Par Leïla Aslaoui-Hemmadi La mort des dix-sept victimes assassinées par des terroristes islamistes le sept janvier 2015 ne fut-elle pas suffisamment effroyable pour qu'on y ajoute un brouillage, un parasitage souvent délibéré ? Le choc, la solidarité et l'émotion, sont-ils seuls responsables de ce cafouillage ? C'est difficile d'y croire car il ne s'agit pas seulement de dérives sémantiques déjà entendues de par le passé. Qu'on en juge : Au lendemain des tueries, peut-être même aussitôt après, les politiques et les médias français demandèrent aux «musulmans de France», «de condamner les attentats, de se mobiliser, d'être présents à la marche républicaine (11 janvier 2015)». Et les «musulmans» représentés tantôt par des anonymes au français approximatif comme par hasard... tantôt par des imams mal outillés intellectuellement pour débattre et se montrer à la hauteur de la tragédie — du moins ceux qu'on a vus et revus sur tous les plateaux télévisés — répétèrent à l'envi : «Ces tueries n'ont rien à voir avec l'islam» ou «l'islam n'est pas responsable de ces dérives» ou encore «l'islam est tolérance et amour». Etait-ce là la réponse tant de fois entendue attendue par un pays en état de choc ? Certainement pas. Quand donc les «musulmans» de France répondront qu'ils sont d'abord français, puis musulmans : une affaire privée entre Dieu et eux-mêmes ? Quand donc les politiques français ainsi que les médias diront «français» et «non musulmans» lorsqu'ils évoquent des citoyens naturalisés français ? Ou nés français ? Pourquoi donc lorsque des assassins de la pire espèce programmés au nom de la haine de l'autre, au nom de l'inquisition, commettent l'horreur la plus absolue, les musulmans de France — particulièrement eux — mais tous les autres musulmans sont stigmatisés au point que, de cafouillage en cafouillage, de dérive en dérive sémantico-politique, cela donne : «les musulmans condamnent», «les musulmans se mobilisent», les musulmans ont participé à la marche ?» Musulmans = nationalité et citoyenneté ? Islam = nationalité nouvelle ? Quand donc les musulmans de France diront-ils à haute et intelligible voix que les Coulibaly, les Kouachi et autres acolytes tels que Merah sont des tueurs dont l'unique religion est la haine encore et toujours. Celle de l'autre : du juif, du chrétien, voire des musulmans. Faut-il rappeler à ceux qui confondent sciemment religion et nationalité que de nombreux imams furent assassinés par les GIA lorsque l'Algérie eut à affronter le terrorisme islamiste le plus abject ? Quand donc les «musulmans» de France ou d'ailleurs diront-ils à haute et intelligible voix que l'unique «religion» des Kouachi et autres ... est l'ignorance. Celle qu'ont exploitée leurs bourreaux, commanditaires et sanguinaires ? Robotisés pour tuer, programmés pour mourir, méritent-ils encore le mot «humains ?». Certainement pas. Quand donc les «musulmans» de France et d'ailleurs diront-ils à voix haute que l'intolérance et le fanatisme ne seront jamais des opinions ? Quand diront-ils qu'ils se mobiliseront parce que citoyens français, ils partagent les mêmes valeurs universelles, que les autres républicains de France, d'Europe ou d'ailleurs ? Ou d'ailleurs, car de par le passé et au moment précis où nous étions confrontés à la pire des tourmentes vécue par l'Algérie, nous ne cessâmes de dire que l'islamisme terroriste traversera un jour toutes les frontières. Nous ne fûmes pas écoutés et nous ne fûmes pas soutenus. Je jugerai indécent face à la douleur des familles des victimes de dire que l'Histoire nous a donné hélas raison. Je m'abstiendrai de le dire car je sais ce que ressentent les pauvres familles des victimes ayant eu à vivre leur douleur et leur sidération face à la barbarie. Je dirai plutôt que, plus que jamais, aujourd'hui les citoyens du monde qui ont en commun les mêmes valeurs républicaines se doivent de prendre conscience que l'islamisme est un danger universel. Ce n'est pas là une découverte. C'est juste qu'il ne faut plus se faire la moindre illusion sur ses intentions. Il nous faut être ensemble. Ensemble au nom de nos valeurs et non de nos croyances qui sont une affaire strictement privée. - A condition qu'on ne somme plus les «musulmans» de justifier leur citoyenneté tous les jours en stigmatisant leurs opinions culturelles. Ils sont citoyens du pays où ils vivent, où souvent ils sont nés. - A condition que les laudateurs d'hier des islamistes «modérés» comprennent aujourd'hui que l'unique modération de l'islamiste est sa kalachnikov. Celle de Coulibaly, des Kouachi... - A condition que cesse le «qui-tue-qui ?». Les politiques au plus haut niveau en France après l'horreur du 7 janvier ne sauraient permettre désormais que des «droits hommistes» préférant les GIA aux démocrates algériens vouant à mon pays une haine viscérale, à l'instar des Baudouin et autres..., puissent aujourd'hui encore demander que soient jugés ceux grâce auxquels l'Algérie fut protégée du chaos dans lequel voulaient la faire plonger les islamistes terroristes. C'est inadmissible et incompréhensible. - A condition enfin de prendre