Par Pr Omar Zemirli De son vivant, et jusqu'au dernier jour de sa vie, le citoyen Ahmed Zemirli fut parmi les grands militants de la révolution algérienne qui incarnaient la discrétion absolue, celui qui a le moins fait parler de lui dans les médias nationaux, presse écrite ou audiovisuelle. Il est, par contre, cité dans plusieurs livres écrits par des historiens pour ne citer que Mohamed Harbi avec sa double casquette de militant politique et d'historien, auteur de plusieurs livres sur notre révolution. Sidi Ahmed Zemirli a toujours refusé les faveurs matérielles ou de déranger ses proches, même pour des raisons impérieuses de santé. Il s'adressait comme tout citoyen au service concerné censé être à la portée de tout citoyen lambda. Il ne sollicitait ses proches qu'en cas de nécessité d'un service relevant de leurs compétences. J'ai appris son hospitalisation et son décès par le biais d'un collègue et ami, le directeur général du CHU de Tizi-Ouzou, où il venait de rendre l'âme entouré des siens. Il a toujours refusé les feux de la rampe des cérémonies protocolaires. «Je n'ai fait que mon devoir pour voir mon pays libre et indépendant» et «j'ai continué à assumer mon devoir de militant et apporter ma contribution en tant que premier magistrat, ex-préfet, wali de l'ex-Grande-Kabylie pour mettre fin à des années de guerre civile ayant fait plus de 400 morts parmi les anciens maquisards de la Wilaya III historique après l'indépendance». Te connaissant dans ta vie familiale faisant partie de la même grande famille, tous les deux descendants du même arrière-grand-père, Khelil Moh Brahim Zemirli avec ou sans «e» (Zmirli), je ne pouvais, féru de l'Histoire de mon pays et de ceux qui ont fait l'Histoire, occulter le parcours combattant d'un cousin qui a joué un rôle des plus déterminants depuis son très jeune âge pendant la colonisation. Tu faisais partie des premiers louveteaux dès la création du groupe Scout musulman algérien «groupe El-Hillal de Tizi-Ouzou». A 93 ans, tu deviens le doyen à qui l'association des anciens Scouts musulmans El-Hillal rend un hommage chaleureux la veille du 1er novembre 2016, quelques jours avant ton décès. Tu n'avais que 14 ans, quand tu as été exclu du collège pour tes idées politiques. Je rappellerai aussi qu'en tant que cadre membre du PPA, suite aux événements de 1945, à peine 22 ans, tu as subi les affres des gendarmes qui t'ont poursuivi, pourchassé, capturé, menotté, attaché par une corde à la monture d'un cheval, tiré et traîné à même le sol. Certes, il est déontologiquement incorrect de se jeter des fleurs et indécent de parler de soi et d'un proche parent portant le même nom. Ta famille et tes proches auraient tant souhaité qu'un hommage te soit rendu de ton vivant, d'abord par ceux qui t'ont succédé à la tête de la Fédération de France, toi qui as été l'un des fondateurs du noyau de la future organisation de cette VIIe Wilaya, toi qui as été arrêté en France en 1958, torturé, emprisonné pendant 4 années dans plusieurs prisons françaises et camps d'internement jusqu'au jour de l'indépendance. Toi qui as continué à donner le meilleur de toi-même pour que l'Algérie libérée devienne libre, indépendante et souveraine. En 1964, tu as accepté de prendre la destinée de l'immense wilaya de Grande-Kabylie qui fut la Wilaya III historique, meurtrie à l'instar des autres wilayas mais où des combats fratricides se sont poursuivis et où des centaines de moudjahidine ont été tués pour avoir défendu la liberté, la liberté d'expression, la démocratie, et pour que le sacrifice de leurs frères de combat ne soit pas vain. Tu as accompli une mission des plus délicates, des plus sensibles, des plus dangereuses. Ta mission était de gérer une situation catastrophique sur les plans social, économique et essentiellement sécuritaire et militaire. Il fallait faire face et en tant que premier magistrat tu as poursuivi ton militantisme. Et c'est en homme d'Etat que tu as fait appel à ton patriotisme, ton