Reportage r�alis� par Hassane Zerrouky A la veille de la visite du pape Beno�t XVI au Liban, Beyrouth affiche un semblant de normalit�. Le quartier Hamra � Beyrouth, r�put� pour ses art�res commer�antes, ses centres d�affaires, ses bars et pubs branch�s mais aussi ses bo�tes de jazz, de danse, toujours aussi anim�, surtout la nuit, fait oublier l�instant d�un soir que, d�un moment � l�autre, la crise syrienne risque d�emporter le Liban. Damas n'est qu'� 83 km de Beyrouth et Homs � moins de 50 km de Tripoli. Une fin du mois d�ao�t sanglante A la mi-ao�t, l�enl�vement par l�Arm�e syrienne libre (ASL) d�un ressortissant libanais accus� d��tre un membre du Hezbollah a mis le feu aux poudres. A Beyrouth, le puissant clan chiite des Haddad, dont est issu le Libanais prisonnier de l�ASL, a violemment r�agi : plus d�une trentaine de Syriens, des Qataris, des Saoudiens et des Turcs enlev�s. Les Haddad, sur lesquels m�me le Hezbollah n�a aucune prise, menacent de les ex�cuter si l�ALS ne lib�re pas leur prisonnier. �Pendant huit jours, il n�y avait m�me pas d�Etat. Rien, on a craint le pire�, confie Ernest Khouri, journaliste du quotidien de gauche libanais Es- Safir. Les Syriens r�fugi�s � Beyrouth, les Saoudiens et les ressortissants des pays du Golfe se sont terr�s avant de quitter pr�cipitamment la capitale libanaise. Toujours � la mi-ao�t, � Tripoli, deuxi�me ville du Liban, proche de la fronti�re syrienne, capitale des sunnites libanais et fief de la famille Hariri, de violents affrontements arm�s ont oppos� les alaouites habitant le quartier de Djebel Mohsen et soutenant le r�gime de Bachar aux sunnites du quartier de Bab Taban�, qui soutiennent les insurg�s syriens, et quartier o� les salafistes ont pignon sur rue. Deux quartiers, s�par�s par une rue, la rue de Syrie, qui fait office de ligne de d�marcation, deux quartiers qui partagent un fort taux de ch�mage, la pauvret� et des habitations pr�caires. Les combats � l�arme automatique et � l�arme lourde ont fait 19 morts, des dizaines de bless�s. Les immeubles �ventr�s par les tirs d�obus, certains calcin�s, des habitations enti�rement d�truites, m�me les mosqu�es comme Mesdjad El Nasseri, n�ont pas �t� �pargn�es, tout t�moigne de la violence des combats� Il a fallu l�intervention des notables et des sages de la ville pour ramener le calme et pour que les deux camps qui se rejettent mutuellement la responsabilit� des affrontements acceptent une tr�ve. �Certes, la vie a repris dans ces quartiers, les magasins ont rouvert, il n�y a plus d�hommes en armes dans les rues, mais beaucoup de Tripolitains pensent que �a va reprendre une fois termin�e la visite du pape�, explique Mouti�a Hallaq, actrice de la soci�t� civile qui a organis� plusieurs rassemblements de femmes sous le mot d�ordre �Tripoli sans armes�. Pour la sociologue et journaliste au quotidien Es-Safir, Nahla Chahal, native de Tripoli, �les deux quartiers, qui s�affrontent, se trouvent � l�entr�e nord de la ville quand on arrive de Syrie. Tripoli �touffe. Le n�olib�ralisme a fait des ravages : 58% des habitants sont au seuil de la pauvret�, 49% des enfants ne sont pas scolaris�s ou d�scolaris�s. Les Tripolitains ont le sentiment que leur ville est n�glig�e, que les chiites � Beyrouth- Sud vivent mieux. Ils vivent crisp�s sur leur identit� et pensent que si le r�gime d�Assad tombe, Tripoli reprendra la place qu�elle avait dans la �Grande Syrie�. Tr�s en col�re contre la France qui a recommand� � ses ressortissants allant au Liban d��viter Tripoli, la sociologue assure que sa ville �n�est pas devenue un fief d�Al-Qa�da� tout en signalant que les affrontements sont circonscrits � ces deux seuls quartiers. Comme Beyrouth, le centre de Tripoli, la ville historique et ses caravans�rails datant de l��poque des Mamelouks donnent une impression de normalit�. Il n�en reste pas moins � la Syrie est toute proche � que les Tripolitains redoutent que le conflit syrien d�borde chez eux. Informations et rumeurs