Ce jeune p�re de 4 enfants, venu des fins fonds du Mali pour une vie meilleure en terre alg�rienne, vend toutes sortes de babioles qu�il �tale sur la voie publique du lever du jour au coucher du soleil, pour envoyer � sa petite famille ses maigres sous qu�il gagne aupr�s d�une client�le rare et peu confiante envers les �trangers. Un million de centimes qu�il partage entre son alimentation, le payement de la chambre d�h�tel et la part qu�il r�serve � sa famille. Interrog� sur la fa�on dont se d�roule pour lui le mois de Ramadan en terre bouirienne ; comment il allie sa vie de vendeur ambulant �puisante et l�observation des pr�ceptes de la religion, ce musulman pratiquant, qui observe le je�ne depuis d�j� deux ann�es � Bouira malgr� l�amertume d�une vie d��tranger sans attaches, nous a racont� sa journ�e type ainsi que certaines traditions de son peuple durant ce mois sacr�. Le Mali, l�un des pays africains les plus islamis�s �J�ai �t� soulag� de commencer le je�ne le vendredi, car c�est un jour sacr� pour les musulmans. Chez nous, au Mali, le mois de Ramadan se d�roule majoritairement dans les mosqu�es, les ��zaou�as�� et les places publiques. Tous les musulmans du pays s��vertuent � multiplier les invocations et les pri�res de l�aube au coucher du soleil, ce mois repr�sente l�unique occasion dans l�ann�e pour se rapprocher davantage de Dieu et purifier les �mes. Le 27 du mois, durant la nuit du destin, tr�s attendue et respect�e par les Maliens, la pi�t�, les pri�res et les offrandes aux plus pauvres se renforcent et durent toute la nuit. Cela, en ce qui concerne le mois de Ramadan en g�n�ral.� �Pour ce qui est de la fa�on dont je passe ce mois sacr� ici, � Bouira ; le premier jour, au petit matin, vers 3h, je me suis lev� avec mes quatre compagnons de chambre pour prendre notre soukouriou comme vous dites, le s�horqui est compos� d�un verre le lait frais agr�ment� de quelques dattes et d�une tasse de caf�. Nous avons ensuite rejoint la mosqu�e du coin pour faire notre pri�re du fedjr et de l�, vers 6h du matin, chacun de nous s�est rendu � ��sa place��, sur les trottoirs de certaines rues marchandes de la ville, pour �taler les marchandises et attendre la venue de quelques clients.� Le so kouri, premier repas de la journ�e de je�ne �Je vais vous raconter comment se passe le premier repas de la journ�e : le soukouri. Comme vous le savez d�j�, se r�veiller avant le lever du soleil constitue un rituel, une sunna, pour les musulmans du monde entier qui je�nent de l�aube au cr�puscule pendant ce mois de Ramadan. Au Mali, la pratique du je�ne du mois a d�velopp� bien des pratiques culturelles ; l�une d�entre elles consiste � ce que l�on pourrait appeler la tradition du ��crieur public�� ou plus exactement du ��r�veilleur public��. Il s�agit d�hommes qui, faisant office de r�veil matinal, scandent � tue-t�te des versets coraniques qu�ils alternent avec les couplets �Gens de biens r�veillez-vous, esclaves de Dieu r�veillez-vous, il est l�heure de manger et de boire, a y� wouli soukouri doun touma sera...�. Ces r�veilleurs publics frappent de toutes leurs forces sur des bidons vides pour r�veiller les gens afin qu'ils prennent leur soukouri. Les crieurs publics font, de ce fait, partie int�grante de la culture malienne, et cela, m�me si certains de mes concitoyens les ont plus ou moins remplac�s par les sonneries de r�veils ou de t�l�phones portables.� �Par ailleurs, une autre tradition veut que �a soit les personnes �g�es de la maisonn�e qui r�veillent les autres membres de la famille. Ainsi, les femmes sont les premi�res lev�es pour pr�parer le caf� et r�chauffer les plats de la veille pour contenter les ventres affam�s de leurs hommes et enfants. Nous d�gustons �galement pour ce repas quelques fruits frais comme des mangues ou des bananes ou bien des dattes cens�es fournir de l��nergie pour la journ�e.� Des journ�es qui se ressemblent, la privation en plus �Concernant la journ�e du je�ne, elle se d�roule comme toutes les autres journ�es. Je reste � la m�me place durant plus de 14 heures parfois sous un soleil de plomb et souvent sans le moindre client � l�horizon, il faut croire que les gens sont suspicieux face � une marchandise �tal�e sur le trottoir et dont ils ignorent tr�s souvent l�utilisation. A la fin de la journ�e, vers 19h30, nous nous retrouvons, mes amis et moi, au restaurant rahma de Bouira pour prendre notre repas du f�tour o� on nous donne parfois des dattes pour rompre le je�ne. Les personnes qui assurent le service nous offrent g�n�reusement, sourire aux l�vres, nos parts de chorba,plat que nous ne connaissions pas avant mais qui s�est av�r� d�licieux, un plat d�accompagnement avec un morceau de viande ou de poulet ainsi qu�un dessert. Je dois avouer qu�au d�but, ces go�ts ne me convenaient pas tout � fait, notre nourriture au Mali est plus �pic�e et plus consistante ; plus �africaine� quoi, mais au fil des ans, j�ai appris � appr�cier les nouvelles textures et mon palais s�est fait aux saveurs alg�riennes que je trouve maintenant subtiles et raffin�es.