On le voit bien, celui qui a donn� le nom � cette commission voulait faire simple. L'acronyme est � coucher dehors : CNCDPDH. Non, ce n'est pas le code miraculeux pour faire d�marrer votre ordinateur. Ce n'est pas non plus le s�same pour d�crocher votre r�servation d'avion un jour de surbooking. Non, �a veut dire tout simplement Commission nationale consultative de d�fense et de promotion des droits de l'homme. Et que le dernier ferme la porte ! Rattach�e, nous dit-on, � la pr�sidence de la R�publique, cette CNCDPDH a n�anmoins son propre pr�sident. Il s'appelle Rachid Ksentini et il lui arrive de r�pandre la bonne parole � travers la presse, notamment lorsque la raison d'Etat se fractionne en tas de raisons. Alors sa parole agit comme un baume sur les blessures des victimes de l'arbitraire. Son pr�d�cesseur jouissait de circonstances att�nuantes. Le c�l�brissime Rezzag Bara avait l'excuse de ne diriger qu'un observatoire des droits de l'homme. Il est vrai qu'il a observ� tant qu'il a pu, mais il n'a fait rien d'autre qu'observer. Rachid Ksentini, lui, a une t�che autrement plus redoutable : consulter en d�fense et promotion des droits de l'homme. Droits au pluriel et homme au singulier et avec un h majuscule ! Mais – car il y a toujours ce sacr� mais ! –, il pr�side une commission dont la fonction se limite � la consultation. Un mot comme �a, � consultative �, �a te rogne les ailes de l'aigle qui s'appr�te � voler haut. Comme la commission n'est que �consultative�, volons � l'altitude voulue, entre ciel bas et terre � terre. Lorsqu'il d�cide de r�pandre la bonne parole, comme dans cette interview au Soir d'Alg�rie, Rachid Ksentini est, on le sent, coinc� entre sa mission et sa fonction. Sa mission, c'est la d�fense et la promotion des droits de l'homme. Sa fonction, c'est �consulter�, autrement dit les ajuster � la doctrine du palais. A moins que ce ne soit l'inverse. Faisons-lui la fleur de supposer qu'il fait ce qu'il peut. Et d�plorons que le peu qu'il fait, ce minimum qui justifierait que les mots �droits de l'Homme� soient compris dans le barbarisme ci-devant, lui en co�te. Il me souvient, par exemple, qu'il a re�u un brutal retour de manivelle il y a quelque temps pour avoir d�clar� urbi et orbi que l'incarc�ration de Mohamed Benchicou a suscit� des r�actions d�sapprobatrices de gouvernements de pays �trangers. L'interview accord�e au Soir, c'est plus et c'est mieux. Ce n'est pas seulement un num�ro d'�quilibrisme. C'est aussi l'occasion d'une franche rigolade. Le pr�sident de la R�publique a d�clar� le 24 f�vrier dernier qu'il ne reconnaissait que l'UGTA. A la question de savoir si la n�gation du pluralisme syndical contenue dans l'affirmation pr�sidentielle n'est pas une violation de la Constitution par le magistrat supr�me qui en est le gardien, notre pr�sident de la CNCDPDH r�pond sans rire : �Ecoutez, on ne peut pas emp�cher le pr�sident d'avoir une affection pour l'UGTA.� Non, tu ne r�ves pas. C'est bien �crit dans le journal. Quand mon voisin, gardien de la morale du Championnat national de football, supporter enrag� depuis toujours de la JSK, d�clare ne pas reconna�tre les autres clubs parce qu'il a une affection pour l'�quipe des Gen�ts, c'est d�j� une n�gation de la r�alit�. Quid du pr�sident de la R�publique et de l'UGTA ? L'�tranget� est autant dans la d�claration du pr�sident que dans les arguments hautement dialectiques du pr�sident de la CNCDPDH. Rachid Ksentini nous dit que l'affection particuli�re vou�e par le pr�sident de la R�publique � l'UGTA, � l'instar de celle qui �lie les Alg�riens et pas seulement le pr�sident � � la vieille Centrale syndicale, repose sur �des consid�rations historiques �videntes�. Et notre dialecticien de la CNCDPDH d'ajouter : �Ceci �tant, je suis pour le multipartisme et le pluralisme syndical m�me si ma pr�f�rence va vers l'UGTA � laquelle nous restons tenus par des liens affectifs.� Le pr�sident de la CNCDPDH fait un porte-parole sans doute d�vou�, mais pas tr�s malin. P�se-t-il le tonnage de contractions support� par la lapidaire r�ponse � la question qui lui a �t� pos�e ? Un : entre nourrir un �lien affectif� avec l'UGTA, eu �gard � l'histoire tralala, et ne reconna�tre que l'UGTA, c'est-�-dire scotomiser les syndicats libres n�s du pluralisme pour lequel l'Alg�rie paye le prix fort depuis plus de quinze ans, il y a un ab�me. Deux : qu'est-ce qui fonde le pr�sident de la CNCDPDH � affirmer que les Alg�riens ont une affection particuli�re pour l'UGTA et le FLN ? En vertu de quel sondage, de quelle �tude, de lectures dans quel marc de caf� peut-il d�clarer cela ? Trois : �Eu �gard � leurs r�les