De notre envoyée spéciale à Tunis, Sarah Haidar Le long métrage Omar de Hany Abou Saad (Paradise now, 2005) a été projeté lundi au Théâtre municipal de Tunis dans le cadre des 25es Journées cinématographiques de Carthage. Contrairement à son précédent film, le cinéaste parvient à tisser un récit à la fois puissant et nuancé où la question palestinienne se révèle dans toute sa complexité. Prix du jury «Un certain regard» au Festival de Cannes, Oscar du meilleur film étranger... Autant dire que le cinéaste palestinien Hany Abou Saad a su brasser dans Omar les multiples aspects cinématographiques et politiques qui correspondent aussi bien à un certain type de films chocs qu'à une forme de cinéma engagé. Mais si dans Paradise now, le réalisateur privilégie le spectaculaire et tend souvent à expliquer le phénomène traité, il élabore dans Omar un langage beaucoup plus convaincant grâce notamment à un scénario tout en reliefs et à l'interprétation généreuse de l'ensemble des acteurs. De plus, le souci d'objectivité parfois trop appuyé de Paradise now est entièrement balayé dans ce nouveau film où Hany Abou Saâd opte pour un choix épidermique, sanguin et subjectif. Omar campé par l'excellent acteur Adam Bakri vit en Cisjordanie. Il risque quotidiennement sa vie en escaladant le mur d'apartheid afin de rejoindre ses deux amis d'enfance Tarek et Amjad, mais surtout pour voler quelques mots en compagnie de Nadia (Leem Loubany), son amoureuse. Le trio exécute une attaque contre un camp militaire israélien, suite à laquelle Omar est arrêté, torturé et confronté au choix de passer sa vie en prison ou bien trahir les siens. Il a affaire à un agent machiavélique (Waleed Zuaiter) qui alterne brutalité et humanisme pour convaincre le jeune Omar. Mais au milieu de ce thriller psychologique, il y a aussi une histoire d'amour aussi attendrissante que fragile qui ne tardera pas à se confondre avec le propos politique et devenir un enjeu dramatique essentiel. C'est sans doute grâce à cette bicéphalie narrative qui joue sur les demi-teintes, les mises en abîme, l'intrigue et l'épaisseur psychologique des personnages, que Abou Saad offre un cinéma en perpétuel mouvement dont la mise en scène tantôt grisante tantôt lyrique suscite de fortes émotions, des frissons de suspense et de la réflexion. Le regard qu'il porte sur la question palestinienne est loin d'être ce schéma manichéen rebutant qui a tant caractérisé les nombreux films sur ce thème. Son écriture maîtrisée et son intimisme poétique permettent à Omar de transcender un nombre de poncifs véhiculés sur le drame palestinien mais surtout d'éliminer intelligemment le «prêt-à-penser». Omar et ses amis ne sont pas des soldats de plomb piochés dans un catalogue démagogique ; l'agent israélien n'est pas cet ogre barbare et déshumanisé ; les Palestiniens ne passent pas leurs journées à se faire exploser ou à pleurer sur leur sort, ils sont aussi capables de s'aimer, s'amuser, raconter des blagues décapantes, vivre, tout simplement. Le film est cependant très politisé puisqu'il questionne le cheminement personnel d'individus anonymes qui aboutira au choix de la Résistance : les vexations, les humiliations gratuites, le mur, l'injustice... Il montre également une atmosphère de suspicion et de violence qui règne au sein des cellules de combat palestiniennes. Abou Saad n'hésite pas à faire des digressions documentaires à travers des scènes dont l'extrême violence est aussi psychologique que physique. Malgré une fin bâclée, Omar est certainement le film le plus conséquent de Hany Abou Saad qui semble touché par la grâce tant son œuvre joint l'élégance à la force politique et le thriller à l'exigence esthétique. Il ne serait pas exagéré de dire que ce film est, au même titre qu'un poème de Mahmoud Darwich, une sublimation de l'être palestinien.