[email protected] Un cahier à la main, un biscuit dans l'autre, Salim se dirige vers la salle de bain avant de se faire rattraper par sa mère. «Pas si vite, tu vas me laisser le temps de prendre une douche avant de t'enfermer.» C'est la dernière ligne droite avant les épreuves du bac, et Salim donne un bon coup avant le jour J. La salle de bain c'est son lieu de prédilection et surtout d'inspiration pour ses révisions. «Il ne sait pas travailler ailleurs. Cela date du primaire. On a beau lui expliquer que ce n'était pas un endroit pour apprendre ses leçons ou faire ses devoirs, mais rien n'y fait. Il piquait des crises de larmes quand on s'y opposait. On a donc fini par céder.» Allongé dans la baignoire, qu'il aura au préalable recouverte d'une couette, Salim potasse ses leçons. «Tout petit, il a commencé à le faire, d'abord en cachette. Après le goûter, il prenait carrément son cartable et s'enfermait. Il était très discret. Au départ, je ne m'en rendais pas compte. Je rentrais du boulot fatiguée, j'avais juste le temps de préparer le dîner. J'allais directement dans la cuisine, je n'en sortais que pour inviter Salim, son frère cadet et leur papa à se mettre à table. J'étais loin de me douter qu'il se trouvait dans la salle de bain et encore moins son père qui était tout le temps scotché devant la télévision.» Le pot aux roses, la maman l'a découvert le jour où le petit frère avait renversé son bol de chocolat au lait. «Il était trempé. J'avais piqué une crise ce jour-là car j'étais en retard pour la popote. J'ai vite changé Samy puis machinalement j'ai pris les vêtements sales pour les mettre dans le panier. La porte de la salle de bain était fermée. J'ai tapé mais personne ne répondait. J'ai vérifié si Salim ne se trouvait pas dans sa chambre, j'ai vite compris qu'il était à l'intérieur. Trop effrayé d'être surpris, il ne bougeait pas. Sentant que je bouillonnais, il a fini par ouvrir. Le cartable à la main, il baissa la tête et courut vers sa chambre. Quant à moi j'étais hébétée par ce que je venais de découvrir. Il avait posé un drap au fond de la baignoire, il s'asseyait et travaillait tranquillement. Au début, choquée, je lui interdisais de rentrer dans cette pièce sans ma permission. Je le surveillais, mais je voyais qu'il était malheureux. Je l'obligeais à faire ses devoirs dans sa chambre, assis derrière son bureau. Il restait des heures sans rien dire, mais il n'ouvrait aucun cahier. Je m'obstinais vainement. Son père essayait de me raisonner mais n'y parvenait pas. Au fil des jours, j'ai constaté qu'il n'ouvrait plus ni cahier ni livre. Là j'ai compris que ce n'était pas de la rigolade. J'ai laissé faire. Je n'ai pas à me plaindre, puisqu'il a de bons résultats à l'école. Je n'ai plus cherché à comprendre le choix de la baignoire.» A 17 ans, Salim n'a pas dérogé à la règle. Les maths il les potasse toujours dans sa baignoire. Et son bac, il compte bien le décrocher. «Maintenant tout le monde a compris que la salle de bain est réquisitionnée au moment des révisions.»