nationalisme, ton militantisme, que tu as bravé le danger et que tu as contribué à tout d'abord faire «cesser le feu» en arrêtant les combats fratricides, en amenant la paix, en distribuant les vivres aux plus démunis, en rouvrant les écoles fermées à cause de l'insécurité et par manque d'enseignants. L'appel au volontariat fut lancé à tous les citoyens en mesure d'apporter de l'aide dans tous les secteurs, essentiellement aux quelques lettrés, pour encadrer les élèves dans les écoles primaires, et aux quelques médecins privés pour faire face aux nombreux malades consultants ou hospitalisés dans les établissements publics. La stabilité rétablie, tu as poursuivi ta mission de wali mais sans abandonner tes principes forgés dans le combat : la loyauté, le serment de Novembre, la fidélité de l'engagement. Tu n'as pas cautionné la destitution de celui qui était ton président et tu n'as pas voulu reconnaître ce qui était qualifié de redressement du 19 juin 1965. Quelques mois après, un nouveau wali te succédait. Il a hérité d'une situation certes précaire sur le plan économique, mais stable sur les plans sécuritaire et militaire. Il se devait d'être reconnaissant et te rendre hommage d'une façon tout à fait naturelle, normale et logique et au nom de la solidarité de frères de combat et par respect à tous les sacrifices passés consentis. Dans ses Mémoires, il aurait, malgré son âge avancé, relaté tes qualités, tes mérites et tes principes. Votre première rencontre s'était faite à Serkadji où il t'avait précédé de quelques jours suite aux événements de 1945. Tu as été dénoncé pour ton activité de cadre du PPA, et toi Sidi Ahmed qu'on qualifiait «d'homme glaçon», tu n'as jamais failli sous la torture. Les quelques mots erronés, voire insensés, évoqués par ton successeur ne reflètent en aucune façon ta personnalité, ta grandeur d'âme, ton sacrifice. Discret, éthique, affable, tu n'as pas voulu polémiquer, tu as préféré laisser l'arbitrage de la vérité, de l'engagement de l'un ou de l'autre, au temps et la génération future qui doit être fait par des historiens, seuls à même d'apporter des faits pour rétablir la vérité. Et la vérité finit toujours par se savoir et l'Histoire retiendra ton nom. La vie est pleine de contradictions et de surprises. Certaines rencontres ou anecdotes peuvent être révélatrices d'un état d'esprit ou nous amener à prendre conscience d'un événement, d'une situation ou d'une mentalité. La première anecdote est celle relative à l'évocation d'un proche. Du vivant de Sidi Ahmed, j'avais remarqué qu'aucun hommage à la hauteur de l'homme ne lui avait été rendu. Humblement, modestement, avec l'accord de la famille, j'avais jugé qu'il était de mon devoir de faire sortir de l'oubli et de l'amnésie de ceux qui connaissent son passé révolutionnaire. C'est ainsi qu'avec l'amabilité du quotidien El Watan, un article d'une page lui a été consacré de son vivant à la satisfaction de sa femme et de ses enfants, de sa grande famille aussi bien paternelle que maternelle, et de tous ceux qui l'apprécient et qui l'aiment. J'ai été comblé de savoir que mon article que je n'ai pas signé par discrétion lui ait fait énormément plaisir. Ce même article est paru dans d'autres journaux et tant mieux pour Sidi Ahmed mais sous les nom et prénom d'une autre personne. Peu importe le nom de la personne qui l'a fait paraître, l'important c'est l'homme que nous avons fait découvrir aux personnes qui l'ont côtoyé et qui ne connaissent pas son passé révolutionnaire. Quant à moi qui ai fait sortir de l'oubli par devoir de mémoire des personnes en leur faisant des hommages, je signe et je persiste ma fierté et l'honneur que sa famille, qui est mienne, me fait en évoquant le nom de notre héros familial, régional et national, Sidi Ahmed Zemirli, du nom de guerre sorti de l'anonymat et de l'oubli, le moudjahid Si Rachid dont le nom restera gravé pour l'éternité. Gloire et éternité à tous les héros de toutes les révolutions.