Lors de l'entretien qu'il nous a longuement accordé sur une partie du dossier du foncier et de l'investissement dans la wilaya de Boumerdès, Rabah Hafsi, directeur de l'Agence de gestion et régulation foncières urbaines (AGRFU/WB) de la même wilaya, nous a déclaré tout de go. «L'Etat a cédé des terrains et a décidé des mesures d'accompagnement pour des porteurs de projets industriels afin d'encourager l'investissement. La balle est désormais dans le camp des véritables opérateurs économiques.» On pourrait penser que c'est un haut cadre de l'administration qui défend la thèse de son employeur qu'est l'Etat. Seulement, notre interlocuteur n'a pas omis d'étayer son assertion à l'aide d'arguments biens chiffrés et vérifiables balayant par ailleurs d'un revers de la main toutes ces accusations de la part d'organisations patronales sur le manque du foncier économique. 113 lots de terrains industriels, certains cédés avant 1990, toujours nus D'après les statistiques que nous a communiquées Hafsi, les collectivités locales de la wilaya de Boumerdès ont créé 17 ZAD (zones d'activités et de dépôts) et cédé 1 185 763 m2 répartis en 297 lots. C'est en moyenne 4 000 m2 par lot. «De ces 297 lots, seuls 91 (30,64% ndlr) ont été utilisés et par conséquent, les projets pour lesquels ils étaient destinés sont en phase de production», constate notre interlocuteur. Par contre, 113 lots (38,05%) dont certaines affectations remontent bien avant les années 1990 restent désespérément vides. Pour le reste des lots (93 lots, soit 31,31% affectés), ce sont des constructions qui n'en finissent pas depuis des décennies. C'est environ 824 000 m2 de terrains économiques qui sont «squattés» dans les différentes municipalités de Boumerdès. Il y a lieu de rappeler que d'autres secteurs comme le tourisme, l'agriculture, la pêche, l'industrie, l'urbanisme et les domaines, ont, chacun dans son secteur, leur part de responsabilité dans l'affectation de terrains pour l'investissement dans la wilaya de Boumerdès. De même que cette agence gère d'autres zones d'investissements (Ouled Moussa 75 ha), le foncier urbain (habitat) et des projets de promotion immobilière. Après ce constat chiffré, Hafsi, le directeur de l'Agence de la wilaya du Boumerdès, assénera : «Je voudrais dire la chose suivante : au niveau de la wilaya de Boumerdès, le foncier économique existe réellement, malheureusement il est mal exploité par certains investisseurs.» Pour lui, la situation sécuritaire n'a plus un motif valable pour justifier le retard constaté dans la réalisation des projets d'investissement. «Si l'on considère objectivement la décennie noire qui a été, il est vrai, un grand handicap pour certains investisseurs de lancer leurs projets, cependant, après le retour de la paix et l'amélioration du climat des affaires, les investisseurs devaient entamer la réalisation de leurs projets.» On peut déduire d'après les chiffres en notre possession que certains maires ou walis, qui ont eu à gérer la région, sont responsables d'attributions litigeuses. Pour rappel, l'AgrfU n'a pas de pouvoir d'attribution. En conclusion, les autorités ne peuvent, pour l'heure, qu'être déçues par un bilan d'investissement largement en deçà des attentes d'autant plus que la wilaya, située à la périphérie de la capitale, devait attirer de meilleurs opérateurs économiques. «Malgré le retard constaté, certains investisseurs défaillants gardent toujours les assiettes foncières qui leur ont été attribuées pour les besoins du projet économique. Nous avons, par ailleurs, constaté la mauvaise conception des études technico-économiques d'un grand nombre de dossiers préalablement déposés pour l'obtention des assiettes foncières. Cette étude technico-économique constitue, en effet, une pièce essentielle du dossier exigé. Cette étude, souvent bâclée, ne reflète pas la réalité et n'a aucun rapport avec le marché. Un autre phénomène a été aussi observé, il s'agit des demandes de changement d'activités formulées par certains investisseurs qui ignorent l'évolution du marché. Troisième point, nous avons relevé que certaines études sont dépassées par le temps et deviennent obsolètes. Autre catégorie d'investisseurs défaillants, des personnes, de simples aventuriers ou des idéalistes sans le sous, ont de bonnes idées donc de bons projets, mais les moyens financiers leur font cruellement défaut. Ils ne présentent aucune garantie pour pouvoir contracter un financement bancaire. Certains bénéficiaires proposent des projets se chiffrant en centaines de milliards alors qu'ils n'ont pas les moyens de verser les apports personnels aux banques.» L'acte d'investir est un droit mais le foncier économique n'est pas un privilège à caractère social Comment faire pour sortir de cette impasse ? Selon Hafsi, les autorités de la wilaya s'appuieront d'abord sur les recommandations gouvernementales en matière de relance économique. «Des décisions importantes ont été prises à l'issue de la rencontre gouvernement-walis pour relancer l'économie du pays à partir des collectivités locales. La loi de finances complémentaire pour 2015 a abrogé le Calpiref. Présentement le patron de l'investissement au niveau de la wilaya c'est le wali. Il y a, à cet effet, obligation aujourd'hui d'encourager, de sensibiliser et surtout d'accompagner l'investisseur jusqu'à la réalisation de son projet. Il y a d'autres mesures de facilitations décidées par le gouvernement pour lutter contre les pratiques bureaucratiques comme l'institution du comité de wilaya d'étude et de suivi des projets d'investissement qui est l'équivalent du guichet unique. Dans la wilaya de Boumerdès, nous avons fait un travail d'assainissement dans le but de recenser les investisseurs défaillants, d'encourager les véritables investisseurs et de les accompagner.» Assurément, les autorités de Boumerdès ne veulent pas en rester au simple constat. «Suite aux instructions de Madame le wali, des mises en demeure ont été adressées aux investisseurs qui n'ont pas réalisé leurs projets. Cette action n'a pas l'aspect répressif mais vise beaucoup plus à sensibiliser les concernés et surtout relancer l'investissement dans notre wilaya. Un délai d'un mois leur est donné pour le dépôt de leur dossier de permis de construire. Après une seconde mise en demeure restée sans réaction, la wilaya prendra les mesures réglementaires pour la récupération économique. Ceci comme première étape qui concerne les bénéficiaires qui ont des décisions d'affectation délivrées par l'ex-Calpi , et le Calpiref ou de compromis de vente délivrés par les communes. La seconde étape sera consacrée aux bénéficiaires qui sont en possession d'actes de concession ou d'actes de propriété. Nous ne voulons pas faire peur aux investisseurs mais il serait bon de leur rappeler tout simplement leur engagement à réaliser des projets économiques.» Ces autorités iront-elles jusqu'au bout de leur démarche une fois les faux investisseurs débusqués ?