conscience que passé l'émotion et le choc légitimes, le combat contre l'islamisme terroriste est avant tout affaire de solidarité sans cafouillage et sans amalgames regrettables. Avec l'aide des citoyens français que sont les «musulmans» contre d'autres Français djihadistes dangereux. Avec l'aide des citoyens du monde qui se reconnaissent dans les valeurs universelles. Le combat concerne tout le monde. Tous les républicains. Ce ne fut pas là l'unique cafouillage après la tragédie du 7 janvier 2015 : il y en a un autre plutôt «national». Des compatriotes via les réseaux sociaux ont cru utile de «juger» sévèrement la présence de notre ministre des Affaires étrangères, M. Ramtane Lamamra, à la marche contre le terrorisme, organisée à Paris le 11 janvier 2015 après les assassinats de 17 personnes le 7 janvier 2015. Très «courageux» puisque cachés derrière des pseudonymes, les internautes ont usé et abusé de l'insulte la plus triviale. Leur argutie ? Monsieur le ministre a accepté d'être dans le même rassemblement que le Premier ministre israélien ! La belle affaire ! Lorsqu'on sait que Hamas a condamné les attentats, ces internautes seraient-ils plus royalistes que Hamas ou plus «hamassistes» que Hamas ? Par ces temps d'intolérance et de haine, je m'interdirai de dire que les internautes n'avaient pas le droit d'être des super patriotes, des super ceci... super-cela... pour autant je me reconnais le droit de dire à haute et intelligible voix que s'il est un pays qui se devait d'être à la grande marche de solidarité de Paris, c'était bien l'Algérie. Et j'ai pour ma part salué cette présence représentée par M. Lamamra. Oui je l'ai saluée et approuvée parce que lorsque j'ai vu Patrick Pelloux, médecin urgentiste et collaborateur de Charlie Hebdo, pleurer, l'image des 120 journalistes algériens assassinés a surgi de ma mémoire. L'image de la terrible explosion en 1996 à la Maison de la presse ayant fauché trois journalistes du Soir m'a poursuivie toute la nuit. Lorsque le frère du policier Ahmed Merabet a pleuré, l'image des six jeunes policiers assassinés à la rue Bouzrina à Alger le 10 février 1992 a refait surface. Les premiers d'une longue liste. Lorsque la mère de la jeune policière tuée à Mont-Rouge par Coulibaly a éclaté en sanglots, c'est Karima Belhadj qui m'est apparue, une policière du service social assassinée en 1993 par le terrorisme islamiste. Lorsque les quatre otages à la fleur de l'âge étaient sur le point d'être mis sous terre dans leur pays d'origine, l'image des jeunes scouts déchiquetés par une bombe dans un cimetière à Mostaganem le 1er novembre 1994 m'a rappelée à son «bon» souvenir. «La mort est toujours amère», dit l'adage arabe de chez nous. Que dire lorsqu'elle est terriblement injuste ? Au nom de quoi, au nom de qui assassine-t-on un homme quelles que soient ses opinions ? Au nom de la haine et seulement en son nom. Au nom de la haine qui a actionné la main des Kouachi, Merah, Coulibaly. Ces internautes ont sans nul doute oublié toutes nos souffrances. Peut-être ne les ont-ils même pas vécues. Ce sont elles (souffrances) qui justifiaient amplement la présence de l'Algérie à la grande marche de solidarité du 11 janvier 2015. Je dirai d'ailleurs qu'il s'agissait de la énième marche de l'Algérie contre le terrorisme. Qui pourrait oublier la marche du 23 mars 1993 ? Une gigantesque et magnifique marche républicaine. Nous pleurions nos amis, Liabès, Sanhadri, Flici assassinés en mars 1993 mais nous prêtâmes serment ce jour-là sous un beau soleil algérois que nous ne serions pas terrorisés par la barbarie. Avec tout de même cette importante précision : les marches que fit l'Algérie avant celle de Paris, elle les fit seule. Seule avec sur le dos «qui-tue-qui ?». Mais c'est là une autre histoire. Une autre époque aussi où on nous appelait les «éradicateurs», nous les éradiqués. L'heure aujourd'hui est à la solidarité, alors oui la présence de l'Algérie était attendue. Et si je m'étais trouvée à Paris, j'y aurais participé en tant que républicaine, en tant que citoyenne du monde, qui sait ce dont l'islamisme est capable. Jusqu'où il peut aller dans l'horreur. Et à ceux qui disent Charlie Hebdo a exagéré (propos de compatriotes) je réponds seulement qu'aucun homme n'a le droit d'assassiner celui qui ne pense pas comme lui. Lorsque les Zouabri, les Gousmi, les Zitouni et autres tuaient les journalistes algériens, c'était la liberté d'expression qu'ils entendaient décapiter. Récemment, un écrivain et journaliste a fait l'objet d'un «appel à la mort» lancé par un islamiste. Motif ? «Kamel Daoud a insulté l'islam», un autre exemple de «tolérance» islamiste (1), s'il en est. De même que le ton irrévérencieux, provocateur d'un caricaturiste ne saurait justifier le crime le plus abject. Et s'il est une leçon que l'on se doit de retenir de la tragédie du 7 janvier 2015 c'est bien celle-ci : ne jamais accorder de circonstances atténuantes à celui qui parle en usant d'une arme. Pas plus à lui qu'à ceux qui le soutiennent ou le financent. Entre empathie, laxisme et Plan Vigipirate, il faut choisir et rapidement.