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POLEMIQUE SUR LA MORT DES COLONELS AMIROUCHE ET LOTFI
Saïd Sadi réplique à Deroua
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 12 - 2014


Par Saïd Sadi
L'injonction de Goebbels n'est pas encore assumée mais elle doit figurer en bonne place dans le bréviaire des citations de M. Deroua. A lire sa réaction du 21/12/2014 c'est, en effet, celle qui reflète le mieux la dernière opération de désinformation dont il est chargé.
La sortie de la quatrième édition du livre dédié au colonel Amirouche avec les révélations portant, notamment, sur l'ordre de Boussouf d'exécuter le colonel Lotfi a rallumé les passions.
Confiscation mémorielle
Pour les censeurs de la mémoire, le problème n'est pas que pareil ordre ait été donné mais que je rende public le témoignage de l'officier qui a refusé d'y donner suite. On était pourtant en droit d'espérer qu'après les assauts lancés par les spadassins du Malg une année durant contre la première édition, ces nouveaux apports allaient enfin permettre d'ouvrir les pages les plus douloureuses de notre histoire.
Voyant venir dès le départ les diversions visées par le polémiste, je m'étais interdit de d'alimenter une provocation destinée à polluer le débat de fond afin d'égarer, une fois de plus, la délicate problématique de l'Histoire de la guerre de Libération dans l'invective et les contre-vérités les plus grotesques. Pour des raisons que je vais essayer de décoder, M. Deroua s'abîme dans la grossièreté jusque et y compris sur des faits historiques ou des évènements politiques dont l'observateur le moins avisé peut retrouver les fondements et les réalités. Plusieurs patriotes ayant vécu de près le tragique dénouement de la guerre m'ont contacté pour confirmer ce que l'on savait par déduction. Ces incohérences et mensonges ne sont pas des travers exclusifs de M. Deroua. Ils sont emblématiques de la stratégie qui guide la conception de la nation depuis 1962. L'Histoire est un levier de pouvoir, ceux qui la confisquent mentent délibérément pour bien signifier au citoyen que l'Etat n'est qu'un instrument de domination. La tactique est violente : c'est l'anathème où tout le monde perd ou le silence ; d'où le retrait des témoins les plus dignes, laissant la mémoire otage des clans les moins scrupuleux. Certains anciens membres du Malg ont même estimé que les dernières réponses de M. Deroua sont écrites à plusieurs mains.
C'est donc pour tenter de déconstruire la campagne en cours que je m'oblige à reprendre la litanie des slogans frelatés de M. Deroua. L'individu n'est intéressant que dans la mesure où il est une caricature d'une école politique qui a dégradé la cité algérienne.
L'imposture revendiquée
Pour l'école stalino-goebbelienne, l'adage est simple : «Plus c'est gros, mieux ça passe.»
Apprécions la mise en bouche. «Tout d'abord, je me permets de lui rappeler son voyage en Afrique du Sud où je l'ai fait recevoir par... Thabo Mbeki, le président de la République d'Afrique du Sud», car, ajoute l'entremetteur autoproclamé : «M. Saïd Sadi a oublié que dans le cadre de l'adhésion de son parti à l'Internationale socialiste, il fallait l'agrément préalable à l'échelle des pays africains membres de cette institution. C'est ainsi que je lui ai préparé ce voyage d'une semaine...» !
Devant tant d'affabulation, on serait tenté de croire à de la mythomanie ou, si l'on veut être plus compassionnel, à la sénilité. On verra qu'il y a plus que cela.
Le voyage que j'ai effectué en République d'Afrique du Sud en avril 2001 a été préparé par son ambassadeur à Alger, Raiz Shaik. Cette mission avait été décidée dans la foulée du colloque international organisé par le RCD à Alger les 2 et 3 décembre 1999 aux Pins-Maritimes au cours duquel sont intervenues une vingtaine de personnalités nationales et étrangères devant 700 participants dont une majorité venait de la société civile. Personne au RCD n'avait alors entendu parler de M. Deroua.
