Trois romancières de différentes générations ont proposé à Alger des regards croisés sur la guerre de Libération à travers l'évocation de récits littéraires inspirés d'événements personnels liés à cette période historique. Invitées dans le cadre du 6e Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (Feliv), Christelle Baldeck, Monique Rivet (France) et Maïssa Bey (Algérie) ont parlé de leurs oeuvres romanesques où l'histoire a nourri les fictions qu'elles ont imaginées en s'appuyant sur leur vécu personnel et familial. Pour Christelle Baldeck, née en 1976, le «silence» de son père sur sa participation en tant que soldat de l'armée française à la guerre a, en partie, inspiré son roman Sujets tabous (2011) dans lequel un Français et un émigré algérien accompagnent à Alger une jeune Française qui a découvert, après la mort de son père, des carnets de guerre dans lesquels ce dernier avoue avoir commis un viol. Par ailleurs, les «violences» subies par l'écrivaine durant son enfance ont également inspiré son roman, qu'elle estime avoir écrit pour faire ce que son père, et le père du personnage «n'ont pas pu faire de leur vivant, demander pardon». Monique Rivet a, pour sa part, témoigné de son expérience d'enseignante à Sidi-Bel-Abbès en 1956 qui a inspiré son livre Le Glacis (2012), écrit à son retour en France en 1960 mais publié plus de cinquante ans après. Dans ce roman, refusé à l'époque par son éditeur, Monique Rivet dit avoir voulu dénoncer «la réalité coloniale basée sur la domination» qu'elle a découverte en arrivant en Algérie pour «enseigner les valeurs républicaines de la France». «Je retrouvai la même tentative de déni d'identité que représentait pour ma génération le nazisme», dira-t-elle à propos du système colonial, pointant du doigt le contraste entre les «valeurs des droits de l'homme», fondatrices de l'Etat français et la réalité de la «ségrégation coloniale qui reposait sur l'idée d'infériorité». Maïssa Bey a, quant à elle, lié son roman Entendez-vous dans les montagnes (2002) à la mort de son père sous la torture de l'armée coloniale, un fait qu'elle a mis longtemps avant de pouvoir retranscrire dans une fiction. «La scène de torture de mon père était comme une chambre noire dans mon esprit que je n'arrivais pas à éclairer, ce roman m'a permis de le faire en partie», dira-t-elle. La rencontre a été animée par les trois romancières dans le cadre des journées «Trois jours pour l'histoire» qui ont réuni depuis vendredi dernier des témoins de la guerre d'indépendance, des écrivains et des universitaires autour de la relation entre récit intime et récit historique. Ces journées ont été clôturées par un hommage à l'écrivaine algérienne Yamina Mechakra, disparue en mai dernier, avec la lecture d'extraits de son livre La grotte éclatée par des élèves du lycée Les Glycines.