Par Belaïd Mokhtar, un lecteur L'enfance de Rahim n'a pas été de tout repos, il est né dans un hameau où tout autour, il n'y avait que rocaille et mauvaises herbes et où survivre était un défi quotidien pour l'ensemble de sa famille. Jeune et robuste, Rahim ne rechignait pas à exécuter toutes les besognes éreintantes qui lui étaient confiées. Cela l'a endurci et lui a forgé un mental d'acier. Repéré par un de ses oncles, boucher, qui voyait en lui une bête de somme, la proposition a été faite à notre adolescent. Voulait-il devenir le commis du tonton et l'accompagner dans les marchés hebdomadaires des petites villes environnantes ? Une opportunité qui ne se refuse pas, quitter ces lieux hostiles et inhospitaliers a toujours été le rêve de Rahim Intelligent, il ne tarda pas à apprendre rapidement tous les rudiments du métier de boucher et comprit très vite que son parent l'exploitait honteusement, il travaillait plus de 14 heures par jour, dormait souvent dans le hangar à bestiaux et le salaire qu'il percevait lui permettait tout juste de se nourrir. S'il a supporté tous ces supplices, c'était dans le but d'acquérir de l'expérience afin qu'un jour il puisse ouvrir sa propre boucherie. Il travailla comme un forcené et se sentit fort et autonome. Il comprit alors que son oncle ne pouvait plus rien lui apprendre. Il n'avait plus besoin de lui. Ainsi, il atteignit son objectif, et décida de le quitter. Mais avant de jeter le tablier, il jura de lui cracher tout ce qui le torturait durant toutes ces années. Pour gagner sa vie, il devint manutentionnaire d'un chauffeur livreur de limonade et de jus. A longueur de journée, il chargeait et déchargeait des caisses, c'était plus qu'exténuant mais bien payé. Econome, il réussi à mettre un peu d'argent de côté. Il put ainsi se marier, et de cette union naquirent une fille et un garçon. Par son labeur et son esprit économe, il réussit à louer une petite boucherie à l'intérieur d'un marché communal. Et c'est la que la fortune est enfin venue toquer à sa porte. Une compagnie étrangère de bâtiment et travaux publics, engagée par le gouvernement pour la construction de logements, lui fit appel pour l'approvisionnement en viande de tous ses ouvriers. Une aubaine inespérée pour constituer sa richesse. Il décida de thésauriser son argent jusqu'au petit sou afin de construire sa propre maison, et pas des moindres ! Il acquit un lot de terrain et se chargea de la construction de la bâtisse. Il fit appel à un architecte pour la réalisation des plans, à un ami pour le suivi lorsqu'il était occupé à la boucherie, le recrutement des maçons, des manœuvres, ferrailleurs et autres était là aussi son affaire. Les travaux achevés, on pouvait dire que la maison cossue était une des plus belles du voisinage. Au rez-de-chaussée, il réalisa l'aménagement d'une boulangerie, une cafétéria et une boutique de prêt-à- porter ; quant au sous-sol, il l'utilisa comme atelier de torréfaction. Les trois étages qu'il avait érigés étaient réservés à des appartements luxueux de 220 m2. Constatant qu'il se débrouillait pas si mal dans le domaine de l'immobilier, il se lança dans l'acquisition de locaux désaffectés qu'il rénovait en faisant appel à des spécialistes. Une fois transformés, il les revendait le double, voire le triple du prix d'achat. Cette énième rentrée d'argent permet de dire que Rahim a ramassé un sacré pactole qu'il mit à l'abri dans une banque. Philanthrope qu'il était et très sensible à la misère des autres, sa maison était ouverte à toute personne dans le besoin, il payait souvent des factures d'électricité et d'eau à plusieurs voisins qui ne pouvaient pas boucler les fins de mois. Les sans- abri et les mendiants ne quittaient jamais sa maison le ventre creux. Sa fille, Salima, épouse d'un maçon plutôt paresseux et pas très débrouillard, ne manquait jamais de rien. Il l'aimait trop, elle était la prunelle de ses yeux et ne pouvait lui refuser ses désirs. Pour Aziz, son fils, c'était une autre histoire. Il ne voulait pour rien au monde qu'il endure les mêmes souffrances et suive le même parcours que lui. Rahim satisfaisait tous les caprices de son rejeton. Monsieur est dépensier, il avait des goûts de luxe, et n'hésita pas à s'accaparer du plus bel appartement de la bâtisse, et ne portait que des vêtements griffés. Adolescent, il possédait les plus belles motos ; adulte, il changeait de voiture au gré de ses humeurs. Pour son mariage, il exigea la plus somptueuse cérémonie, avec en prime un voyage de noces dans un pays de rêve. Mais tout cela ne suffisait pas à notre nabab. Il voulait vivre en Europe, il finit par convaincre son géniteur de lui acheter un commerce en France, par l'intermédiaire d'un affairiste véreux. Il réussit à louer un local à Paris. Aveuglé par l'amour qu'il vouait à son fils, Rahim dût payer le loyer pendant des années sans que Aziz y mette les pieds durant plus de trois ans. Le pauvre Rahim a vendu plusieurs de ses biens croyant faire un bon placement dans la réussite et l'avenir de son fils. Guidé par un esprit mercantile et roublard, il finit par s'installer dans une des capitales de l'Europe et gère ses deux commerce : une superette et une boucherie. Ceux qui sont restés au «bled» étaient des incapables, et lorsqu'un un compatriote lui rendait visite, l'accueil était froid. Il ne voulait plus avoir de contact avec son passé. Il revenait au pays juste pour frimer et exhiber sa «fortune». Trop gourmand, cela ne lui suffisait pas. Il voulait jouer à l'homme d'affaires, lui qui était loin de maîtriser la langue de Voltaire, tomba entre les griffes d'escrocs qui lui firent miroiter monts et merveilles dans l'import-export. Pour cela, il devait réunir une somme faramineuse en euros, afin d'importer des boissons fruitées d'un pays du Moyen-Orient. Sans hésiter et obnubilé par la fortune, il hypothéquât sa maison ainsi que tous ses biens et parvint à récolter la totalité de la somme exigée. Il commanda sa marchandise, cette dernière ne tardât pas à arriver à bon port. Mais ce qu'ont oublié de lui dire ses arnaqueurs, c'est qu'en Europe les contrôles sanitaires étaient stricts. Ainsi, et après inspection, il s'avérait que les boissons étaient impropres à la consommation et qu'elles devaient retourner dans leur pays d'origine. On eut dit que le ciel venait de tomber sur la tête de notre affairiste d'occasion. Les malfaiteurs qui s'en sont mis plein les poches durant la transaction ne répondaient plus au téléphone. C'était la faillite. Supérette, boucherie, maison et tous ses biens sont saisis par la banque. Ruiné, il connut un changement radical dans son mode de vie. Finis le faste et la vie de riche pour notre prince héritier. Logis minable, voiture d'occasion, et petits boulots étaient le nouveau quotidien de celui qui rêvait de faire fortune à l'étranger, finis les fanfaronnades, le ton hautain. Il est redescendu de son piédestal, et la chute fut féroce. Il harcela une nouvelle fois son père pour le tirer d'affaire. Rahim ne peut lui dire non. Il brada le peu de biens qui lui restait. Désargenté, il devint à son tour simple locataire et fut obligé de reprendre son ancien métier de boucher au marché communal.