C'était l'époque de la concorde civile qui annonçait une désastreuse «réconciliation nationale». Le RCD, ayant publiquement préconisé une démarche adossée à la justice et à la transparence pour dépasser la crise sanglante qui endeuillait le pays, avait demandé à l'ambassadeur d'Afrique du Sud de venir exposer l'expérience de son pays à travers les mécanismes de la commission vérité et justice qui a permis de résorber les séquelles de l'Apartheid. Les actes de ce colloque contiennent l'intervention intégrale de Raiz Shaik. On n'y retrouve pas la moindre allusion à l'adhésion à l'Internationale socialiste à laquelle serait lié le voyage de 2001. Une fois l'invitation lancée par l'ambassadeur, Pretoria, qui avait pourtant donné son accord de principe, garde le silence. Perplexe, son représentant à Alger relance la démarche et à la rentrée de septembre 2000, il m'appelle pour demander une audience. Je le reçois pour l'entendre me dire que l'ambassadeur d'Algérie avait mené une guerre de harcèlement effrénée auprès du gouvernement sud-africain pour le dissuader de recevoir un «contre-révolutionnaire» plusieurs fois emprisonné pour activités subversives...
J'appelle Ali Benflis, alors chef du gouvernement, pour l'informer des manœuvres du diplomate algérien en lui disant que ces indignités devaient cesser instamment, faute de quoi j'allais faire de cette perversion institutionnelle une affaire publique.
Il me rappelle trois jours après pour me dire qu'aucune autorité d'Alger n'est à l'origine de cette cabale et que le coupable, sommé d'arrêter ses intrigues, a même été instruit pour faciliter le séjour en cas de besoin. J'ai revu récemment Ali Benflis, nous avons brièvement évoqué les gesticulations de M. Deroua et, naturellement, il n'a aucun souvenir de son implication dans cette visite.
Au début du mois de novembre 2000, je reprends contact avec Raiz Shaik pour lui dire que le sectarisme du représentant d'Alger n'était que l'expression d'un zèle et d'une obséquiosité par lesquels certains commis de l'Etat essayent de prouver leur vassalité pour protéger leur carrière.
C'est donc à partir de la fin de l'année 2000 que les préparatifs ont été à nouveau engagés pour arrêter une date qui convienne à la visite. Pour le plus grand malheur de M. Deroua, un journaliste du Soir d'Algérie avait fait partie du voyage.
A l'exception du tête-à-tête avec Thabo Mbeki, il a assisté, lui aussi, à la douzaine de rencontres ou de réunions qui ont eu lieu à Prétoria ou Johannesburg. Elles ont associé des partis, dont l'ANC, des associations de femmes, des juristes, des syndicats, des intellectuels, le SAIA (South African Institute of International Affairs)... Toutes ont porté sur la situation algérienne, l'essor sud-africain et les perspectives de reconstruction d'une société multiculturelle et multiconfessionnelle déstructurée par l'un des pires avatars politiques de l'histoire contemporaine.
Il suffit d'ailleurs de relire les comptes-rendus quotidiens de l'envoyé spécial du Soir d'Algérie pour savoir que l'adhésion à l'Internationale socialiste n'était en aucune façon l'objet de la mission.
La fuite en avant
M. Deroua, prompt à enfoncer le coing dans le moindre interstice, écrit à mon endroit : «Son égoïsme l'a poussé à ne pas se faire accompagner chez le Président (sud-africian)» par son collaborateur.
S'immergeant davantage dans l'imposture, il ajoute : «Il s'en est vanté auprès de ses militants, de ses compagnons, de ses collaborateurs et même dans une interview accordée au journal El Watan du 7 avril 2002.
