Il faudrait vraiment avoir une conviction inébranlable quant à la légitimité de son droit pour passer une journée sans manger, une nuit dehors sans dormir et sous un froid glacial, après avoir marché, sans arrêt, durant huit jours sur une distance de 250 kilomètres, de Béjaïa vers Boudouaou et reprendre la lutte dès le lever du jour. La force de caractère est nécessaire dans ce genre d'action étalée sur le temps. Ces hommes et ces femmes qui défendent la dignité de l'enseignant, venus de l'Algérie profonde, ont cette force. Ils ont la certitude que leur revendication est juste. Pour la faire aboutir, ils consentent à faire des sacrifices. Pour se sentir encore plus forts, ils sollicitent la solidarité de leurs collègues de la société civile et de leurs représentants aux instances électives. «Nous avons appris que des enseignants de plusieurs wilayas du pays ont organisé des journées de protestation pour nous soutenir. Nous appelons tous nos collègues des autres wilayas à multiplier ce genre d'actions pour nous aider.Nous demandons également la solidarité de nos députés, du mouvement associatif, de tous les partis politiques et surtout de nos concitoyens», nous ont confié plusieurs d'entre eux, hier mardi. Et de poursuivre : «Qu'ils soient rassurés et ils le savent bien, notre manifestation est totalement pacifique. Nous n'avons enregistré aucun incident depuis Béjaïa et notre revendication est légitime.» Ce que les observateurs constatent chaque jour. Cela se vérifie à travers leurs slogans qu'ils chantent tout le temps. Leur ministre est ciblée, mais on n'y décèle aucune animosité ni parole blessante ni virulence dans leurs propos. Bien au contraire il y a une forme de poésie et de raffinement dans ce qu'ils chantent matin, soir et de nuit. «Nos concitoyens et les autorités du pays savent que notre démarche ne concerne que la demande de notre intégration sans condition dans le corps des enseignants puisque nous sommes déjà des enseignants en exercice. Cette démarche n'a aucune visée politique, nous ne sommes pas des politiciens, mais tout simplement des enseignants», nous ont, en outre, déclaré hier plusieurs autres grévistes que nous avons accostés sous une pluie battante. Hier mardi, les marcheurs de Béjaïa ont entamé donc leur second jour de grève de la faim sous la pluie, en chantant leurs slogans porteurs de leur revendication, à savoir l'intégration sans condition dans le corps des enseignants. En dépit des difficultés dans lesquelles ils se trouvent et l'extrême précarité qu'ils subissent à Boudouaou, hommes et femmes gardent un bon moral. Les citoyens du quartier du Plateau de Boudouaou ont manifesté un peu de solidarité en leur offrant quelques couvertures et matelas, permettant aux femmes de se reposer quelque peu. Cela reste largement insuffisant. Nous avons, par ailleurs, questionné les grévistes sur le comportement des policiers qui assurent la sécurité et qui ont bloqué l'avancée du cortège. Les enseignants le jugent correct. «Pourquoi concourir pour des postes qui n'existent pas» ? Sur l'initiative de parlementaires, la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit Remaoun, a reçu en fin de journée du lundi une délégation de 5 représentants des enseignants grévistes. Malheureusement la rencontre n'a débouché sur rien. Benghebrit, dont le pouvoir dans ce dossier reste, de l'avis de tous, limité, a, selon un délégué, réitéré sa proposition concernant l'attribution d'un point par année d'expérience aux contractuels, points à prendre en compte lors du calcul des moyennes du concours national visant à recruter 28 000 enseignants. Néanmoins l'enseignant destinataire de ces points ne pourra pas dépasser 6 points même s'il a plus de 10 années d'expérience en tant qu'enseignant contractuel. De plus, la ministre aurait promis de régler le problème de la paie des vacataires. Une fois revenus à Boudouaou, les délégués ont soumis les offres de Benghebrit. L'ensemble des grévistes les ont rejetées. Eux partent d'une logique simple pour appuyer leur revendication. «Puisque nous sommes des enseignants à part entière et nous exerçons, pour certains depuis plus de 10 ans et certains ont des classes de terminale, pourquoi sommes-nous exclus de l'intégration ?» Citons le cas de ce jeune qui exerce dans une wilaya enclavée, très difficile au plan sécuritaire- nous ne mentionerons ni le nom ni la localité pour ne pas exposer, plus tard, le concerné, aux représailles de son inspecteur. Le jeune homme en question exerce, depuis 4 ans, dans un village retiré comme enseignant dans une petite école primaire. De plus, il gère l'établissement en question (fonction de directeur) de même qu'il s'occupe de la cantine scolaire. Il est toujours contractuel. Il y a également l'exemple de ce jeune ingénieur de 32 ans qui exerce depuis 3 ans à Mostaganem. «Puisqu'au plan pédagogique je suis inspecté régulièrement par l'inspecteur de la matière qui fait son rapport. Cet inspecteur donne son quitus, cela veut dire que je suis compétent. De plus, si je n'aimais pas ce métier d'enseignant, je l'aurais quitté depuis longtemps. Pourquoi dès lors je suis exclu de l'intégration ?» Des cas semblables sont légion dans le pays. Les enseignants vacataires dénoncent un autre problème au sujet de ce concours national. Ils nous affirment, avec des exemples concrets, que s'ils acceptent de concourir, ils risquent de le faire pour rien. En clair, dans plusieurs wilayas, il n'y a pas de postes alors que les contractuels sont en nombre. Exemple dans la wilaya de BBA, rien que dans la filière de la philosophie, 17 contractuels y enseignent alors qu'aucun poste n'est prévu. A Boumerdès, en langue espagnole, 8 contractuels donnent des cours alors qu'il n'existe que 2 postes. On nous cite beaucoup de wilayas où ce problème de postes existe. Il est désormais clair que pour la résorption de ce pénible problème, une décision politique souveraine au sommet de l'Etat est nécessaire. Pour l'heure, ce n'est pas le cas.En envoyant des policiers et des gendarmes barrer la route à ces enseignants, on a privilégié la répression. Abachi L. Revendication des contractuels Le CLA appelle à la mobilisation de tous les enseignants Le combat des enseignants contractuels pour leur intégration risque-t-il d'être porté par l'ensemble des enseignants ? C'est en tous cas la volonté du CLA (le Conseil des lycées d'Algérie). Le syndicat, qui a réuni son bureau national hier en session extraordinaire, lance un appel de solidarité à tous les enseignants du secteur de l'éducation. Dans un communiqué rendu public, le CLA dit vouloir «maintenir et amplifier la pression jusqu'à l'intégration, sans condition, de tous les enseignants vacataires et contractuels». S. A. Vivant sous la pluie, les grévistes ont lancé hier après-midi un appel à une aide urgente afin de les mettre sous abri (tentes, couvertures).