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Enquête-Témoignages
Vivre avec sa phénylcétonurie, un combat de tous les jours
Publié dans Le Soir d'Algérie le 28 - 11 - 2015

Des femmes en détresse, des hommes tristes. Ils racontent leur désarroi face à la maladie dont sont victimes leurs enfants. Elle s'appelle la phénylcétonurie, une affection génétique rare et handicapante.
Keltoum, 30 ans, deux enfants
C'est dans le local de l'association «Le syndrome de Williams et Beuren» situé à Aïn-Naâdja que préside Mme Meddad que nous avons rencontré Keltoum et bon nombre de parents venus des quatre coins du pays récupérer leur quota de nutriments fournis par un laboratoire privé. «Un don qui nous tombe du ciel !» dira Keltoum. Elle ne peut retenir ses larmes. Parler de son drame, représente un exutoire pour cette mère meurtrie, quand elle évoque la maladie de ses deux enfants. «Comme si le monde s'était écroulé. Ma vie s'est arrêtée. Je n'ai plus goût à rien. A sa naissance Aboubakr, mon aîné, semblait un bébé tout ce qu'il y a de plus normal. A cinq mois, alors qu'il était allongé sur son lit, ses yeux étaient fixés au plafond, puis il a sombré dans un sommeil, en fait dans un coma. Il a été hospitalisé durant 20 jours à l'hôpital de Beni-Messous, mais personne ne savait de quoi il souffrait. Les médecins n'étaient guère optimistes, ils disaient qu'il était mort et même s'il se réveillait, il serait un vrai légume. Ils ont fini par découvrir que son état résultait d'une convulsion. Ils l'ont réveillé sous valium. Je suis rentrée à la maison en pleurant toutes les larmes de mon corps. Depuis, et au fil des jours je constatais que mon fils n'évoluait pas comme les autres enfants de son âge. Il commença à s'asseoir à 18 mois, ne prononçant pas une parole. A deux ans, il tentait ses premiers pas. Entre-temps, sa sœur Rania est venue au monde. Tout allait bien sauf que je remarquais qu'elle avait sans cesse le regard absent, elle avait 6 mois. Elle ne suivait pas mes gestes et échaudée, je l'ai emmenée chez le pédiatre. Après moult examens, qui s'avérèrent tous négatifs, et après être passée chez bon nombre de médecins, je suis tombée sur un dernier qui me demanda des analyses de sang spécifiques, que seul le laboratoire biochimique de l'hôpital Mustapha réalisait, et là le diagnostic est tombé. Ma fille était atteinte de phénylcétonurie. Quand on m'a expliqué de quoi il s'agissait, c'est comme une bombe qui m'a explosé en plein visage. En fait, c'est par sa sœur que les médecins ont su qu'Aboubakr en était lui aussi atteint. Les analyses l'avaient confirmé. Les médecins m'ont dit que s'ils avaient subi un dépistage dès leur naissance, ils n'auraient pas eu ce handicap, avec le régime ils auraient évolué normalement. Seul le régime atténuerait ce handicap. Ils sont soumis à un suivi régulier en subissant tous les 15 jours un contrôle sanguinpour surveiller le taux de toxines. C'est vital. Pour ce faire, deux fois par mois, et par n'importe quel temps, de Douéra je pars sur Alger. Inutile de vous dire comment notre vie a été bouleversée.
Mes enfants doivent boire un lait spécial qui coûte 15 000 DA la boîte soit le salaire mensuel de mon mari, et il leur en faut 4 à 5 par mois chacun, sans compter les autres nutriments.
Le malheur c'est qu'en plus de leur cherté ils n'existent pas en Algérie. Ils ont droit à des légumes, mais en petites parts qui doivent être pesés rigoureusement, et ne peuvent rien manger d'autre. Comment expliquer à des enfants qu'ils ne peuvent pas manger du chocolat, des gaufrettes, des gâteaux ? C'est un combat quotidien. Une lutte pour se procurer leur alimentation. Nous avons tapé à toutes les portes. En vain. La providence nous a fait connaître «l'association du syndrome Williams et Beuren» que préside Mme Meddad et sa coordinatrice Mme Mechri, c'est auprès d'elle que nous trouvons le réconfort. Aujourd'hui, elle nous a contactés et nous venons récupérer notre part de nutriments d'un donateur.»
Aujourd'hui Aboubakr a dix ans, il ne va pas à l'école, ne parle pas et porte toujours des couches. Rania a sept ans, après une année au préscolaire, l'école ne pouvait plus l'accepter à cause de son handicap. Sa mère a pu l'inscrire dans une école privée où elle est à ses premiers balbutiements. Une mère battante, dont la seule raison d'être, c'est qu'un jour son fils parlera.
