La quarantaine passée, Settoute, la veuve d'El Mounchar, sortait du même moule que son défunt mari. Elle aussi ne me portait pas dans son cœur. Chaque fois que je la croisais dans le hall, elle me plantait son regard dans le visage comme si j'étais son ennemi juré. Depuis que je l'ai surprise en compagnie d'El Phéraoun, leur associé du sixième, elle a changé d'attitude à mon égard. Elle avait alors compris que je la soupçonnais d'entretenir une relation extra-conjugale avec le meilleur ami de son mari. Quant à sa fille, elle n'était pas exempte de défauts, du reste pas plus méchants que de petits péchés mignons. Mais c'est une vraie bombe, de celle que j'aurais aimé avoir quand j'allais sur ma trentaine. Maintenant, quand elle me faisait les yeux doux, je baissais la tête ; et, j'ai bien peur qu'elle ne vienne sans raison taper à ma porte de célibataire. Heureusement que l'inspecteur me tira à temps de mes rêveries en me balançant les conclusions de son enquête. - À neuf heures dix, tu descends l'escalier en compagnie d'El Mounchar. Trois minutes plus tard, un pan de mur l'écrase sans qu'on sache d'où il est tombé. Ce constat est corroboré par le témoignage de Settoute. J'ai bien vérifié les horaires. J'ai même chronométré le trajet que vous avez fait ensemble jusqu'à la porte d'entrée de l'immeuble. C'est exactement trente secondes de moins. Le temps qu'il vous a fallu pour le retenir et permettre à votre complice de lui balancer le bloc sur la tête. - C'est faux ! Elle n'avait tout de même pas un œil collé au chronomètre et l'autre à mes semelles ! - Elle n'avait pas besoin de ça. Tout est enregistré dans son portable. À neuf heures dix, elle reçoit une communication de leur associé du sixième. La conversation ne dure que trois minutes. Le temps qu'elle raccroche et elle entend le patatras. Ce n'est pas tout. J'ai la preuve écrite de votre implication dans ce meurtre prémédité, me dit-il en me donnant une copie de la chronique du premier dimanche du mois de mai. Tremblant de la tête aux pieds, je parcourus la nouvelle que j'ai moi-même publiée. - Il y a autre chose, monsieur l'intello, me lança de nouveau l'officier, j'ai trouvé ce message sur votre page Facebook. Il vient de votre complice, un certain Loupiot. Il dit ceci en substance : «C'était hier ! La gazette affiche en gros caractères le titre ravageur ! Massacre à coup de murs ! Accident ou acte malveillant !» - Ah ! non, surtout pas ce monsieur ! On n'accuse pas un poète qui jongle avec les mots ! Ce genre de personnage n'est même pas capable de faire du mal à une mouche ! Ça ne me plaît pas cette fin. Je relis depuis le début, et je constate que ma nouvelle manque de sérieux, de punch. Je fais une sauvegarde de mon fichier et en tire une copie que je plie et mets dans la poche. Je demande la note au patron du cybercafé. Cent dinars pour trois heures. Je le paie et sors. Il est déjà onze heures en cette journée du samedi 9 mai. D'un pas décidé, je me dirige chez moi. Je vais enfin déjeuner et m'allonger face à la télé. La chute de la nouvelle attendra plus tard, quand l'inspiration me reviendra en fin d'après-midi. J'arrive devant l'immeuble où j'habite. Des voisins discutent à voix basse. L'un d'eux s'approche de moi et m'informe que deux policiers m'attendent à l'intérieur de l'immeuble. Je rentre. Surpris par l'homme qui ressemble comme un sosie au flic de ma nouvelle, j'ai failli tomber à la renverse n'était la main de son collègue qui m'a remis d'aplomb. - On ne va pas vous retenir trop longtemps, me dit le sosie. Nous voulons juste vérifier l'état de votre balcon. Ce matin, votre voisin El Mounchar a échappé de justesse à une mort certaine. Heureusement, ses jours ne sont pas en danger. Le bloc de mur n'a fait que l'effleurer. Je savais qu'il avait la tête dure. Il s'en était sorti à bon compte, le nigaud. Une fin moins dramatique que celle que je lui avais souhaitée au départ.