Par Hassane Zerrouky La question est sur toutes les lèvres : le vote utile a-t-il joué en faveur du parti Nidaa Tounès de Caïd Essebci ? Par peur de ce que représente Ennahda, et ce, en dépit des garanties données par ce parti pour respecter la démocratie et ses règles, Nidaa Tounès est apparu à de nombreux Tunisiens comme une sorte de parti-refuge, une sécurité contre les menaces pesant sur le pays. Il faut dire qu'en deux ans et plus de gouvernement d'Ennahda, que ce soit sous la gouvernance du Premier ministre islamiste Hamadi Jebali ou sous celle de son successeur l'islamiste Ali Larayedh, les Tunisiens ont eu de quoi être inquiets. Les hésitations et tergiversations pour ne pas dire le laxisme dont a fait preuve le gouvernement d'Ennahda à l'égard des violences islamistes contre les artistes, les femmes, les intellectuels, sur fond d'assassinat de deux figures du mouvement progressiste tunisien – Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi – n'étaient pas pour les rassurer. Les propos tenus par Ali Larayedh, quand il était ministre de l'Intérieur, affirmant contre l'évidence qu'il n'y avait pas de maquis islamistes mais qu'il s'agissait de simples randonneurs, auront été la goutte d'eau de trop. Et ce, avant qu'Ansar Charia ne commette une série d'attaques meurtrières. Les progressistes tunisiens ont certes été victimes du vote utile en faveur de Nidaa Tounès, mais pas seulement, car ils n'étaient pas exempts de reproches. En 2006, n'ont-ils pas créé le Comité du 18 octobre (alliance entre Ennahda et les progressistes : le PCOT de Hama Hammami, Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar, le CPR de Moncef Marzouki, le PDP de Nejib Chebbi, le défenseur des droits de l'Homme Kamel Jendoubi et des personnalités sponsorisées par l'Internationale socialiste comme Sihem Bensedrine) contre le régime de Ben Ali. Adoubé par la gauche et les démocrates libéraux, Ennahda s'était vu décerner, sans avoir fait la moindre concession, des galons de parti démocrate opposé à la dictature de Ben Ali. Mieux, les démocrates tunisiens, exceptés l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATDF), le parti Ettajdid et d'autres personnalités, disaient à qui voulait les entendre, qu'Ennahda n'était pas porteur d'un projet d'Etat théocratique. En 2011-2012, au plus fort des violences contre les femmes, les artistes et les intellectuels, des progressistes tunisiens n'ont-ils pas incriminé les «sbires» de Ben Ali. Il a fallu l'assassinat de Chokri Belaïd pour que certains ouvrent les yeux. Et bien qu'ils aient par la suite rectifié le tir, fait face aux menaces islamistes, arrachant de haute lutte une Constitution démocratique et civile, les progressistes tunisiens n'ont pas été payés de retour : une partie des électeurs a préféré voter pour Nidaa Tounès qui, dès sa création en 2012, a appelé sans attendre à la mobilisation contre la menace islamiste, rassemblant derrière le nom de son fondateur Caïd Essebci, des ex-communistes, d'ex-militants de l'extrême-gauche, des socialistes, des libéraux, des anciens du RCD de Ben Ali, cette frange de bourguibistes marginalisée par Ben Ali, cette mouvance religieuse opposée aux Frères musulmans et aux salafistes, des pans entiers de la société civile et des syndicalistes de l'UGTT... Quant à ceux qui avaient choisi de poursuivre jusqu'au bout leur concubinage avec Ennahda, ils ont été lourdement sanctionnés. Le CPR (Congrès pour la République) du président Marzouki n'a obtenu que quatre sièges contre 29 en 2011. Idem pour Ettakatol, membre de l'Internationale socialiste, de Mustapha Benjaafar (2 sièges contre 20). Autrement dit, ces deux partis, qui formaient avec Ennahda la «troïka» qui a gouverné la Tunisie de novembre 2011 à janvier 2014, ont été réduits à l'état de groupuscule. Quant à Ennahda (68 sièges contre 89 en 2011), qui a mieux résisté, il reste dans le jeu. Et entend bien peser sur les évolutions à venir, notamment l'élection présidentielle où Caïd Essebci est candidat.... On y reviendra.