Passons sur les écoutes de M. Deroua qui lui permettraient de suivre en temps réel des «confidences» que j'aurais faites à mon entourage. L'interview que j'ai accordée à El Watan le 7 avril 2002 est disponible sur le site http.//www.amazigh.world.org. Sur les deux pages de l'entretien, il n'y a pas une question se rapportant à l'Afrique du Sud et encore moins aux propos désobligeants que j'aurais tenus devant les militants. Cela s'appelle de la diffamation.
Mais le malgache sait ce qu'il fait. La numérisation des archives d'El Watan remonte à 2004. En référer à une interview d'avril 2002 permet toutes les escroqueries puisque le lecteur ne peut accéder à la source citée. Le Malg dans toute sa splendeur !!
Mais restons sur le dossier concernant l'Internationale socialiste puisqu'après s'être déclaré leur compagnon d'armes pour se hisser au niveau des Abane, Ben M'hidi, Boudiaf, Benboulaïd, Amirouche et Lotfi, M. Deroua s'octroie une autorité qui en fait l'intermédiaire, voire le parrain des relations internationales du RCD.
Moins d'une année après la création du RCD, nous avions rencontré Pierre Mauroy et Claude Estier. Notre adhésion à l'Internationale socialiste était posée. Par la suite, elle sera abordée à quatre reprises avec François Hollande après son installation à la tête du PS français. Si les responsables sus-cités considéraient la présence du RCD à l'IS comme un gage de la capacité d'adaptation du socialisme français à la nouvelle Algérie, son secrétariat aux relations internationales, parti dans le parti, était toujours rivé aux conceptions surannées de la SFIO, qui faisaient des anciennes colonies une zone d'influence réservée d'où la gauche européenne devait être tenue à la marge. Ni le soutien actif du SPD allemand ni celui des socialistes italiens, espagnols ou grecs n'ont pu venir à bout du veto français. La politique du RCD qui renvoyait dos à dos la tutelle militaire et la perspective théocratique, ne cadrait pas avec l'équation du PS français, trop pressé de voler au secours de la victoire islamiste pour s'exonérer de sa longue complicité avec le FLN. Signalons enfin que l'accord des partis africains n'est en rien un préalable à l'adhésion. Chacun aura compris la vanité de M. Deroua à s'inviter dans de tels enjeux.
Comment et pourquoi les Deroua et consorts poussent l'effronterie à un tel paroxysme, sachant qu'il est aisé d'en défaire les artifices ? Le propre des provocateurs des systèmes totalitaires n'est pas de convaincre ou d'être crédibles mais de semer le trouble. L'ENTV n'est pas crue par les Algériens. Elle n'en continue pas moins de distiller chaque jour ses balivernes.
Nostalgie des ténèbres
Mais pour bien instiller l'idée que la police politique s'immisce partout, voilà que M. Deroua s'époumone à vendre «une relation» avec moi qui aura duré dix longues années ! M. Deroua a demandé à être reçu à deux (2) reprises. Ayant assez rapidement obtenu certaines informations à son sujet, je ne l'ai plus jamais revu dans une rencontre formelle. Croisé à deux reprises dans les ambassades où il est effectivement souvent présent, je l'ai salué sobrement ; salut qu'il transforme aujourd'hui en supplique le pressant de daigner accepter une dédicace de mon livre !
Le fait est que M. Deroua n'a jamais été invité aux congrès du parti ni à ses universités d'été ni aux divers colloques au cours desquels ont été associées des centaines de personnalités nationales et étrangères. Enfin, où est la logique de l'homme raffiné qui explique à longueur de colonnes qu'il est d'une grande éducation et qui s'encombre d'une relation de dix ans avec l'égoïste grégaire qu'il dénonce par ailleurs ?
Depuis cette polémique, je me suis interrogé sur la question de savoir pourquoi cet individu s'escrime à fantasmer sur une relation assidue avec quelqu'un qu'il voue aux gémonies. La réponse m'a été donnée par les anciens membres du Malg cités plus haut. Le label RCD a probablement été utilisé à notre insu pour introduire des entremises auprès de proches ou de sympathisants du parti. Dès lors que la proximité usurpée servant d'amorce à des approches intéressées est dévoilée, le personnage qui en a abusé est démasqué. Il fallait donc sauver les apparences en montant le scénario d'une intimité fabriquée. Alger grouille de ces experts et conseillers qui se revendiquent de connaissances, soutiens, jouant probablement la dernière partition de la guerre froide.
