[email protected] Ça ne va pas le ramener à la vie ni atténuer la gravité de son «crime» aux yeux de ses juges et bourreaux, mais il fallait réparer l'erreur commise ici la semaine dernière : Nahedh Hater, l'écrivain jordanien assassiné sur les marches du tribunal où il allait être jugé pour incitation à la discorde religieuse, n'était pas l'auteur de la caricature offensante, comme je l'avais écrit. Il n'avait fait que la reprendre sur son blog, et il l'avait retirée devant le déferlement de réactions violentes à son encontre. Son assassin n'a pas attendu le procès du tribunal pour prononcer lui-même la sentence de mort, et pour l'exécuter séance tenante, comme c'est devenu la tradition en pareil cas. Nahedh Hater avait aussi l'immense désavantage d'être de confession chrétienne dans une société à majorité musulmane, voire massivement convertie au wahhabisme, comme la société jordanienne. Dans ce monde perverti par l'indigence d'esprit et l'intolérance, on pardonne encore moins au non-musulman, des «offenses» punies de mort lorsqu'elles sont le fait d'un musulman. Question qui ne trouvera sans doute jamais sa réponse : le tribunal jordanien qui devait juger l'écrivain statuera-t-il en fin de compte sur les faits reprochés au défunt ? Ou bien s'appuiera- t-il sur l'autorité de la chose jugée, puisque la sentence a été prestement «exécutée», selon les vœux du gouvernement jordanien ? Nahedh Hater aurait pu anticiper sa propre disparition, il connaissait assez sa ville impitoyable, Amman, pour percevoir le salut dans la fuite, mais il ne l'a pas fait, et il l'a payé cher. Pourtant, l'empressement des autorités à le mettre en prison sur intervention du Premier ministre jordanien en personne, suivi de sa mise en liberté provisoire, aurait dû l'inciter à la méfiance. Il aurait pu trouver la sécurité et la considération que ses compatriotes lui ont refusées, en se réfugiant à Paris, ou à Berlin, ou dans une autre capitale de cette Europe, plus accueillante que sa soi-disant mère patrie. C'est de cette Europe, plus précisément de Paris, qu'est venue d'ailleurs la seule pétition dénonçant le crime, signée par des intellectuels et des militants associatifs. Le texte, signé également par des écrivains du monde arabe, et notamment Kamel Daoud, dénonce la responsabilité du gouvernement jordanien qui n'a pas voulu assurer la protection de l'écrivain. Lui-même avait fait part sur sa page Facebook des menaces de mort qu'il avait reçues, alors qu'il était encore en prison, et sa famille avait saisi officiellement les autorités. C'est donc en connaissance de cause que le gouvernement d'Amman et ses services de sécurité ont laissé un prévenu, menacé de mort, sans protection, facilitant ainsi la tâche à son meurtrier. En hommage à Nahedh Hater, j'ai retenu de mes lectures ce texte de l'avocat et polémiste égyptien, musulman de surcroît, Ahmed Abdou Maher, qui défraie régulièrement la chronique. Dans cette contribution, publiée par le magazine électronique libanais, Shaffaf, il dénonce «les traditions que les Bédouins nous ont imposées comme religion», et notamment la profusion de faux hadiths. Le polémiste conteste surtout des hadiths validés par des théologiens comme Boukhari et Mouslim et considérés comme irrécusables, florilège partiel et impartial : «La liberté donnée aux jeunes femmes d'allaiter des hommes. Un imam d'Al-Azhar qui avait remis au goût du jour ce hadith, il y a quelques années, en proclamant son authenticité, a été jeté aux oubliettes. Ils (les théologiens) ont décrété qu'il était licite d'attaquer des Etats, de spolier leurs richesses, de posséder leurs femmes, et ils ont appelé ces agressions des «conquêtes (futuhat) islamiques. Ils ont