Par Nasr-Eddine Lezzar Avocat de Moumen Khalifa Le mardi 23 juin 2015, trois magistrats professionnels et deux juges populaires, émanation du peuple profond, distribueront les destins et rendront leurs verdicts. Ils auront délibéré pendant une semaine suite à un procès qui a duré quarante jours. Le procès du procès Les passifs psychologiques Une image factice et tronquée Durant quarante jours, nous avons subi les effets néfastes d'un lourd passif psychologique, constitué d'une image factice, fabriquée par un traitement médiatique d'une information sans droit à la défense. Depuis le déclenchement des poursuites en 2003 jusqu'au début du deuxième procès algérien en passant par le séjour anglais et les procédures en France, beaucoup de mythes se sont construits autour du personnage et de l'affaire. Durant treize ans, en l'absence de l'accusé, un portrait a été fabriqué par les médias alimentés par un discours accusateur unilatéral sans appel et sans défense. Le contact et l'analyse de cette affaire m'ont permis de mesurer la capacité de prestidigitation de l'information ou plutôt son traitement, la facilité avec laquelle la mauvaise information peut leurrer et duper, la transformation rapide et commode d'une rumeur et d'un bobard en une source généralement bien informée. J'ai pu aussi comprendre comment la presse et les médias, parfois manipulées, fabriquent et manipulent, à leur tour, une opinion malléable. Durant ce procès, nous avons lutté contre les préjugés qui se sont sédimentés et accumulés durant les treize ans que Moumen Khalifa a partagés entre l'exil et la prison. Nous avons senti la réticence des témoins qui voulaient déposer en sa faveur. Des préjugés — plus difficiles à désintégrer que des atomes — se sont constitués et se sont sédimentés, pendant plus d'une décennie, dans l'esprit de ceux qui vont juger. Mon inquiétude est grande que cette opinion publique et populaire pèse sur les juges notamment les jurés populaires, mais aussi, les professionnels qui, comme nous tous, demeurent encore et toujours, quelque part, humains. Il est dangereux de juger par l'opinion publique et/ou pour l'opinion publique. L'ancienne condamnation La condamnation antérieure constitue de son côté, un handicap psychologique. Il est très difficile de lutter et détruire un préjugé mais aussi remettre en cause un jugement antérieur. Il est aussi compliqué de détruire une condamnation dans les esprits que dans un jugement. Un juge n'hésite-t-il pas à désavouer les siens ? Les passifs juridiques Une instruction exclusivement à charge Ce procès a été somme toute inéquitable, non pas quant à son déroulement, mais pour son péché originel d'être basé sur un dossier unilatéralement et exclusivement à charge : - Un dossier de base constitué par une instruction judiciaire menée et achevée en notre absence a été notre point faible fondamental. Durant l'instruction menée par un juge d'instruction qui instruit à charge et à décharge, l'accusé, assisté de son avocat, a l'opportunité de confronter et contredire les témoins à charge, il a aussi la possibilité de présenter des témoins à décharge qui le disculpent et l'innocentent. Durant ces confrontations, il peut analyser les déclarations, les contester, les relativiser, les nuancer et les contredire et surtout il peut confronter et confondre ses accusateurs. Il a aussi la latitude de demander des expertises, des contre-expertises. Il est vrai que le juge d'instruction juge à charge et à décharge mais sa pertinence et sa sagacité ne peuvent aller jusqu'à suppléer la défense — ici comme ailleurs les absents ont toujours tort. Il y va ainsi de la psychologie des hommes. Dans ce dossier établi exclusivement par et pour l'accusation, Moumen a subi les foudres des accusés dont les dépositions concertées avaient accablé l'absent, alibi d'autant plus commode qu'il présentait énormément de chances de ne plus revenir. Dans l'arène judiciaire, tous les coups sont permis, la loi du lynchage s'appliquera à l'absent. il est commode de tout mettre sur le dos de celui qu'on n'entendra pas. Durant le procès de 2015, la quasi-totalité des accusés qui ont déposé à charge (à une exception près) se sont rétractés, ont retiré et/ou nuancé leurs propos. Nous disons bien accusés et non pas témoins car Moumen Khalifa n'a été mis en cause que par des accusés. Aucun témoin au sens juridique du terme n'a déposé contre lui. Une jurisprudence connue et constante de la Cour suprême pose le principe d'une mise à l'écart du témoignage d'un accusé contre un accusé. L'absence de certains témoins D'autres témoins ont fait défaut parmi lesquels, des témoins à décharge que nous aurions aimé entendre et des témoins à charge que nous aurions aimé confronter. Pour ces raisons nous avions demandé dès le départ, conformément à la loi, le report du jugement pour mener une instruction équitable, menée par un juge d'instruction. Quatre accusateurs/témoins/victimes Durant quarante jours, nous avons subi les attaques frontales de quatre accusateurs : 1- Le parquet dont la mission naturelle est d'établir la culpabilité vaille que vaille. Mais au-delà, nous nous sommes opposés à la toute-puissante Banque d'Algérie, prestant alternativement et simultanément comme accusateur victime et témoin et sous trois visages différents, nous citons : 2- Son avocat en tant que partie civile concourant à l'établissement de la culpabilité et demandant réparation. N'ayant exercé aucun recours contre l'arrêt de 2007, elle n'avait pas droit à ce nouveau procès. 