Obsédés par les pratiques occultes, les Deroua ne peuvent pas concevoir de vie institutionnelle où le citoyen observe, conteste et, le cas échéant, sanctionne. L'intérêt personnel et l'action politique sont fondus dans le même moule. Opaque et inaccessible.
Demain, un Deroua peut déblatérer sur la vie privée d'une personne ou déclarer sans rougir qu'il a écrit ses discours, formé les militants d'un parti, organisé ses structures ou, pourquoi, pas ses congrès... Dans la Guépéou l'essentiel est d'épaissir le brouillard. Certes, les temps ont bien changé mais l'autisme tchékiste est plus fort que l'épreuve de réalité.
Le best-seller qui ne passe pas
Après ces outrages à la morale, la raison et la vérité, M. Deroua, rattrapé par ses reflexes de maître-chanteur, marque de fabrique de l'underground malgache, sous-entend, suggère puis menace de déverser «ses secrets» si le citoyen continue à investir l'Histoire ! Il lance sa salve de «scoops», «perles» et autres «torpilles» contre l'enquête relatant la vie et la mort d'Amirouche, investigation qui lui est manifestement restée en travers de la gorge. Le tourment est tel que la langue fourche. Cela fait une demi-douzaine de fois que le terme de «best seller» lui écorche la bouche. En même temps, il qualifie l'ouvrage de «catastrophe» ; ce en quoi il n'a pas tort. Ce livre est, en effet, une catastrophe pour le clan d'Oujda puisqu'il était, au moins en partie, destiné à soulever la chape de plomb posée sur notre passé.
Toujours animé par le tact et la mesure qui le caractérisent et avec un sous-titre rageur qui dénonce «l'homme politique d'envergure qu'il veut être», il me reprend à propos de Bourguiba et me cite : «Il ne faut pas oublier qu'en 1948, il (Bourguiba) avait fermement recommandé aux Palestiniens d'accepter le partage qui leur était proposé.» Ajoutant : «Oui M. Saïd Sadi a raison pour la recommandation mais il se trompe drôlement sur la date. Ce discours a été fait le 3 mars 1965 à Jéricho... que peuvent penser de lui les hommes politiques qu'il a fréquentés après pareille bévue.»
Niaiserie, inculture, négationnisme ? Le discours de Jéricho est l'aboutissement d'une ligne politique engagée par Bourguiba bien avant. Il suffit de taper sur Google Bourguiba-Palestine-1948 pour voir défiler les déclarations et les recommandations faites aux Palestiniens par le leader tunisien à partir de novembre 1947, mais c'est vrai que lorsqu'on a goûté aux délices d'El Moudjahid dont le fonds documentaire se limitait à une sélection de fiches jaunies de la SM, les propos et décisions des hommes politiques non affiliés au nassérisme expansif, dont le Malg fut le cheval de Troie dans la révolution algérienne, n'ont pas droit de cité. Autre «scoop». ll concerne l'acheminement des armes et munitions que les wilayas devaient aller chercher de Tunisie ou du Maroc pendant que l'armée des frontières se préparait à la seule et unique bataille qu'elle devait livrer en Algérie et qui allait provoquer en 1962 des centaines de morts. J'écris que certains de ces convoyeurs, «se verront confier des fusils mitrailleurs et d'autres eurent même à ramener des petits canons». L'inquisiteur signale que les petits canons pèsent au moins 1000 kg et leurs obus un minimum de 30 kg et de sentencieusement s'interroger : «Je ne vois ni comment ni pourquoi les faire rentrer à l'intérieur du pays et à quoi ils allaient servir.»
