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OFFICIALISATION DE LA LANGUE AMAZIGHE
La berbérité n'est pas une notion régionale
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 01 - 2016


Par le Pr Omar Zemirli
L' arabisation des pays d'Afrique du Nord, qui a pris le qualificatif de Maghreb arabe, s'est faite par l'islamisation de la population autochtone, majoritairement amazighe. Le Saint Coran, écrit en langue arabe, ne pouvait être étudié et pratiqué que dans sa propre langue, qui ne pouvait être que sacrée. C'est ainsi que les autochtones, dans leur ensemble, païens, chrétiens, ont épousé la religion musulmane ; de même qu'une partie de la communauté juive vivant depuis des millénaires en Afrique du Nord s'est convertie à notre religion. A l'instar de tous les pays arabisés par l'islam, notre pays ayant recouvré son indépendance s'est doté d'une Constitution avec les deux constantes immuables et irréversibles : l'islam, religion d'Etat, et la langue arabe, seule langue officielle. La population dans sa globalité ne pouvait s'étonner et trouvait tout à fait évident que le premier président de la jeune République algérienne, quand bien même s'exprimant dans la langue de l'ennemi qu'on venait de vaincre, clame haut et fort que nous sommes Arabes et le répète trois fois pour s'en convaincre et l'imposer à ceux qui rejetteraient ou qui refuseraient cette appartenance. Mais à trop vouloir être l'autre au détriment de sa propre personnalité, on finit par oublier qui nous sommes. Et c'est ce qui arrive à la majorité des Algériens qui ignorent, qui occultent, voire qui refusent leurs origines, leurs racines. Quant à leur devenir, la nature et l'Histoire reviennent obligatoirement et inexorablement à leur juste origine. La majorité du peuple, par ignorance ou par opposition à ceux qui ont tenu à garder et à préserver leur identité et leur langue amazighe mais sans jamais nier la religion acquise, ont vécu comme des Arabes, leur arabité se limitant à la langue parlée avec, le plus souvent, dans plusieurs régions, des mots berbères arabisés Malgré la grandeur de la civilisation berbère, antérieurement à l'avènement planétaire de la période musulmane, et la cohabitation pendant cette ère où des dynasties berbères telles que les Mourabitounes et les Mouaouhidounes où les deux langues ont cohabité, nos dirigeants refusent de reconnaître la langue amazighe. L'histoire tout à fait naturelle des peuples d'Afrique du Nord a été pervertie par ses élites dirigeantes, non pas par les conquérants arabes, quelques centaines, voire quelques milliers, car que représentent-ils devant les millions d'autochtones des pays d'Afrique du Nord ? La colonisation française a tout fait pour créer un clivage entre les régions berbérophones et arabophones. Un vrai travail de fond et de longue haleine a été mûrement préparé, orchestré et mis en œuvre pendant toute la durée de la colonisation, pour séparer le même peuple berbéro-arabe par les spécialistes de l'Algérie française. Tous les moyens ont été utilisés pour promouvoir le Berbère kabyle par rapport aux autres Algériens, quelle que soit la région. Le «mythe du Kabyle» était prôné dans les manuels d'histoire. Sur le terrain, rien n'est laissé au hasard : la Kabylie a bénéficié, malgré elle, de plus d'écoles françaises laïques ou religieuses (les écoles des Pères blancs). Il y avait plus d'écoles en Kabylie que dans le reste de toute l'Algérie. Il fallait franciser la Kabylie et la christianiser. En dehors de l'aspect linguistique et de l'instruction dans cette langue, les autochtones n'ont jamais nié leurs us et coutumes et leur langue. Quant à la christianisation, c'était l'échec total. Jamais la population n'a renié sa religion musulmane. La misère et les quelques cas sociaux ont été les causes de quelques personnes récupérées par les institutions religieuses profondément implantées et totalement quadrillées dans toute la région. Ce que les historiens ne rapportent pas ou ne soulignent pas, ne l'avouent pas, c'est que la Kabylie, à l'instar des autres régions du pays, a autant de mosquées que de villages, voire, dans certaines villes telles que Dellys, il y avait une mosquée et une école coranique dans chaque quartier (huit mosquées pour les huit quartiers). Les écoles coraniques étaient des plus performantes en Kabylie. La confrérie Rahmania était très implantée et très influente et c'est sous son étendard que la résistance à la pénétration et le soulèvement en Kabylie se sont faites. La résistance farouche de Lalla Fatma n'Soumer en 1857 et l'insurrection d'El Mokrani en 1871, dont le prédicateur n'est autre que cheikh Ahaddad de la fameuse Tarika Rahmania, se sont très largement étendues à une grande partie du territoire national. La Kabylie, qui a résisté et qui n'est tombée que 27 ans (plus d'un quart de siècle) après la chute d'Alger, a continué