� La rupture du je�ne au Mali se fait de la m�me mani�re que dans presque tous les pays musulmans, avec des dattes et un verre de lait. Par contre, chez nous, certaines boissons traditionnelles, comme la tisane kinkilbaou le dabileni, viennent agr�menter la fin du je�ne. Par ailleurs, que serait un repas de Ramadan sans la bouillie au Mali ? Pr�par�e � base de mil, de ma�s, de lait et de sucre, il n�est pas ais� pour tout le monde de la r�ussir, c�est pour cela que la recette est un secret de cuisine jalousement gard� par les ma�tresses de maison qui transmettent cet art de g�n�ration en g�n�ration afin que leurs filles d�tiennent le pouvoir au foyer. Le repas du f�tour est, quant � lui, assez simple chez la plupart des familles maliennes qui sont pour la majorit� pauvres ou bien tr�s modestes. Ainsi, je vais vous donner comme exemple de plat-phare des tables maliennes, l�unique �galement, puisque nous n�avons pas cette tradition de multiplier les mets comme vous ; le tukasu qui est un rago�t de viande de b�uf pr�par� avec des oignons et des dattes r�duites en pur�e qui mijotent lentement et auquel on ajoute des boulettes de p�te � pain qui cuisent dans la sauce. Le tukasuest servi dans un grand plat ; on dispose les boulettes au fond et on les arrose de sauce et des morceaux de viande que les membres de la famille d�gustent avec les doigts. Un autre plat typique de chez nous est le borokh�qui est un mets traditionnel compos� de viande de b�uf et de poisson cuits dans une sauce �labor�e avec des feuilles de manioc, de la p�te d�arachides et de l�huile de palme. Une fois la sauce bien r�duite et les viande fondantes, ce plat succulent est servi avec du riz blanc�. �Une autre tradition culinaire, r�serv�e cette fois aux gens riches et ais�s, est celle du bouran doumouni, un repas sp�cial et tr�s �labor� qu�une femme offre, durant le mois de Ramadan, aux proches et surtout � la belle-famille � laquelle elle doit exprimer toute son estime et son respect quitte parfois � d�penser des sommes faramineuses. Ce pr�cieux repas, que beaucoup de Maliens consid�rent comme du pur gaspillage, occupe une place de choix aupr�s des �pouses maliennes qui veulent se faire accepter et appr�cier de leurs belles-familles au point qu�il est devenu une obligation pour laquelle nombre de ces femmes se retrouvent esclaves malgr� elles et surtout malgr� la chert� de la vie. �Tout cela me rappelle ma triste existence loin des miens� Le regard fuyant et les yeux larmoyants, Mustapha n�a pas pu cacher sa tristesse et ses regrets de ne pas pouvoir partager ce mois si sp�cial avec sa famille ; sa femme Aminatou et leurs quatre enfants, dont l�a�n�e, Fatima, n�a que 10 ans, vivent, depuis qu�il s�est exil� en Alg�rie, chez ses parents, avec comme seule ressource la vente de plats en terre et de bracelets en perles que toutes les femmes de la maison confectionnent � longueur de journ�e. Une vraie d�chirure pour cet homme qui �conomise sur les moindres petites d�penses afin de joindre les siens pour l�A�d El Fitr ; appel� au Mali la korit�. �Je suis arriv� � �conomiser une petite somme afin de me payer le voyage pour rejoindre ma famille et passer quelques jours l�-bas, dans mon village de Tabakor, � quelques kilom�tres au sud de Gao. Je suis vraiment impatient de revoir ma femme, mes enfants, mes vieux parents et mes fr�res et s�urs, de fouler le sol ocre et chaleureux de ma terre natale o� je r�ve de finir mes jours. Vous vous demandez peut-�tre pourquoi je suis venu ici, � des milliers de kilom�tres de ceux que j�aime. Eh bien c�est parce que les conditions de vie au Mali sont devenues tellement difficiles ; la crise �conomique fait des ravages aupr�s des populations les plus d�munies qui sont r�duites � qu�mander les aides humanitaires internationales pour se nourrir, et la guerre civile entre les forces arm�es du pays et les troupes de rebelles islamistes ne cesse de plonger le pays dans le chaos ; les villes de Bamako et de Gao sont compl�tement asservies. En proies � la violence et � la famine, les Maliens du Nord sont en r�el danger et cela devant la quasi-indiff�rence de la communaut� internationale. Avant de d�cider de franchir le pas et traverser les fronti�res, nous en �tions r�duits � manger de la bouillie de manioc pas plus d�une fois par jour ; c��tait difficile de voir les miens oblig�s de supporter tant de mis�re ; c�est pour cela que j�ai rejoint un groupe de jeunes hommes qui s�appr�tait � aller vendre toutes sortes de produits en Alg�rie, consid�r� comme un avant-go�t de l�eldorado. J�aurais voulu prendre toute ma famille avec moi et ne plus jamais revenir, mais le voyage aurait co�t� trop cher, et tous n�y auraient pas surv�cu. Apr�s un parcours p�rilleux, mon choix s�est port�, avec mes quatre autres camarades de fortune, sur la ville de Bouira qui est ni trop grande au point de nous faire agresser, comme c�est le cas de nos concitoyens �tablis dans la capitale, ni trop petite non plus, puisque on y trouve tous les moyens n�cessaires pour vivre dignement une triste vie de marchand ambulant et tenter un tant soit peu de faire vivre nos familles en attendant des jours meilleurs.