Des maquisards qui ont ramené des petits canons, des mortiers et des obus sont toujours vivants. Dans la dernière correspondance qu'a adressée le colonel Amirouche au comité intérimaire de la Wilaya III, quatre jours avant sa disparition, il écrit, entre autres : «Je vais vous faire parvenir des obus.»
Cette lettre qu'il n'a pas eu le temps d'expédier a été saisie par les Français le jour de sa mort. Quant à savoir «pourquoi les faire rentrer à l'intérieur du pays et à quoi ils allaient servir», ceux qui affrontaient en Algérie quotidiennement l'armée française devaient avoir quelques idées sur l'usage qui peut être fait de l'armement et des munitions que le Malg stockait aux frontières. Voilà donc les deux «scoops» que le justicier de l'Histoire a pu trouver dans un livre de 452 pages.
Diversions d'arrière-garde
Naturellement, en zoomant sur les détails, au demeurant factices, M. Deroua évacue la forfaiture morale et politique à l'origine de l'ouvrage. Il cautionne le fait que deux colonels soient donnés à l'ennemi. Parce qu'ils ne devaient pas arriver à Tunis où devaient se discuter la rentrée de l'armée des frontières et l'hégémonie tentaculaire du Malg. Il assume l'indignité morale et le crime politique de la séquestration des restes des deux colonels après l'indépendance, fait inédit dans les annales d'une guerre de Libération qui n'a pourtant pas été un long fleuve tranquille. Il oublie cyniquement l'ordre d'exécution de Lotfi en disqualifiant le témoignage direct de l'officier de la Wilaya V dont il dévalue la parole en alléguant que le Malg — qui soit dit en passant n'existait même pas en 1956 – n'utilisait pas de chiffres dans ses codes. Il affiche une indignation surjouée et m'avertissant que si Boudiaf et Ben M'hidi «ses compagnons d'armes» devaient être étiquetés par des numéros je serais «condamné par l'Histoire» ! Il s'acharne sur un témoin qu'il dit ne pas connaître tout en lui déniant la fonction d'adjoint de Lotfi en citant les collaborateurs qui étaient sous ses ordres quand il était à la tête de la Wilaya V au Maroc alors que l'information qui nous occupe se situe à la période où Lotfi était encore en territoire algérien... Mais le but n'est-il pas de semer le doute ? Impassible, il passe sous silence la terrible donnée, désormais avérée, qui établit que, comme Amirouche, Lotfi a été tué par l'armée française à cause du code radio élaboré par les services de Boussouf.
Du reste, les membres de sa famille ont publiquement rejeté la version officielle de la mort de leur parent. Deroua n'est pas le moins du monde gêné par le fait qu'une guerre de libération soit détournée au profit d'un homme profilé par deux puissances étrangères (la France et l'Egypte) et qui l'ont sponsorisé pour le porter à la tête de l'Etat dès l'indépendance... Toutes ces tragédies et bien d'autres sont sans intérêt et décrétées interdites de débat par ceux qui rêvent toujours des jours bénis où le pouvoir absolu s'exerçait dans l'ombre, sans lois ni contrôle.
Par contre, une virgule qui manque dans une ligne horripile l'esthète littéraire des ténèbres. Mais c'est bien connu ; les indicateurs épient, dénoncent, provoquent, accablent et, au besoin, affabulent mais ils sont conditionnés, au sens pavlovien du terme, pour ne jamais répondre aux interpellations des autres. Et il y a fort à parier que dans leurs prochaines vitupérations, les Deroua parleront de calibre des munitions, de la composition de la poudre de la météo des années 50 mais surtout pas de ce sur quoi ils doivent s'expliquer.