maudit la femme qui déserte le lit conjugal, maudit celle qui sort sans la permission de son mari, et qualifié d'infidèle celle qui se parfume. La femme manque d'intelligence, elle est de peu de foi, détestable, et vouée à être majoritaire en enfer. Elle annule la prière (si elle passe entre le fidèle et la Qibla) à l'instar du chien et de l'âne.» «Les péchés des musulmans seront attribués, au jour du jugement dernier, aux juifs et aux chrétiens, qui iront en enfer, alors que les musulmans iront au paradis. C'est ce qu'a décidé l'imam Mouslim dans son traité, est-ce que tu prétends en savoir plus que l'imam Mouslim, espèce de débile ? Nous pouvons aussi tuer les prisonniers ou les distribuer aux musulmans, comme nous pouvons les brûler comme on l'a fait pour l'aviateur jordanien, Maadh Kaçassiba. On peut les vendre au marché aux esclaves, posséder leurs femmes, et vendre leurs enfants, manger leur chair en cas de famine après les avoir tués... interrogez là-dessus les rites chaféite et hanafite ! Il faut aussi tuer les athées, tuer ceux qui ne font pas la prière, tuer celui qui injurie le Prophète de Dieu, même s'il se repent, lapider à mort les adultérins, couper la main du voleur. Un homme qui s'est absenté longtemps et trouve sa femme mariée avec un autre, et ayant eu des enfants de lui, peut considérer ces enfants comme siens, et les prendre avec lui. Avez-vous vu le niveau mental de ceux que vous appelez imams ? Et vous admettez l'emprisonnement d'Islam Buhaïri, parce qu'il a critiqué ces imams ? Ceci, en résumé pour vous montrer que les Bédouins nous ont fabriqué à partir de leurs traditions un corpus que nous appelons «loi de Dieu». «La barbe, la coiffe, la saignée (hidjama), le raccourcissement des habits (mimollet), n'ont rien de religieux, mais sont des coutumes d'Arabes nomades, devenues pour nous des signes de proximité avec Dieu. Des théologiens renommés sont même allés jusqu'à affirmer que le fait de se raser la barbe était «haram». Même consommer des dattes est devenu une tradition prophétique qui vous rapproche du paradis, boire aussi de l'eau en position accroupie, etc. Tout ceci a trouvé des millions de cerveaux humains qui s'imaginent que c'est une manière de se rapprocher de Dieu. Nous sommes une nation cornaquée par le diable, par le biais des traditions bédouines et de l'imitation aveugle et des idées de haine et de meurtre propagées par des cœurs durs et sans pitié.» A. H. Pardon, Lyès ! Lyès Hamdani a été mon premier chef de rubrique, à El-Moudjahid, et nous avions en commun une tentative de suicide ratée. Lui, par amour de la patrie parce qu'à seize ans, son père jugeait qu'il était trop jeune pour aller au maquis, et l'avait donc enfermé par précaution. Finalement, le père avait cédé, préférant voir son fils mourir en martyr pour son pays, plutôt que d'essayer d'exprimer sa révolte contre l'autoritarisme paternel en se suicidant. Lyès a survécu à une guerre longue et cruelle, qui a façonné durablement son caractère, jusqu'à en faire le grand frère, doux et affable, que nous avons connu. C'est en grand frère qu'il m'avait réprimandé lorsque je lui ai raconté que moi aussi, au même âge que lui à peu près, j'avais tenté de me pendre pour un pitoyable chagrin d'amour. Puis, chacun de nous a suivi sa propre voie, et nous nous sommes perdus de vue, expression commode pour justifier les abandons, les sépultures que nous érigeons dans nos cœurs et nos cerveaux, à nos amis passés de mode, ou jugés infréquentables. Bien avant qu'il ne soit porté en terre dans sa ville de Birtouta, nous avons enterré Lyès en l'enfermant dans l'oubli, et j'espère qu'il sera encore plus généreux que nature, en pardonnant nos offenses à son égard.