à résister et n'a jamais cessé de lutter. Elle a toujours été le bastion de la résistance à l'envahisseur. Et même une fois militairement vaincue, les terres et les biens séquestrés, la population a toujours gardé son identité, sa langue, sa religion. «On nous casse, mais on ne se prosterne pas», dit le proverbe. La division semée par le colonisateur entre «Arabes et Berbères», en particulier kabyles, a eu des conséquences néfastes sur la cohésion pendant la lutte de Libération nationale. Il y a eu divergence et clivage quant à l'approche de l'identité algérienne. La majorité arabophone définissait l'Algérien comme étant arabe, musulman et occultant son identité et la dimension de la profondeur de ses racines amazighes. La plate-forme que Messali Hadj devait présenter à l'ONU au nom de son parti, le PPA (Parti du peuple algérien), en 1945, n'a pas fait l'unanimité au sein de son parti. Les membres de son bureau politique, majoritairement de Kabylie, ne pouvaient accepter et entériner cette charte qui les exclut et qui les présente comme étant arabes et élimine la composante essentielle de leur être et de leurs origines et leurs racines ancestrales, à savoir numides, berbères ou amazighes et peu importe le qualificatif, ils ne sont pas arabes. Les Turcs, les Perses sont musulmans et pas arabes, c'est une évidence. La crise de 1949, dite complot berbériste, a été néfaste pour le PPA. C'était la chasse aux Berbéristes ou plus précisément la chasse aux Kabyles qui n'admettaient pas d'être arabes. Les Kabyles qui acceptaient cette appartenance «arabe» le faisaient par opportunité en prétextant le souci de la cohésion et l'unité nationale mise à rude épreuve par le colonisateur. Naïvement, certains pouvaient le croire et voyaient la main de l'ennemi. D'autres ne considéraient pas que la dimension berbère était une priorité face la répression féroce de l'ennemi, mettant les tous autochtones «dans le même sac». Le déclenchement de la guerre de Libération n'a pas fait de concession pour les maquisards de la première heure de la Wilaya historique de la Grande- Kabylie. Malgré leur détermination farouche à combattre l'ennemi, ils étaient considérés comme dissidents, ils n'étaient pas d'accord sur l'identité décrétée par la Révolution, ils étaient donc des ennemis, il fallait les éliminer. Ils étaient exécutés par leurs frères berbères berbérophones de combat. Après tant de sacrifices, des millions de morts et une annihilation de la personnalité algérienne et de ses composantes et constantes nationales, le peuple aspirait à reconquérir son être et son âme. Pouvait-il en être autrement, une indépendance ou une souveraineté nationale ? Certes, la culture et la langue berbères ont toujours existé, mais au stade primaire, du folklore qu'on exhibe aux occasions. Certes, il y avait une station radio qui distillait les informations et les quelques chansons de quelques chanteurs de l'époque, mais les maîtres de la chanson engagée étaient interdits à l'antenne. Il ne fallait pas réveiller les consciences populaires et écrire l'Histoire, la vraie, celle des ancêtres, et reconquérir l'identité du peuple algérien qu'il soit arabophone ou amazighophone. Il fallait initier et promouvoir cette culture ancestrale complètement perdue pour une grande partie de notre population et appauvrie pour certains qui, tant bien que mal, ont pu, pendant des siècles, voire des millénaires, la conserver sans l'avoir enrichie. Des luttes des plus féroces, des plus meurtrières se sont poursuives pendant le demi- siècle qui a suivi l'indépendance et la libération du territoire par les Imazighène signifiant Hommes libres pour libérer les consciences, pour se libérer de la prison linguistique et culturelle de l'ennemi. Et étaient ennemis tous ceux qui voulaient les dépouiller de leur être et qui voulaient qu'ils soient eux mais pas tout à fait. Il fallait qu'ils restent les maîtres absolus, puisque avec leur raisonnement ils étaient un peuple soumis et donc des Arabes d'adoption. Malgré l'approche faite par nos savants, nos oulémas, en particulier ceux de l'école de la ville éternelle Constantine, Ben Badis le Sanhadji et ses condisciples arabes, berbères ou arabo-berbères ou les membres de l'Association des oulémas ont prôné que le peuple algérien est musulman et «à l'arabité il est lié». Cette quatre mots résument à eux seuls l'identité des autochtones de ce pays. Avaient-ils besoin de dire que le peuple algérien est amazigh ? C'était tellement évident, le dire aurait été un pléonasme. Cette ville de Constantine, deux mille ans avant, portait le nom de Cirta et était la capitale du premier et grand royaume berbère et avait comme roi, Massinissa, l'Aguellid, le Numide, le Berbère, l'Amazigh. Il fut celui qui édifia les premiers fondements du premier Etat algérien. La berbérité n'a jamais été une notion régionale et ne le sera jamais.