respectifs durant la R�volution�, l'UGTA et le FLN sont-ils �lus ad vitam aeternam � demeurer les repr�sentants uniques d'une soci�t�, d'un �chiquier politique et d'un monde du travail pluriels ? Le fait qu'ils aient la pr�f�rence affective du pr�sident de la R�publique les investit-il d'une l�gitimit� perp�tuelle ? La r�ponse du pr�sident de la CNCDPDH n'a pas �chapp� au journaliste qui ass�ne cette autre question simple, claire, nette : �N'emp�che, lorsqu'un pr�sident de la R�publique le dit, cela �quivaut � une d�cision officielle de retour � �l'unicisme� ? Moi, personnellement, en ma qualit� de rien, j'aurais r�pondu par un argument politique, constitutionnel, je ne sais pas… J'aurais dit, par exemple : �Ecoutez, je suis le pr�sident de la CNCDPDH et non le porte-parole du pr�sident de la R�publique. Le fait est qu'il me semble plus prudent de voir si cette d�claration signifie autre chose que l'expression d'un attachement subjectif � l'UGTA exprim� dans des circonstances subjectives particuli�res.� Mais non, le pr�sident de la CNCDPDH, lui, dit avec l'aplomb de celui qui a longuement m�ri sa r�ponse : �C'est une allocution que le pr�sident a prononc�e et non une d�cision qu'il a eu � prendre�. C'est ferme, �a ! C'est du roc, �a ! Et si on lui faisait la farce d'interdire dans quelques jours les autres syndicats, hein ? J'ai commenc� par ce qui me semble contradictoire jusqu'� la rigolade. Mais, relisant l'interview depuis le d�but, je m'aper�ois que tout fait rire, mais d'un rire jaune. Je m'aper�ois aussi que, contrairement au pr�jug� tenace qui p�se sur les gens ankylos�s par leur proximit� du noyau du pouvoir, Rachid Ksentini fait preuve d'un courage exemplaire. Dommage que ce courage ne serve qu'� braver la contradiction. Morceaux choisis : en r�action � l'�vocation du journaliste d'un r�cent rapport du d�partement d'Etat am�ricain d�non�ant la d�gradation de la libert� d'expression, notamment de la presse en Alg�rie, le consultant en d�fense et promotion des droits de l'homme rattach�e � la pr�sidence d�cerne au texte am�ricain la palme d'une �totale objectivit�. Il y d�busque cependant quelques �erreurs d'appr�ciation �. Concernant la presse, le pr�sident de la CNCDPDH go�te �une nette am�lioration dans ce domaine �. N'h�sitant devant aucun danger, notre brave pr�sident de la CNCDPDH d�cerne les accessits � la presse comme pacifi�e par le harc�lement judiciaire et l'incarc�ration de Mohamed Benchicou. Les tribunaux et la prison ont, si on comprend bien, �mis fin � un certain nombre d'exc�s�. D'ailleurs, tout le monde peut le v�rifier pour le prix d'un journal, �la qualit� des articles est bien meilleure�. Quand bien m�me elle serait meilleure, comment a �t� obtenue cette am�lioration ? Par le glaive, sire ! Ce n'est pas la paix des cimeti�res, c'est le silence des parloirs. Notre candeur hom�rique nous inclinait � attendre d'un professionnel des droits de l'homme qu'il lie l'am�lioration de la qualit� de la presse � une mise en place d'une formation des journalistes et � un d�bat sur la presse s'appuyant sur la jurisprudence universelle en la mati�re. Mais non, il n'y a pas mieux que le bon vieux b�ton pour faire oublier la carotte. D�p�naliser les d�lits de presse comme dans toutes les d�mocraties � laquelle l'Alg�rie a tant envie de ressembler ? Non, �a ne marche pas ici. Un petit s�jour en taule et des proc�s en cascade, �a vous tient le plus vaillant des journalistes � carreau. D'ailleurs, il n'est nul besoin de sanctionner les d�lits de presse par la prison. Notre consultant en d�fense et promotion des droits de l'homme, tout en d�non�ant le fait que Mohamed Benchicou soit incarc�r�, convient avec le palais qu'il n'y est pas �pour ses �crits mais pour une affaire de transfert de fonds�. L'embastillement de Mohamed Benchicou pour �une affaire de transfert de fonds� est continu� non seulement par le naufrage ourdi de son journal, mais il obtient aussi l'effet inattendu d'am�liorer la qualit� de la presse ! Notre pr�sident de la CNCDPDH sait bien que Mohamed Benchicou est en prison pour ses �crits. Il sait bien aussi qu'on n'obtient pas �l'am�lioration de la qualit� des articles� en semant la peur parmi les journalistes. Rachid Ksentini, humaniste comme un militant des droits de l'homme, souhaite que Mohamed Benchicou �retrouve sa libert� le plus vite possible�. On peut lui souhaiter la m�me chose. On lui souhaite de recouvrer sa libert� de parole pour dire toutes ces choses int�ressantes que ses propos laissent deviner mais que sa mission ou sa fonction brident dans la contradiction rigolarde. Mais pas rigolarde pour tout le monde, h�las !