L'immoralité assumée
La suite de la diatribe dépasse l'entendement. M. Deroua s'irrite de ce que j'aie évoqué le désastre diplomatique provoqué par la tuerie de Melouza en mai 1957. Effectivement, j'estimais qu'au-delà du drame humain, la catastrophe avait passablement brouillé le laborieux lobbying que M'hamed Yazid et Hocine Aït Ahmed s'occupaient à mener à New York. Notre besogneux limier signale qu'à l'époque de Melouza, Aït Ahmed était en prison, ce qui est vrai ; mais en quoi l'arrestation des cinq dirigeants du FLN le 26 octobre 1956 efface-t-elle le travail diplomatique accompli par l'un d'eux auparavant ? L'explication vient après : «Il (Saïd Sadi) veut se coller à cette légende vivante de la révolution algérienne par tous les moyens.»
Mais c'est par une ignominie encore plus glauque que l'homme termine sa charge avec le très élégant titre «l'exploitation honteuse de Abane Ramdane» au motif que j'ai déploré le fait que «madame Abane se retrouve seule au tribunal quand il a fallu attaquer Ali Kafi qui avait diffamé l'homme de la Soummam dans des termes particulièrement outranciers», ajoutant sans vergogne : «Il ne peut reprocher aux autres de n'avoir été auprès de madame Abane dans une pareille circonstance que si lui-même était à ses côtés. Or, ce n'est pas le cas.» Madame veuve Abane sait avec qui j'étais, ce que j'ai fait et le dit publiquement à cette occasion. Le problème avec les gens qui ont perdu le sens de la retenue, c'est qu'il faut toujours descendre dans les égouts pour pouvoir échanger avec eux.
Résumons l'éthique qui habite les Deroua. La sentence est lourde : j'ai utilisé la mort de Lotfi pour «des motifs scabreux», j'exploite la mémoire d'Abane «de façon honteuse», je me «colle à Aït Ahmed, légende vivante de la révolution algérienne», je serai «condamné par l'Histoire» parce que j'ai rapporté un témoignage disant qu'à l'automne 1956 des dirigeants, dont Boudiaf qui se trouvait au Maroc, avaient été identifiés par des codes chiffrés...
Abane a été assassiné par le démiurge de Deroua qui est devenu dès le lendemain de son crime l'interlocuteur privilégié des Egyptiens. Aït Ahmed a été condamné à mort et réduit à l'exil pendant un quart de siècle par un pouvoir qui est l'enfant naturel de l'ordre politique que célèbre M. Deroua. Boudiaf a été exécuté en direct à la télévision pour avoir voulu s'attaquer à la maffia qui secrète les pouvoirs de l'ombre où prolifèrent les Deroua. Toutes ces horreurs sont dignes et légitimes mais les quidams que nous sommes n'ont pas le droit d'en parler.
Soldats perdus
Vous défendez le bilan de Boussouf. Même cet héritage n'échappe pas à vos manipulations. On peut tout dire sur le créateur du Malg sauf qu'il n'assume pas ce qu'il a commis, notamment à propos de Abane. Revendiquant son forfait, il déclare avoir «sauvé la révolution» (FLN, mirages et réalités par M. Harbi. p.205 ). Vous êtes solidaire du bourreau, vous instrumentalisez la mémoire de la victime et vous insultez ceux qui s'offusquent de la démission des hommes ou d'organisations comme l'ONM, qui étaient en devoir de condamner la diffamation post mortem d'un héros national.
Qui sont les Deroua ? Où se nichent-ils ? Que valent-ils ? Que veulent-ils ?
Après l'indépendance, les anciens du Malg se répartissent en deux groupes. Il y a une majorité qui, ébranlée par ce qu'elle a découvert au lendemain de la guerre, s'est retirée de la vie publique essayant de vivre dignement de son salaire. Une minorité d'entre eux embrayant avec Boumediène ou activant dans les réseaux de trafic d'armes de Boussouf occupe les réseaux des officines où l'affairisme nourrit les décisions politiques les plus brutales, crimes politiques compris.
Les membres de ce dernier segment partagent une particularité : ils n'ont, pour la plupart, pas vécu pendant la guerre auprès du peuple qui reste pour eux une abstraction. Le peuple est bon à invoquer quand il faut se donner une légitimité ou justifier une décision contestable.