Elle est une vérité nationale. Les capitales des grands royaumes berbères en sont les témoins. Cirta à l'est, Tlemcen, capitale du royaume berbère, et Siga (n'en reste que des ruines) à l'ouest à sa tête le grand roi Syphax et Cherchell des rois Juba I et Juba II, capitale au centre, et du dernier roi berbère, Ptolemée le fils de Juba II et de Cléopatre Séléné, la fille de la reine Cléopatre d'Egypte et Marc Antoine le Romain. Le tombeau dit de «la Chrétienne» serait celui de Cléopatre Séléné. Drôle et étrange est l'évolution de l'histoire des peuples. Aucune trace de préservation de la culture et de la langue dans ces trois capitales, si ce n'est des monuments témoins matériels éternels de cette civilisation. Même le prénom Massinissa n'existe pas dans la capitale du grand Aguelid. Ce phénomène dont on ne doit laisser l'explication qu'aux historiens ne peut être dû en grande partie qu'à la fuite vers les hautes montagnes des régions de ces capitales. Cette hypothèse toute simple, pour ne pas dire simpliste, peut expliquer la présence des Berbères dits Chaouia dans les nombreuses montagnes symbolisées par le Djebel El Aurès et les différentes tribus, entre autres les Nememchas, les Haraktas, etc. Cherchell était une petite capitale pour expliquer deux mille ans après que les berbérophones des monts Chenoua ne sont pas aussi nombreux que les Berbères de l'Est. Que dirons-nous de l'immense région de Kabylie, la Grande, la Petite, la Basse, la Kabylie maritime, la Kabylie montagneuse qui n'avait ni royaume, ni capitale, ni roi si ce n'est au XVIe siècle, le royaume de Koukou. Mais il n'avait pas l'envergure des trois grandes capitales. Ce minuscule royaume se limitait à la Kabylie, il s'opposa à l'avancée des Turcs. Mais n'est-ce pas énigmatique que le bastion de la résistance, le temple de la culture, les sources intarissables, le vivier nourricier de l'amazighité se trouvent dans ces montagnes du Djurdjura s'étendant vers l'est jusqu'à faire fusion avec la chaîne montagneuse chaoui d'où a rejailli et rayonnait l'identité amazighe. Pendant deux mille ans, les deux citadelles de l'amazighité, représentées par les deux majestueuses montagnes kabyles, le Djurdjura et les Aurès, et leur point culminant Lalla Khedidja et djebel Chelia, ont veillé jalousement sur le tombeau du roi Massinissa, fondateur du premier et grand Etat berbère. Et le miracle ou le jour de la résurrection est arrivé. Les deux communautés berbères et d'autres venues des quartes coins d'Algérie telles que les Targuis, les Mozabites, pour ne citer que les plus connues, étaient au RDV pour ressusciter leur roi, le roi de tous les Berbères et de tout le peuple algérien quelles que soient ses origines et sa religion. C'est ainsi que le premier colloque international sur le roi Massinissa a été pour la première fois organisé par le HCA (Haut-Comité à l'amazighité) à Contantine, la capitale des deux grandes cultures et des grandes langues, la langue arabe, l'officielle, et la langue amazighe, la languenationale. Les habitants de Constantine ne peuvent que s'enorgueillir et être fiers de leur très riche patrimoine. Les initiateurs de ce colloque viennent de prouver qu'il est possible de se réconcilier avec son passé, ses origines, ses racines, quand bien même on a adapté et façonné, pendant des siècles, d'autres langues et d'autres cultures. La dimension culturelle de l'Algérien ne peut être que plus grande, plus majestueuse et plus riche. La réconciliation avec son passé amazigh, la consolidation avec ses siècles d'arabité et ses acquisitions de la langue française et l'apprentissage de la langue anglaise forgeront, forceront, consolideront sa personnalité, et feront de lui un citoyen du monde. Le poète a dit : «Si tu vois détruire l'œuvre de ta vie et tu te remets à construire, tu seras un jour un homme mon fils.» Massinissa, du haut de son tombeau et du fond de ses 2 000 ans d'âge, dit : «Vous avez vu détruire le premier grand Etat berbère, votre identité, votre culture et votre langue et vous vous êtes remis à construire, vous êtes des hommes libres mes fils, vous êtes des Imazighène.» Un peu plus d'une année après ce 1er colloque sur Massinissa, roi de Numidie, sur la période numide et juste après avoir décrété huit jours de deuil pour feu le héros de la Révolution Aït- Ahmed, le défenseur des libertés démocratiques et de toutes les cultures et langues du peuple algérien et avec une coïncidence énigmatique, à quelques jours des anniversaires du Maoulid Ennabaoui, du nouvel an de l'Hégire, du nouvel an universel et de Yennayer du calendrier amazigh, et comme par enchantement, la langue amazighe fut érigée, par le président de la République, langue officielle de tout le peuple algérien. Restent les modalités de sa mise en application sur le terrain à tous les niveaux de la société et des institutions de l'Etat. L'Algérie fut le deuxième pays faisant officiellement partie du Maghreb arabe à constitutionnaliser la langue amazighe. A qui le tour ?


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