Rabah, 41 ans, quatre enfants
Rabah vient de Djelfa, Ses quatre enfants souffrent de la maladie. Fatma a 17 ans aujourd'hui et elle n'a jamais fréquenté les bancs de l'école comme ses deux autres sœurs et son frère à cause de leur lourd handicap mental. «Fatma a fait ses premiers pas à 5 ans et prononçait à peine quelques phrases, sa sœur Widad, qui bouclait ses deux années, subissait le même retard. Je les ai emmenées chez un généraliste, il a diagnostiqué un autisme. Vu mes maigres revenus, je ne pouvais pas les faire suivre chez des spécialistes à Alger. De plus, qui voir, personne ne pouvait m'orienter. En 2010, un centre pour autisme a été créé, mes deux filles l'ont fréquenté quelque temps, mais ça ne donnait aucun résultat. J'ai décidé alors d'aller à Alger. On m'avait parlé d'un médecin privé à Chéraga qui m'a orienté vers le service neurologie de l'hôpital de Ben-Aknoun où elles ont séjourné 15 jours. Après une multitude d'examens qui s'avérèrent négatifs, on m'a dirigé vers l'hôpital Mustapha, au service biochimie, le seul en Algérie qui effectue les analyses de sang susceptibles de détecter la maladie. Les tests se révélèrent positifs. Islam et Douâa qui ont 7 et 5 ans ont eux aussi passé le test. Encore positif. Je me retrouve avec quatre enfants handicapés. Inutile de vous raconter la galère. Le lait, leur aliment essentiel, est hors de prix sans compter qu'il n'est pas toujours disponible. Au début j'allais le chercher à Alger, aujourd'hui, Dieu merci nous pouvons le récupérer à Djelfa. Mais sa disponibilité n'est pas toujours régulière.
Le gros problème, c'est que ce lait doit les suivre durant leur croissance, plus ils grandissent plus la denrée qui leur convient se fait rare. Mais que voulez-vous, on fait avec. Mais je continue toujours à me déplacer à Alger pour les analyses. Aujourd'hui, grâce à Mme Meddad, on est heureux. Elle nous a appelés pour prendre un quota. Nous lui devons une fière chandelle !»
Nassima, 39 ans, trois enfants
Entre deux sanglots Nassima fustige le système scolaire. «Je suis écœurée. Ma fille, Aya a six ans, elle a été rejetée par sa maîtresse, alors qu'au plan mental elle n'accuse pas de retard. Elle a juste besoin d'aide. Depuis que l'orthophoniste et la psychologue lui ont remis une lettre lui expliquant son cas, c'est l'embargo. Pour moi c'est un crime. J'irai me plaindre à l'académie de Birtouta. A la maison je ne m'occupe que d'elle, en plus de son régime qui exige un travail minutieux et une surveillance soutenue pour qu'elle le respecte, j'ai responsabilisé sa sœur aînée qui est dans la même école pour la surveiller à son tour, et je m'occupe aussi de ses cours. Elle a juste une petite difficulté en écriture, sa motricité est affaiblie. Sinon je vous assure qu'elle est intelligente, elle s'applique quand on s'intéresse à elle et qu'on l'aide. La psychologue m'a fortement déconseillé de l'inscrire dans une école spécialisée. Elle m'a répétée que ma fille est tout ce qu'il y a de normal. La maladie, je l'ai acceptée, mais pas l'indifférence et le mépris de nos pseudo-enseignants. C'est indigne pour la corporation. Et croyez-moi je ne suis pas un cas isolé. Je me battrai pour que ma fille réussisse. Je sens qu'elle a des capacités extraordinaires, je ne veux pas que l'école la brise. Elle souhaite devenir médecin, je ferai tout pour qu'elle le devienne un jour.»
Houria, 56 ans, sept enfants
Amina, sa fille est une rescapée. Elle a 19 ans aujourd'hui et elle prépare son bac. Sa maladie fut dépistée 6 jours après sa naissance. C'est ce qui l'a sauvée. En fait, elle y a échappé, parce que sa sœur avant elle, qui a 27 ans, en a été atteinte. Elle en garde de graves séquelles «Le diagnostic est tombé quand elle avait 8 mois. Je l'ai suivie mais j'ai fini par abandonner. Ilham refusait de voir les médecins. Quand on la piquait elle ameutait l'hôpital. Et puis son père m'endossait la responsabilité, il me le rabâchait tout le temps.
Un jour, au bord de la dépression, je lui ai dit que s'il ne me laissait pas la soigner, je quitterai la maison. Ça l'a calmé mais il me mettait la pression. Il chronométrait mes sorties, jusqu'au jour où sa mère, sur son lit de mort lui a fait jurer de me laisser tranquille. Pour Amina on a tout vendu, mes bijoux, la voiture. Un hidjab me tenait 10 ans. J'achetais rarement des vêtements pour mes autres enfants. Au début c'était dur, mais ils on fini par comprendre. Ils ne mangeaient pas de fruits, tout était pour Amina. Je m'estimais heureuse que son système nerveux n'ait pas été atteint, donc tout ce qu'on gagnait couvrait les frais de son régime. Il faut un livre pour pouvoir raconter ce que j'ai enduré.
La vie n'avait plus de sens pour moi. Je me disais : ‘‘Ilham a été sacrifiée, je ferai tout pour que Amina ait une vie normale.'' Et Dieu m'a aidée. Et je ne cesserai de remercier Mme Meddad pour tout ce qu'elle fait pour nous. Elle nous a appelés pour nous donner nos quotas de lait et nutritions, elle est infatigable. Elle nous écoute et allège nos souffrances. Je me demande ce qu'on ferait pour elle. Aujourd'hui Amina est une belle jeune fille, elle a déjà des prétendants mais je ne sais pas comment leur dire pour le régime. C'est mon seul souci.»


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