alimentent les craintes des Libanais Sur le plan politique, le gouvernement dirig� par le sunnite Mekati, qui pr�ne une politique de distanciation � l��gard de la crise syrienne, n�est pas �pargn� par les critiques des m�dias (except� Al-Akhbar proche du Hezbollah) et par ses adversaires de la coalition du 14 mars domin�e par le Courant du futur de Saad Hariri et les Forces libanaises de Samir Geagea. La soudaine radicalit� de cette derni�re - demande d�expulsion de l�ambassadeur de Syrie, suspension des accords libanosyriens et d�ploiement de la Finul le long de la fronti�re syrienne � en a surpris plus d�un. Mais tout critiques qu�ils sont envers le r�gime de Bachar Al Assad qui n�a pas laiss� de bons souvenirs au Liban avant d� �tre contraint en 2005 par une r�solution de l�ONU de retirer ses troupes du pays du C�dre, les Libanais ne souhaitent pas �tre entra�n�s dans la crise syrienne. Il faut dire que dans ce pays, le moindre incident prend vite d��normes proportions comme pour ajouter � une tension bien r�elle. Accusations et contre-accusations lanc�es par l�un et l�autre camp ne manquent pas. Des informations, inv�rifiables, font �tat d�avions cargos saoudiens d�barquant des armes � l�a�roport de Beyrouth � destination des groupes salafistes sur la fronti�re syrienne et de l�Arm�e syrienne libre (ALS), de la pr�sence de centaines de djihadistes �trangers en partance vers la Syrie, de r�activation des milices arm�es proches de certains partis libanais. De quoi alimenter les craintes d�un d�bordement du conflit syrien au Liban. Et les mesures prises par l�Etat libanais pour assurer son autorit� et ne pas se laisser d�border sont diversement interpr�t�es. L�op�ration coup-de-poing contre le puissant clan chiite des Mokdad a �t� ressentie comme un acte dirig� contre les chiites. Le clan des Mokdad, fort de plusieurs milliers de personnes habitant dans la r�gion de Baalbeck, sur lesquels, dit-on, le Hezbollah n�aurait aucune emprise et qu�il m�nagerait pour des raisons strictement politico-communautaristes, menace de recourir � la force. Une classe politique qui se d�chire sur la Syrie La coalition du 14 mars domin�e par le parti de Saad Hariri accuse la Syrie d�attiser les clivages interconfessionnels (chiites contre sunnites) pour entra�ner le Liban dans la crise, et appelle les Libanais � plus de solidarit� avec le peuple syrien. Pour le Hezbollah et son alli� Michel Aoun du Courant patriotique libre (CPL), c�est, au contraire, la Coalition du 14 mars soutenue par l�Arabie saoudite et les pays du Golfe qui pousse � la tension au lieu de pr�ner la neutralit� du Liban dans la crise syrienne. �Il faut �tre s�rieux, estime un journaliste libanais, aucune force politique libanaise, qu�elle soit de droite, de gauche, islamonationaliste, druze ou chr�tienne, ne peut se targuer d�affirmer aujourd�hui qu�elle n�a pas � un moment ou un autre de l�histoire du Liban, fricot� avec le r�gime syrien.� Rencontr� � Beyrouth, Fawwaz Traboulsi, professeur � l�universit� am�ricaine de Beyrouth et auteur de nombreux ouvrages en arabe sur le Liban et le monde arabe, ne croit pas, lui, � la th�se d�un d�bordement du conflit syrien au Liban. L�universitaire, par ailleurs tr�s critique � la fois contre le r�gime syrien qu�il qualifie de �r�gime sans issue� et la classe politique libanaise, estime que �le Liban, sous le gouvernement actuel, est l�un des derniers pays arabes � avoir des relations avec la Syrie de Bachar Al-Assad. Je ne vois donc pas o� serait l�int�r�t du r�gime syrien � exporter le conflit�. Quinze ans de guerre civile (1975-1990), vingt ans d�occupation isra�lienne du Sud- Liban, guerre isra�lienne destructrice en ao�t 2006, avec � l�arri�re-plan cette s�rie d�assassinats non �lucid�s ayant frapp� des personnalit�s libanaises dont l�ex-Premier ministre Rafik Hariri, font que les Libanais aspirent � autre chose qu�� s�impliquer dans une guerre civile syrienne dont personne n�est en mesure de pr�voir l�issue.