Le long-métrage «16h, heure du paradis» a été projeté à la salle le Maghreb dans le cadre de la compétition officielle du 8e Festival international d'Oran du film arabe (Fiofa). Ecrit et réalisé par Mohammed Abdelaziz, ce film-choral sera, selon toute logique, le grand lauréat de cette édition 2015. Sans aucun doute, le public nombreux de la salle Maghreb a vécu un grand moment de cinéma avec «16h, heure du paradis», une toile digne des plus grands Velasquez. Bachir (Mohamed Al Rachi), un homme kurde, transporte sa femme mourante à bord d'une charrette tirée par un magnifique cheval noir qui ne tardera pas à mourir de fatigue. Maya, la leucémique agonisant dans un hôpital, boit goulument les baisers de son amant, chef d'orchestre, ancien détenu politique torturé durant quinze ans, lorsque le père (Assaâd Fidha) débarque et la réprimande violemment avant d'aller se suicider dans une forêt au même moment où naît une fille d'un couple tombé en panne sur la route avant d'arriver à l'hôpital. Quatre amies, militantes de gauche, exécutent une performance à Souk-El-Hamidia en lançant des youyous et en brandissant une série de pancartes formant la phrase : «Assez pour l'Homme syrien !» Une danseuse de ballet qui allait jouer dans le spectacle «Le serpent et la grenade» du même chef d'orchestre est victime d'un attentat à la voiture piégée sous le regard de son amoureux qui monte la garde au barrage militaire du quartier. Un jeune couple s'apprête à émigrer avec leurs deux enfants en Arabie Saoudite, destination qui terrorise l'épouse tandis que le père de l'époux choisit de rester en faisant semblant d'avoir oublié son passeport. Nous sommes en Syrie et la guerre, majestueuse absurdité, ne parvient pas à tuer l'humain ni à détruire une ville où tout palpite pour la vie : le Kurde, sans le sou, va essayer de vendre son rein pour payer les soins de sa femme mais se fait poignarder par l'acheteur quand il change d'avis en préférant vendre sa vieille charrette ; le chef d'orchestre raconte la légende du Cupidon damascène qui, au lieu de lancer une flèche, jette un citron sur les futurs amoureux ; la ballerine écoute avec enjouement les délires de sa mère atteinte d'Alzheimer qui s'habille pour aller au concert de Abdelhalim Hafez ; la belle activiste admire le portrait géant de Fidel Castro alors que son ami Kinan signe la défaite de la Gauche en jetant par terre les livres de ses maîtres-penseurs comme autant de pacotilles insignifiantes devant la guerre ; la ballerine que les chirurgiens essaient de sauver quitte la salle d'opération et exécute une magnifique chorégraphie sur un sol tapissé de grains de grenade ; la leucémique décide de sortir et rejoint son amant dans une grande maison édénique remplie de serpents au moment où l'artiste vient d'apprendre qu'il a été dénoncé par son camarade de lutte devant lequel il mime, tout nu, les scènes de torture en flagellant l'eau du bassin et en se faisant immerger la tête avant d'asperger son piano de whisky et d'y mettre le feu. Damas, devant la caméra magique de Mohammed Abdelaziz, devient un poème cruel où la beauté n'est pourtant jamais absente. Durant plus de deux heures, la tension émotionnelle ne retombe à aucun moment sans qu'il y ait pour autant le moindre soupçon de pathos car le cinéaste sait peser, à la manière d'un orfèvre, chaque carat de sa dramaturgie qui forme une rencontre rarissime entre le réalisme implacable des situations du film et l'onirisme des tableaux par lesquels elles sont sublimées. Damas redevient la déesse Ishtar, tantôt venimeuse comme un boa, tantôt câline et espiègle tel un Cupidon, mais toujours debout face à la menace d'une invasion barbare, sous les bombes ou dans les bras de ses innombrables amants... Le réalisateur ainsi que ses acteurs ont su tanguer entre dépression et état de grâce, entre tragédie babylonienne et conte surréaliste des plus débridés, entre l'enfer et l'Eden dans lequel, et malgré sa cruauté,le film entraîne le spectateur tant l'esthétique inespérée de «16h, heure du paradis» l'aura à la fois abîmé et enchanté.