Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Voilà deux chiffres devenus, grâce au sens du raccourci typiquement anglo-saxon, un acronyme parfaitement évocateur du second Pearl Harbour qui brisa moralement l'Amérique en 2001. Or, à une échelle plus modeste et dans le domaine strictement politique, la même date fait également sens auprès des mémorialistes algériens. Elle renvoie à l'année 1998 et à l'incompréhensible raison qui décida Zeroual à annoncer publiquement sa démission ce jour-là. Même s'il est clair qu'aucun lien de cause à effet n'existe entre ces deux moments historiques, sinon la fortuite conjonction du calendrier, rien, par conséquent, ne s'oppose à ce que cette «lettre» soit consacrée aux deux sujets. Réactiver les souvenir liés à l'éviction maquillée d'un Président algérien puis recadrer l'impact de la spécificité algérienne face au nouvel ordre international, dont l'Amérique exigea la ratification, seront par conséquent les deux volets du texte qui va suivre... ... Parmi les luttes intestines au sein des pouvoirs et qui ont souvent tourné aux règlements de comptes, la démission de Zeroual garde, à ce jour, tout son secret que l'on pourrait qualifier d'omerta des casernes. C'est-à-dire un corporatisme fortement marqué à l'origine du sectarisme qu'elle cultive par rapport au reste de la société. Dans le contexte de 1998, ce putsch de palais (... de caserne est plus convenable) n'étonna pas outre mesure l'opinion qui eut à décrypter au cours des semaines qui l'ont précédé la féroce campagne de dénigrement ciblant l'entourage de ce général-Président. Il est vrai que le fait qu'il fût initialement coopté par ses pairs puis légitimé par un vaste mouvement d'opinion que les urnes traduisirent en plébiscite n'en a pas fait pour autant de Zeroual un chef de l'Etat de «plein exercice». Otage de l'aristocratie galonnée, il n'était reconnu au mieux par celle-ci que comme le «Primus inter pare» (le premier parmi ses pairs). Ce sera, par conséquent, au soir du 11 septembre que la télévision diffusera l'allocution rédigée avec minutie et préenregistrée. Dans le pur style du catéchisme des Soviets, pas un mot du texte ne devait trahir les véritables raisons de l'écourtement d'un mandat ni qui étaient les maîtres de ce jeu. Contraint de prendre sur lui les conséquences d'une insoutenable vacance du pouvoir, il se réfugiera derrière le principe de l'alternance qu'il «souhaitait, disait-il, illustrer immédiatement» ! Une profession de foi que l'opinion n'eut aucune peine à tourner en dérision en se rappelant simplement qu'il en parlait différemment 20 jours auparavant. Il est exact, effectivement, qu'à la date du 20 août 1998, ce même général-Président n'avait-il pas prononcé un discours musclé à travers lequel il fit allusion aux dépassements qui jettent le trouble au sommet de l'Etat et contre lesquels il serait sans faiblesse par le biais des sanctions ? Toute la vérité à propos de son départ ne doit-elle pas, par conséquent, se trouver que dans la parenthèse temporelle qui va du 20 août au 11 septembre ? Ces énigmatiques 20 jours au cours desquels son destin de Président fut scellé par cet étonnant deal «l'autorisant» à démissionner, d'une part, et d'autre part, à assurer la transition en demeurant honorifiquement en fonction jusqu'à l'élection de Bouteflika. Un successeur que le hasard de l'Histoire le soumettra, à son tour, à une autre épreuve inscrite étonnamment à l'éphéméride du même jour. C'est que l'évènement planétaire du 11/09/2001 surprenait le pouvoir algérien en pleine «concorde» avec les «katibate» de l'AIS dont les éléments étaient exonérés de leur crime. En ce temps-là, l'Algérie ratifiait une première capitulation après que le chef de l'Etat eut fini sa tournée des popotes au pied des massifs de Jijel, Collo et Skikda. Saisissant au vol le sens de la nouvelle doctrine antiterroriste (anti-islamique !) des néo-conservateurs américains et de leurs supplétifs en Europe, l'Algérie officielle se hâtera à son tour de nuancer sa démarche en s'inventant la parade de la «spécificité» de ce que fut la guerre civile d'Algérie. C'est ainsi que tout en adhérant à la théorie du caractère transnational du terrorisme islamiste, nos dirigeants réfuteront avec entêtement l'idée d'une quelconque connexion des bandes armées algériennes avec les excroissances de la mouvance «internationale» de l'intégrisme. Etonnamment, ce sera le régime d'Alger qui réactualisera le «djazaârisme» de l'islamisme si cher à l'idéologie du FIS et cela à des fins strictement politiques, celles qu'il illustrera à travers le fameux référendum sur la «réconciliation» en 2005. C'était, par conséquent, dans le seul souci de conforter sa base sociale que le régime misera sur les courants religieux au détriment de la promotion d'un républicanisme tolérant. Cependant, pressé de donner en même temps des gages au nouvel ordre mondial, il avait fini par se retrouver dans l'inconfortable statut de partenaire peu fiable. Fragilisé à l'intérieur toutes les fois où il lui semblait que les courants islamistes surenchérissaient, Bouteflika se jouait un moment du balancier en ignorant les injonctions extérieures. Du coup, il brouillait un peu plus et son image et celle de la crédibilité du pays. En quelque sorte, la démarche de «crabe» du régime d'Alger a été souvent à l'origine des commentaires peu amènes des chancelleries étrangères. Installée dans une dualité compromettante, l'Algérie multiplia les contradictions selon qu'il s'agissait d'interlocuteurs occidentaux ou, au contraire, de sujets indigènes. Reconnaissable à cette double négation selon les versants où elle s'adresse, sa politique se caractérisa par un étrange funambulisme. Quinze années après l'apocalypse de «Ground Zero», les spécialistes étrangers peinent toujours à décrypter la doctrine algérienne face au terrorisme islamiste. En cela, ni l'acte de référence qui eut lieu à New York, ni les suivants ou les plus récents n'ont permis à l'Algérie de mettre en exergue sa terrible solitude de la décennie 1990 afin de faire valoir ses droits que l'on a sciemment occultés. L'Occident, qui avait ignoré en leur temps les drames qui s'accomplissaient dans cet «ailleurs» ressemblant à l'Algérie, a-t-il jamais été interpellé par nos dirigeants lorsque celui-ci sollicite de la solidarité, de la coopération ? Jamais ! Au prétexte qu'il fut très tôt identifié comme le laboratoire de la montée du fondamentalisme, notre pays connut un isolement inégalé par sa dureté. La raison, avait-on justifié plus tard, tenait à la perception erronée de la réalité des enjeux politiques internes exonérant de ce fait tout examen de conscience de la part des nations occidentales. L'analyse des maîtres penseurs était tardive et de surcroît surchargée d'islamophobie primaire et dangereuse. Dire que l'Algérie n'a tiré aucun dividende de sa grande résistance au terrorisme islamiste, au moment où sa dénonciation est devenue universelle, n'est au mieux qu'un euphémisme. Celui qui qualifie pudiquement la reddition morale d'un Etat n'ayant pas su faire la distinction entre une paix juste et l'infâme dévoiement d'un combat.