Sortir pour travailler et non pas pour aller au travail. Etre heureux en se disant qu'on est utile. Ce sont là autant de réflexions de ceux qui «nagent» dans le bonheur au labeur. Est-ce le cas en Algérie ? Soraya, maman de deux enfants, enseignante : «Se sentir utile» «J'ai toujours rêvé d'exercer le métier d'enseignant. Pour moi, il n'y a pas plus noble travail que d'éveiller la conscience des enfants. Je me sens responsable des générations à venir et me sens de même très impliquée dans la société dans laquelle je vis. Je me sens utile.» C'est ce sentiment qui motive Soraya au quotidien pour se rendre à l'école dans laquelle elle exerce depuis quelques années. «Vous savez, au départ, j'ai travaillé dans une crèche où j'ai été très malheureuse parce que j'assistais impuissante à certains comportements et actes que je jugeais comme des maltraitances. Cela me faisait vraiment mal au point où j'ai failli faire une dépression. Alors, j'ai quitté, même si j'aimais mon travail, mais je n'étais pas heureuse. Par la suite, j'ai fait des vacations et je ne comprenais pas pourquoi les enseignants se plaignaient, même si toutes les conditions de travail étaient réunies. Pour la plupart, c'était une corvée plus qu'un travail rémunéré. Pour ma part, depuis que j'exerce à plein temps, je nage dans le bonheur. C'est vrai qu'au départ, j'ai eu du mal à m'entendre avec le directeur parce que je voulais organiser des sorties pédagogiques, mettre en place un club vert et d'autres activités encore. L'idée ne l'emballait pas du tout. Il était très carré ; mais petit à petit, il a fini par accepter et adhérer pleinement à mes idées. Je pense que lui-même est fier de dire que nous organisons ce genre d'activités. Pour ma part, je peux dire qu'au jour d'aujourd'hui, j'ai trouvé le bonheur au travail. Et j'espère que cela va durer très longtemps. Je pense qu'il n'y pas mieux que de se sentir utile.» Nouha, 45 ans, célibataire, secrétaire de direction dans une entreprise publique : «Je pleure tout le temps» Pour Nouha, le travail équivaut à une torture. «J'ai commencé à travailler très jeune car je vivais dans une situation familiale précaire. Et j'ai très vite déchanté. J'ai compris que dans le milieu du travail, c'est la loi du plus fort qui prime. Le plus fort en termes de méchanceté, ou bien de maârifa mais rien à voir avec les compétences et le travail. Cela m'a vraiment attristée. Avec ma façon naïve de concevoir le monde, j'ai subi beaucoup de coups bas. De nature timide, je me suis sentie très vite seule et vite renfermée sur moi-même. Mais au moins j'avais quelques tâches à accomplir au bureau. Mon responsable veillait à ce que je m'occupe au moins quelques heures par jour. Mais depuis qu'il a été promu, j'ai été mutée à une autre direction. Et c'était là le drame. Mon supérieur ne sait vraiment pas comment dispatcher le travail et ne fait confiance à personne. Au fil des semaines, il m'a confisqué l'ordinateur, et ne me confiait plus aucune tâche. Je n'ai plus simplement aucun plan de charge. Si vous entrez dans mon bureau, qui est très grand, vous trouverez une table, une chaise et c'est tout. Pas de feuilles, rien. Quand je réclamais du boulot, il refusait même de me recevoir dans son bureau. Et dans sa direction, je ne suis pas la seule dans ce cas. Cela me fait encore plus mal parce que je n'ai personne avec qui parler et partager mon désarroi. Alors, depuis quelques semaines, j'ai pris l'habitude de prendre avec moi des romans et je passe mes heures à lire au bureau. Comme je n'ai pas de PC, je prends avec moi un cahier et j'écris mes pensées pour passer le temps. Mais, des fois, je me surprends à pleurer des heures durant sans pouvoir me calmer. A vrai dire, je pleure tout le temps. Je ne suis épanouie ni chez moi ni au travail. Je survis tout simplement.» Mourad, cadre dans une entreprise privée : «le bonheur au travail n'existe pas» «Je suis très pragmatique à propos de cette question. Je travaille pour un salaire, sans plus. L'entreprise est censée me fixer des objectifs qu'elle doit atteindre et en contrepartie, je perçois un salaire. Je ne crois pas à la théorie du bonheur au travail et à l'épanouissement dans son lieu de travail. Pourquoi ? Parce que par mon expérience professionnelle, à chaque fois que j'ai voulu m'investir dans mon travail en me disant que c'est mon deuxième chez-moi, j'ai été déçu. Au bout de cinq années de travail, j'ai donc décidé de ne plus m'investir émotionnellement. Mes relations avec mes collègues se limitent à des échanges purement cordiaux. Lors des réunions, j'essaye de prendre la parole le moins possible tout en donnant quelques indications sur mon plan de charge. Je pense que les déceptions de mes premières années de travail ont forgé mon caractère et je suis devenu imperméable à l'ambiance au travail. Donc, comme je le disais, le bonheur au travail n'existe pas. Mais je considère que le respect au travail doit être une obligation et de rigueur tout le temps.» Hassan, marié, employé dans une entreprise publique : «je ne réfléchis pas de cette façon» Pour Hassan, la question du bonheur au travail est une problématique énigmatique. «Je n'ai pas compris votre question. Vous voulez dire si en allant au travail, on est heureux ? Je ne me suis jamais posé cette question. Je n'ai jamais réfléchi de cette façon. Pendant longtemps, mon entourage m'a harcelé pour trouver un emploi stable et de préférence dans une entreprise publique. On me disait souvent que j'aurai moins de pression et surtout moins de tâches. Eh bien, c'est la réalité. Chaque jour, je dépose mes enfants à l'école et je me rends au travail pour rester au bureau sans que l'on me confie un travail. Comme j'ai un responsable qui demande juste qu'on pointe, alors dès 10h, avec mes collègues, nous sortons faire nos courses, et nous retournons vers 15h. Est-ce que c'est cela le bonheur au travail ? Oui, peut-être. En tout cas, pour ma part, je ne le conçois pas autrement.»