Le dernier film de Youssef Chahine semble vouloir faire le tour de ses sentiments, amoureux et haineux. Une œuvre personnelle o� il m�le et d�m�le les nostalgies d'un pass� heureux mais difficile, et signe, de plus belle et pour de bon, ses opinions politiques d'un sceau br�lant qui se veut ind�l�bile sur le front des t�tes pensantes de l'Etat am�ricain, qui, dans l'aveuglement de l'imp�rialisme ascendant, tue par les armes ou laisse mourir impassiblement des peuples entiers. Alexandrie… New York est le film le plus abouti de ce grand r�alisateur �gyptien, tant techniquement — cela n'�tonne plus de la part de Youssef Chahine — qu'en �criture et en mise en sc�ne. En deux heures, Chahine, autobiographique, parle essentiellement et continuellement d'amour. De l'amour qui r�siste malgr� l'absence ; de l'amour qui na�t avec l'enfant, et de l'amour sem� sur une terre d'accueil dont l'hospitalit� ne subsiste que dans les souvenirs lointains. Y�hia, le personnage principal, est un r�alisateur tr�s connu dans son pays et ailleurs, mais curieusement, il est non reconnu sur le sol qui a fait de lui ce cin�aste 50 ans auparavant. Lors d'un dernier voyage, Y�hia, compte enfin s'approprier cette reconnaissance et quitte sa ch�re Alexandrie pour retrouver son vieux r�ve abandonn� � New york. Du r�ve, il n'en reste pas grand-chose, l'Arabe de l'universit� de Californie se sent � nouveau marginalis�. Autrefois parce qu'il �tait diff�rent des autres, cette fois parce que les autres sont devenus indiff�rents, happ�s par le tumulte du quotidien, focalis�s sur le gain et orgueilleux de pouvoir, ils ne pr�tent plus attention aux autres. Ce n'est pas le cas de Ginger, son premier grand amour, qui, depuis son d�part, compte les ann�es, les jours et m�me les heures qui la s�parent de l'homme de sa vie. Mais Y�hia n'est pas � sa derni�re �motion et, � sa plus grande surprise, Ginger lui pr�sente son fils, son unique fils, Alexandre. Seulement voil�, l'euphorie du p�re ne partage rien avec le m�pris du fils. Leur relation devient tr�s vite une miniaturisation de celle qui s�vit entre les Etats-Unis et le reste du monde. L'ignorance et l'insolence d'Alexandre qui refuse un p�re arabe, sous-d�velopp�, finit par exasp�rer Y�hia d�j� d��u par la m�tamorphose cauchemardesque du pays de son r�ve. En faisant des personnages principaux des danseurs hors pair, Youssef Chahine r�cidive, apr�s Silence... on tourne, avec la com�die musicale richement �labor�e et profond�ment inspir�e des spectacles hollywoodiens des ann�es 1950. Il se r�introduit � nouveau dans les m�andres des relations amoureuses souvent complexes et incomprises et � travers le jeu excellent de Mahmoud Hemeida et de Youssra. Chahine nous filme des sc�nes exacerb�es d'�motions. Entre retrouvailles et d�chirement, d�couverte de l'autre et d�ception, le spectateur vacille entre sourire et moue triste, et ce, du d�but � la fin. Quant aux flash-back de Y�hia nous montrant les visions joyeuses que garde Youssef Chahine de sa jeunesse en Am�rique, il ne se tra�ne que des regrets, car les discours du m�me personnage tombent tel un lourd rideau de fer sur cette gaiet�, le m�me rideau qui chaque jour guillotine l'espoir des Palestiniens. D'ailleurs, c'est pour eux que Chahine revient sur ce film comme sur son pr�c�dent court m�trage, le 11 septembre, � d�noncer la sauvagerie et le machiav�lisme d'un Etat oppressif et criminel. A 78 ans, si Youssef Chahine d�cide d'arr�ter la r�alisation, ce film m�riterait amplement de cl�turer avec gr�ce et grandeur la longue carri�re de ce pionnier et ma�tre du cin�ma �gyptien.