D'où une certaine propension à la légèreté quand il faut démontrer une capacité d'écoute devant les aspirations populaires. Enfants gâtés de la guerre de Libération, ils abusent d'autant plus facilement du conflit qu'ils n'en ont pas enduré les épreuves. Benyoucef Benkhedda — que M. Deroua excuse mon audace de citer un autre de ses «compagnons d'armes» — a très bien décrit dans son opuscule traitant de la crise de l'été 1962 les comportements désinhibés de ces hommes «hors sol» qu'il a bien observés à Tunis et qui s'autorisent tout et sans état d'âme parce précisément ils n'ont pas payé le prix de la liberté.
J'ai essayé d'expliquer les conduites guidées par la violence aveugle d'hommes qui voient s'effondrer sous leurs yeux un monde où ils avaient droit de vie et de mort sur tout être qui ose contester leur opinion. Leur projection dans la lumière finira-t-elle par leur ouvrir les yeux avant de passer de vie à trépas ? C'est l'ultime souhait que l'on peut faire pour des personnes qui n'ont jamais douté de rien et qui terminent leur existence dans une effrayante déchéance morale.
Le châtiment est dur. Soldats perdus du patriotisme, il faut les protéger d'eux-mêmes et, surtout, prémunir le pays de leurs égarements car leurs ruades peuvent encore faire du tort. Comme si on pouvait encore douter de sa capacité à nier les évidences, souiller les mémoires ou mutiler la vérité, M. Deroua s'indigne de ce que je l'ai implicitement invité à suivre l'exemple de certains maquisards qui, par respect pour eux-mêmes, pour les martyrs injustement éliminés et les nouvelles générations, ont soulagé leur conscience en s'affranchissant du poids d'évènements douloureux auxquels ils ont participé ou dont ils ont été les témoins directs ou indirects. Mais sur ce registre sa dénégation est logique : pour soulager une conscience, il faut en avoir une.
Avancer encore et toujours
Deroua nous enjoint d'assumer nos écrits. Il sera exaucé. Comme le lui avait annoncé Nordine Aït Hamouda auquel il conteste le droit de parole (je lui souhaite bien du plaisir), l'ensemble des conférences qui déclenche son ire sera édité ainsi que ses intrusions.
La première édition du livre sur Amirouche est sortie en 2010. Nous en sommes à la quatrième édition. Tous les témoins que j'ai cités, y compris dans cette dernière version, étaient vivants au moment des impressions. Tout un chacun pouvait les contacter pour vérifier, affiner, compléter ou, éventuellement, contester leurs narrations. J'ai voulu engager un débat qui n'a toujours pas eu lieu à cause d'une escouade de nostalgiques du Malg qui se sont relayés pour saturer l'espace médiatique par l'invective ou les insinuations diffamatoires sans jamais aborder les sujets de fond. Enfermés dans un déni de réalité, ils oublient que la Toile a libéré la parole. Mais la tentation de la censure est ancienne et les obscénités du dernier intervenant n'ont rien à envier à celles de ses prédécesseurs.
A l'amateur de citations patelines, je délivre ces vers de Yousef Oukaci, célèbre poète du XVIe siècle, originaire d'Abizar, une tribu qui prolongea une insoumission épique contre l'oppression ottomane par une farouche résistance à la pénétration française. A un manant qui le provoquait un jour de marché hebdomadaire pour faire parler de lui, l'homme de culture fit cette réponse qu'il gagnerait à méditer :
Lukan seg Bizar meqqar
Ijebden amesmar
Kkaten ur darayen
Imi d... la qrar
Ma wteγ-k d lâar
Ma tewted-iyi d âerayen
Si du moins tu étais de ceux d'Abizar
Si habiles à la gâchette
Et qui jamais ne fuient le combat
Mais issu des sans-repères
Si je te bats c'est une honte
Si tu me bats la honte est double.
Bonne année quand même.


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