Impressionnant. C'est le moins qu'on puisse dire à propos du film Theeb du réalisateur jordanien Naji Abou Nouar, projeté vendredi à la Cinémathèque d'Alger pour clôturer en beauté les 5es Journées du cinéma jordanien. Dans le désert d'El Batraâ en Jordanie, Naji Abou Nouar nous offre une virée magistrale en compagnie d'un prodige nommé Jassir Aid qui, du haut de ses treize ans, va accaparer l'écran et devenir l'attrait principal de ce long-métrage primé à Venise et sélectionné aux Oscars. Theeb (Loup) est une espèce de western dépouillé, débarrassé des fioritures et des effets de manche usuels. Nous sommes en 1916 : en pleine Grande Guerre, les révolutionnaires arabes, soutenus par l'Empire britannique, se soulèvent contre la présence turque. Theeb est le fils cadet d'un chef de tribu nomade qui passe ses journées avec Hussein, son frère aîné, dans l'immensité désertique où le quotidien s'écoule sereinement jusqu'à ce qu'un bédouin arabe escortant un officier anglais vienne demander l'aide de Hussein pour atteindre un point de rendez-vous avec les insurgés. Curieux, le gosse s'invitera dans le périple et ce sera le début d'une rude aventure qui dévoilera les innombrables talents du réalisateur. Ce dernier, également co-auteur du scénario avec Bassel Ghandour, est d'abord un excellent conteur : la traversée silencieuse d'un Sahara rude et inhospitalier se fait au rythme d'une légende arabe, ponctuée par les paysages grandioses des gorges et des dunes et les scènes de cavalerie, de fraternité et de bassesse comme au bon vieux temps narré par les poètes anciens. C'est sans doute là que réside le premier coup de force de Naji Abou Nouar : cet art de maintenir un côté intemporel et d'échapper à la chronologie fixée par le synopsis car il devient évident qu'il est moins important de comprendre la trame du film que de s'imprégner de ses atmosphères et d'admirer la construction à la fois épurée et complexe des personnages. Descriptif sans donner l'air d'y toucher, Theeb arbore un assemblage curieux entre un regard froid et distant sur le mode de vie des bédouins et une tendresse infinie pour ces hommes n'ayant pour nation que leur clan et pour morale que le principe ancestral de la solidarité tribale. Pour autant, le film est exactement le contraire du canevas usuel retournant dans tous les sens les aspects sociologiques de la vie de ses protagonistes, lesquels d'ailleurs ne sont pas légion. Tout au long de ses 100 minutes, il arbore au contraire une superbe austérité à l'image des espaces nus où il se déroule ; la parole est aussi rare que la présence humaine et les situations dramatiques sont savamment dosées entre un suspense sournois et un côté méditatif désarmant. Il ne s'agit pas non plus de se laisser prendre au piège des plans panoramiques abusifs favorisés par la majesté des paysages mais de pointer sa caméra de manière aussi intelligente que pudique sur ces sites époustouflants de beauté sans jamais prendre plus de temps qu'il n'en faut. Tout est donc affaire de rythme et de calibrage où se rencontrent harmonieusement une poétique éthérée digne d'un film d'auteur et un certain nombre d'ingrédients garantissant le spectacle à la manière d'Hollywood. Ce voyage initiatique d'un enfant n'ayant connu du monde que son troupeau de chèvres et l'horizon hostile des confins désertiques infranchissables est en fin de compte une célébration d'une certaine idée de la pureté, celle d'une Arabie de jadis où les valeurs se réduisaient certes à un code tribal rudimentaire mais qui paraissent au spectateur d'aujourd'hui comme un véritable havre spirituel où la rudesse de la nature apprenait aux hommes le sens de l'honneur, de l'humilité et de la frugalité. Celle-là même qui fait toute la force esthétique du film : tourné sans décors, sans casting embouteillé et sans extravagances techniques, Theeb s'impose par la seule puissance de sa mise en scène et, bien entendu, la performance inoubliable de son acteur principal.