport aux monnaies �trang�res en moins de deux mois, et les prix des denr�es alimentaires ont augment� de plus de 30%. La Chine qui, il y a quelque temps encore achetait 14% de son p�trole d�Iran, n�en ach�te plus que 8, et les Etats arabes de la r�gion l�ont assur� qu�ils lui vendraient encore plus de volumes pour compenser l�arr�t des achats aupr�s de l�Iran. Sur le plan technologique, Isra�l se pr�pare depuis longtemps � une attaque-�clair en levant l�un apr�s l�autre les �cueils qui se dressent sur son chemin, principalement l��loignement des objectifs (3000 km aller-retour) et leur dispersion sur le territoire iranien. Ses ing�nieurs ont dot� la flotte de cent avions, pr�vu � cet effet de r�servoirs externes suppl�mentaires pour augmenter leur autonomie de vol. Des bombes thermonucl�aires B61, � faible intensit�, pourraient �tre utilis�es en plus des bombes am�ricaines GBU-28, 31, 39 et 57 de 14 tonnes chacune et capables de percer le b�ton arm� sur plus de 60 m. Des plans sont pr�ts � brouiller et d�truire les syst�mes radar et de d�fense antia�rienne de l�Iran avant l�entr�e dans son espace a�rien des bombardiers, et de neutraliser sa marine. L�arm�e isra�lienne s�entra�ne depuis des ann�es � ces missions, tandis que toutes sortes de mesures ont �t� prises pour r�duire au maximum les effets d�une riposte iranienne avec des missiles ou d��ventuelles attaques venant du Sud-Liban ou de Ghaza. Le niveau des pertes humaines civiles isra�liennes a �t� calcul� (moins de 500) et int�gr� dans le plan d�ensemble. Rien n�a filtr� sur les objectifs fix�s, mais tout le monde suppose que parmi eux se trouvent les usines d�enrichissement d�uranium de Natanz et de Qom, le centre de recherche nucl�aire d�Ispahan, le r�acteur de Boushehr et le site de Parchin. Isra�l a un autre objectif essentiel � ses yeux : faire z�ro civil iranien tu� pour ne pas solidariser la population du r�gime. L�Iran sait tout cela et agite le spectre de repr�sailles �douloureuses�. Il n�ignore pas qu�il est cern� de toutes parts : pr�sence militaire am�ricaine dans la p�ninsule arabique, en Afghanistan et d�autres pays d�Asie, bases de l�OTAN en Europe et en Turquie, base militaire fran�aise aux Emirats arabes unis� Les Am�ricains et leurs alli�s sont aussi pr�sents sur et sous les mers, pr�ts � tout moment aux tirs de missiles et aux bombardements. L�Iran menace de rendre impraticables les voies d�eau qu�il contr�le et m�me de s�attaquer aux puits de p�trole de la r�gion, mais les Alli�s ne le laisseront pas causer des dommages aux installations p�troli�res de la r�gion qui plongeraient l��conomie mondiale dans l�apocalypse. Ils tiennent compte de cette hypoth�se et de ses r�percussions sur leurs �conomies, mais la s�curit� d�Isra�l passe avant tout. Dans la guerre qui se profile entre l�Iran et Isra�l, ce sont les Perses chiites qui seront frapp�s, mais ce sont les musulmans dans leur ensemble qui seront une fois de plus humili�s. Si par malheur cette guerre a lieu, elle touchera les peuples musulmans et mettra dans l�embarras leurs gouvernements. La fra�che arriv�e de r�gimes islamistes ne sera pas sans incidences sur la rue arabe. Elle nous touchera aussi en tant que composante du monde arabo-musulman, m�me si on n�est pas chiite mais sunnite, m�me si on n�est pas arabe mais berb�re. Nos autorit�s ne manqueront pas de la condamner, mais notre peuple sympathisera � coup s�r avec les Iraniens � cause de leur islamit�, de l�islamisme ambiant, de la politique des deux poids, deux mesures dans les relations internationales, de la question palestinienne et de l�islamophobie. On revivra l�ambiance connue en juin 1967 et lors des guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Cette guerre mettra une fois de plus en sc�ne la pi�ce de David et Goliath : un petit pays de cinq millions d�habitants et de 21 000 km2 d�fendant sa survie contre un pays 78 fois plus grand et 16 fois plus peupl� qu�il a de multiples fois menac� d�an�antissement. L�opinion publique mondiale oubliera que ce petit Etat poss�de des centaines d�ogives nucl�aires capables de d�truire plusieurs fois la totalit� du Moyen-Orient, mais comme il ne s�en est jamais vant�, elle fait comme si elle ne le savait pas. Si on voit l�int�r�t d�Isra�l d�attaquer l�Iran, on ne voyait pas celui de l�Iran dans les menaces r�currentes qu�il lui adressait. Les gains qu�Isra�l peut tirer de cette guerre sont clairs, d�truire les capacit�s nucl�aires iraniennes et affaiblir une puissance r�gionale concurrente, mais on ne voit pas ce qu�en tirera l�Iran. Il ne gagnera m�me pas la sympathie des Etats musulmans qui appelleront au cessez-le-feu, � la condamnation de l��agression� et � la r�union de l�OCI avant de retrouver le silence. S�il table sur l��motion de la rue arabe, il l�obtiendra, mais apr�s voir �t� frapp�. Les Arabes et les Berb�res n�ont pas l�habitude de pleurer les morts avant leur mort. La col�re populaire sera proportionnelle aux pertes qui lui seront inflig�es, on br�lera ici ou l� quelques drapeaux isra�liens ou am�ricains, et les ul�mas sunnites appelleront hypocritement � la solidarit� de destin avec les chiites, mais ce n�est pas ce qui rendra � l�Iran ce qu�il aura perdu. Son voisin frontalier, l�Azerba�djan, dont 70% de la population est chiite, entretient les meilleures relations avec Isra�l, et le pr�sident Shimon P�r�s qui s�y est rendu en visite officielle il y a peu, souhaite pouvoir compter sur l�aide de ce pays pour un �ventuel repli sur son territoire des avions charg�s de l�attaque. Quant � l�opinion mondiale, elle verra une fois de plus dans les pays musulmans des trublions d�faits � la premi�re escarmouche avec plus petit qu�eux, et se rappelleront de la fable de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le b�uf et qui en mour�t. Quoi qu�il en soit, la d�faite programm�e de l�Iran en cas de d�claration des hostilit�s sera aussi celle du monde musulman, m�me si aucun pays musulman n�approuve sa politique. C�est �a le drame. Chaque fois que des musulmans �chouent dans leur entreprise, leur d�faite rejaillit sur l�islam et le reste des musulmans, poussant le reste de l�humanit� � devenir encore plus islamophobe. D�un autre c�t�, cette d�faite donnera un surplus de l�gitimit� � l�islamisme qui saura exploiter le vieux ressentiment contre Isra�l et l�Occident. Et sur ce chapitre, aucun Arabe ou musulman n�est en d�saccord avec lui. Cette 34e contribution cl�ture la s�rie consacr�e depuis un an aux r�volutions arabes. Nous la reprendrions en cas de nouveaux d�veloppements. Je renouvelle mes remerciements au journal et aux lecteurs.