Foulard noué au coin de la tête, chevelure flamboyante au henné, lunettes suspendues au bout du nez, canne en bois à la main, et la main toujours sur le cœur prête à secourir le petit-fils ou la petite-fille au grand dam des parents, un placard aux allures de cache au trésor avec bonbons et autres gâteaux secs... l'image est tristement bien lointaine. Les grands-parents des temps modernes veulent rattraper le temps perdu et vivre une seconde jeunesse. A présent, c'est plutôt basket, casquette, permis de conduire dans le sac et sac à dos dans la voiture. La citadinité a changé la configuration et les ambitions de la famille. La grande famille disparaît et avec elle son corollaire de valeurs et sa solidarité. Une nouvelle génération de grands-parents apparaît : «les papys et mamys 2.0». Il n'y a qu'à voir l'explosion du business des garderies, des crèches et des écoles privées avec condition de cantine pour s'en rendre compte : les grands-parents d'antan sont morts de leur plus belle mort. Subsiste-t-il encore des grands-parents à l'ancienne ? Nous en avons rencontré et ce fut bien laborieux de les trouver. Quels rôles jouent les grands-parents d'aujourd'hui au sein de la famille? Et quelles relations construisent-ils avec les parents et petits-enfants ? Nous en avons fait parler quelques-uns et donné la parole aux nouveaux parents. Le moins qu'on puisse conclure c'est que la famille algérienne, la citadine essentiellement, traverse une profonde crise due à un processus de mutation des mentalités et des besoins. Fatima, grand-mère retraitée de l'éducation : «J'ai trop travaillé. J'ai le droit de vivre» Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Fatima, puéricultrice de métier, autrement retraitée de l'éducation, se refuse à toute idée de prolonger sa carrière à travers son statut de grand-mère que lui a conféré son fils. Elle qui a passé toute sa vie à dorloter les enfants des autres et dont elle est fière de rappeler que tel médecin ou ingénieur du quartier est passé par son établissement, n'envisage pas d'en faire autant. «J'ai trop travaillé, je me suis sacrifiée pour mes enfants en me privant de tout. Maintenant, c'est à mon tour de profiter des quelques années qui me restent à vivre avec ma modeste pension de la Fonction publique». Compréhensible ? Certainement. Mais attendons d'écouter le fils. Karim, fils de Fatima et cadre supérieur dans une administration publique : «Mes grands-parents étaient tout pour moi» «Je n'ai rien contre le fait que les grands-parents de mes enfants puissent profiter de leur vie. Je suis même très heureux pour eux. Par contre, il y a quelque chose comme une vague de fond qui travaille la société et qui donne l'allure d'une transition générationnelle mal assumée. Les grands-parents d'antan étaient illettrés, mais par contre d'une disponibilité inégalable. Moi, personnellement et bien que ma mère travaillait dans une crèche publique, la grand-mère paternelle refusait catégoriquement à ce qui j'y sois. Il y avait la tradition de l'aîné et j'ai ouvert mes yeux sur le monde par le regard de mes défunts grands-parents. J'ai passé chez eux toute mon enfance et une partie de la scolarité primaire. Mes oncles sont comme des grands-frères. Aujourd'hui, mon fils réclame souvent sa grand-mère mais elle est complètement absente, du moins dans l'idée que je me fais d'une grand-mère. Les seuls souvenirs qui existent sont ceux des fêtes religieuses. Alors que moi, je garde de mes grands-parents toutes leurs attitudes, habitudes, réflexes et réflexions, odeurs... ils étaient là à mon premier jour d'école. La première à qui j'ai annoncé mon succès au baccalauréat était ma grand-mère. A vrai dire, je l'ai croisée sur le chemin du retour alors qu'elle courait avec mon oncle vers le lycée pour avoir le résultat. Pendant ce temps ma mère était à la maison. Mon père aussi. Cette année, mon fils a fait sa première rentrée des classes. Les grands-parents étaient ailleurs... dans une station thermale à mille lieux de l'évènement. Cela en dit long sur le nouvel état d'esprit de la nouvelle génération de grands-parents» Nardjes, employé de bureau : «Ma mère m'aide beaucoup» Nardjes, employé de bureau, a conclu un deal avec sa maman. Au lieu de débourser des milliers de dinars et autant de stress dans un établissement privé, elle les reverse directement à sa mère qui à son tour n'hésite pas à le consacrer aux deux petites-filles qu'elle garde pendant la semaine. «La grand-mère de mes filles est une vraie femme de foyer. S'occuper des enfants est pour elle quelque chose de très naturel. Pas que des miens mais aussi ceux de mon frère aîné et mes sœurs. Elle a toujours rêvé d'une famille nombreuse et franchement cela est d'une aide inestimable pour moi. Je me rappelle que lorsque nous étions encore étudiantes, elle se projetait déjà à travers nos enfants et ce qu'elle allait pouvoir faire avec eux. Cela n'empêche pas la grand-mère de mes filles d'être à la page. Il n'y a rien d'antinomique. Elle a son compte facebook comme toutes ses amies, sa voiture, ses activités et de temps à autre pratique même du sport.» Salima, femme au foyer et mère de Nardjes : «Il faut donner pour recevoir» Depuis que son défunt mari a quitté ce monde prématurément, Salima n'a d'yeux que pour ses enfants. Pour elle, la vie se résume à un échange : «Donner pour recevoir. Je donne de mon temps et j'ai en contrepartie un bonheur qui comble ma vie. Aujourd'hui mes petits-enfants exigent que je parte avec eux en vacances. Je m'y refuse car ils doivent vivre au sein de leur petite famille, mais j'avoue que cela me rend très heureuse de me savoir autant aimée.» Et comme le disait plus haut sa fille Nardjes, il n'y a rien de contradictoire à profiter de la vie même en ayant toute la journée deux ou trois petits-enfants. «En quoi, dit-elle, cela gênerait-il que je les emmène chez une amie ou qu'ils m'accompagnent au marché ? Si vous voyez mon compte facebook, c'est une compilation de souvenirs avec mes petits-enfants». Comme quoi, la modernité est conciliable avec la tradition.