3- Les membres de la commission bancaire, au nombre de cinq, sans moins, se sont attelés, comme un seul homme, à justifier la décision de sanction disciplinaire de retrait d'agrément qu'ils ont prise et, aussi, à soutenir l'accusation et la sanction pénale. 4- Khalifa Bank, autre partie civile, représentée par le liquidateur désigné par la Banque d'Algérie, qui a substitué une mission d'assistance et de soutien à l'accusation, à sa mission naturelle qui est la récupération des actifs. De quelques vérités et évidences oubliées par une sorte de clarté aveuglante Moumen Khalifa est accusé de constitution d'association de malfaiteurs, d'escroquerie, d'abus de confiance. La banque, dit-on, a été créée délibérément pour piller l'argent public. Si tel était le cas : - pourquoi tous ces investissements ? - un voleur crée-t-il quinze entreprises, 65 000 emplois directs, autant sinon plus en emplois indirects ? - un voleur laisse-t-il une traçabilité de l'argent volé ? - les capitaux dormants dans les caisses des entreprises et institutions publiques déposés à Al Khalifa Banque (pour être volés ???) ont été investis dans des sociétés et filiales de son groupe ; dans une flotte aérienne payée à 40%, une société de location de voitures, une imprimerie sophistiquée, une société d'informatique, un laboratoire de monétique, une société de médicaments, un investissement en partenariat avec Saidal pour la fabrication de médicaments pour sidéens qui aurait été le second en Afrique après celui de l'Afrique du Sud (un projet économiquement non lucratif mais fondamentalement humain) et quatre autres sociétés de droit étranger. La vocation d'une banque est d'investir l'argent des déposants qu'elle rémunère. Une vérité doit être affirmée et réaffirmée : tant que Khalifa Banque était en activité, tous les déposants ont pu, à tout moment quand ils l'ont voulu, récupérer tout leur argent, capital et/ou intérêts ! Tous les déposants ont été unanimes et formels pour dire cela, l'administrateur provisoire l'a confirmé, dans ses réponses à nos questions, et ce, en déclarant que la banque n'a jamais été en cessation de paiement et n'a jamais enregistré d'incident de paiement. Les difficultés de retrait n'ont commencé qu'avec l'administration provisoire. Où est le vol ? Où est l'escroquerie ? Où est l'abus de confiance ? L'argent de Khalifa n'est ni dans les banques étrangères, ni dans des sociétés offshore ni dans des paradis fiscaux ! Peut-on soutenir qu'il a été volé ? Alors là où est t-il ? Moumen Khalifa, il faut le préciser, a été, au départ, détenu à Londres pour émigration clandestine. S'il avait volé tout cet argent, pourquoi n'a-t-il pas payé la caution prévue par la loi pour rester en liberté durant son exil londonien ? Ses avocats anglais ont été rémunérés grâce à l'aide sociale britannique. Tout son argent ne lui a-t-il pas suffi pour acheter une résidence patrimoniale et juridique en Angleterre ou ailleurs ? Ne pouvait-il pas acheter une situation, une nouvelle identité et une disparition des vues et des mémoires quelque part dans le monde ? Ni les recherches menées par le parquet dans le cadre de l'enquête de personnalité, obligatoire en matière criminelle, ni celles du liquidateur à la recherche de biens saisissables, ici et ailleurs, n'ont révélé l'existence d'un patrimoine personnel de Moumen Khalifa ! Tout a été placé dans les filiales de son groupe. - Comment expliquer que celui qui a eu le génie de monter si vite aux cieux de la fortune et de la gloire n'ait pas eu l'intelligence moyenne de se prémunir contre une éventuelle chute dans les profondeurs de l'enfer ? - Comment se fait-il que malgré sa fortune supposée et l'intelligence qu'on lui prête, Moumen Khalifa n'ait pas été en mesure d'acheter une autre situation et une autre vie dans un paradis fiscal, une invisibilité pour toutes les polices du monde et une amnésie de tous ceux qui le poursuivent. Cette intervention n'est ni l'épilogue tardif d'un non-procès qui, en 2007, avait condamné Moumen Khalifa à l'éternité carcérale, ni la prolongation d'une plaidoirie inachevée, ni encore le prologue prématuré d'une plaidoirie pour un prochain procès. Ce n'est pas, non plus, la supplique d'un condamné en quête de clémence. Il s'agit d'un rappel de certaines évidences oubliées, un appel à la morale, à l'éthique, à la déontologie. C'est aussi l'expression d'une grande peur à quarante-huit heures du verdict. Mon inquiétude est grande ! La justice des hommes, inhumaine par nature, broie et la justice relative broie absolument. Puisse Dieu faire que justice soit faite.