Cette journée, qualifiée par les Fedayins de «Bataille de Tlemcen», reste l'un des événements les plus mémorables avec l'assassinat du Dr Benzedjeb. Pourtant, ces hauts faits d'armes ont failli passer inaperçus sans le témoignage des rescapés de ce massacre perpétré par les soudards de l'armée coloniale. Dès le début de l'année 1957, la peur a changé de camp, les jeunes fedayins, dont l'âge ne dépassait pas les 20 ans, ont complètement changé la donne en portant le combat dans le fief de l'ennemi. Cette stratégie s'avéra payante, les forces coloniales se sont retranchées à l'intérieur du centre urbain pour protéger leurs populations, ce qui a permis aux djounoud de l'ALN de se réorganiser dans les djebels et de planifier les offensives. Pour les Tlemcéniens, la journée du 4 juin est la journée la plus longue durant la nuit coloniale. Nous avons pu retrouver les traces d'un maquisard de la première heure qui a participé à ce face-à-face d'une rare violence, qui a fait plus de 40 morts parmi la population ; et pour la première fois, le corps expéditionnaire a franchi le Rubicon du crime, l'imam de la Grande Mosquée, cheikh Benosman, est assassiné froidement au pied du mihrab alors que le muezzin appelait à la prière d'el-asr. Boucif Chikhi, un jeune maquisard, était présent sur les lieux de la bataille. Il nous livre son témoignage : «Durant cette journée, nous avons décidé de lancer une grande offensive dans la guérilla urbaine. Il fallait que l'occupant sache que nous pouvions le frapper quand on voulait et là où il s'y attend le moins. Ce jour-là, nos commandos ont lancé six grenades en l'espace de quelques heures, ce qui a complètement désarçonné les stratèges de la sécurité française. » Il ajoute : «Tout a commencé quand l'un des fedayins a lancé une grenade dans l'enceinte de la medersa occupée par saliguene (les Sénégalais). Cette opération de grande envergure était dirigée par un responsable connu sous le nom de Tahar, le cordonnier. Quant à moi, j'ai lancé une grenade à 10h du matin, au passage d'un camion militaire au nord de la ville près du tombeau du rabb Ephraïm Enoua (cimetière israélite)». Même les détenus de la prison civile ne furent pas épargnés par la folie meurtrière des parachutistes qui ont tiré sur les prisonniers. Ces derniers faisaient les cent pas dans la cour de la prison. Le sinistre général Bertrand a fait appel aux troupes sénégalaises connues pour leur «sans pitié» pour mater la population civile. Pour la première fois, depuis le déclenchement de la révolution, la ville de Sidi Boumediène vivait son premier siège colonial, les quartiers populaires étaient isolés, des fils barbelés et des barrages furent dressés pour isoler les maquisards qui réussissent à regagner leurs bases après avoir mené des raids meurtriers contre les forces de l'occupant. Faut-il rappeler la date symbolique du 27e jour du Ramadan où les combattants de l'ALN ont pénétré en plein centre-ville pour assister une population désarmée, assiégée et prise en otage par les parachutistes qui ont battu en retraite dès l'arrivée des moudjahidine qui ont pu desserrer l'étau. Ces valeureux combattants ont repris le chemin du maquis sous les youyous des femmes qui ne pleuraient plus leurs morts, mais saluaient leurs frères qui luttaient pour l'indépendance du pays. En nous narrant ces événements sanglants, Boucif, le maquisard, l'un des rares rescapés de ce massacre collectif, avait le regard lointain comme s'il voulait revivre cette journée en hommage à ses compagnons tombés au champ d'honneur. Rappelons que Boucif Chikhi, cet authentique nationaliste, a rejoint la révolution très jeune en 1956 aux côtés d'Amine Bekhchi et Bachir Brixi, deux grandes figures de la Révolution et dignes enfants de Tlemcen, et c'est sous la houlette de Masmoudi, un expert en explosifs et maniement des armes à feu que le jeune Boucif deviendra un as de la grenade. Il connaîtra les affres des geôles coloniales, il sera libéré à l'indépendance, mais il exprime aujourd'hui une certaine amertume contre... l'oubli.