Par Boubakeur Hamidechi [email protected] A partir de cette semaine, l'immense secteur de l'enseignement sera mobilisé en vue des examens de fin de cycle. Avec plus de deux millions de potaches appelés à composer pour le passage d'un palier à un autre, l'on devine aisément la complexité de la logistique qu'il va falloir déployer afin que rien ne vienne perturber cette opération en trois actes : examen de la 6e, BEM et baccalauréat. D'ailleurs, le fait même que la presse s'intéresse annuellement au sujet indique notamment que ce rendez-vous impacte psychologiquement aussi bien les familles que les élèves concernés. De plus, au-delà de son aspect, cette parenthèse de 10 jours ne constitue-t-elle pas également un excellent baromètre susceptible de donner une idée du sérieux de ce pays à travers la validité de l'éducation que celui-ci dispense ? En soulignant particulièrement la dernière observation, les commentaires des journaux ne voulaient-ils pas mettre dans la lumière l'action de la nouvelle ministre dont la nomination en 2013 avait été perçue politiquement comme l'aveu de l'échec de celui qui l'avait précédée ? En effet, cette héritière d'un «mammouth» mal dégraissé, comme on qualifiait ce même ministère avec ironie sous d'autres cieux, madame Benghebrit a donc pour feuille de route la mission de reconstruire tout un système éducatif obsolète. C'est-à-dire ne répondant plus aux impératifs des savoirs du nouveau siècle et de surcroît ayant subi tous les dommages de l'endoctrinement. Vaste mission donc pour celle qui, après 36 mois environ à la tête de ce ministère, vient d'annoncer que la réforme de 2e génération sera effective en 2016 et concernera dans un premier temps les paliers du primaire et moyen. C'était en tout cas une promesse donnée lors de la dernière rentrée scolaire et dont les parents espèrent qu'elle soit honorée en septembre prochain. Or, des pédagogues patentés n'avaient-ils pas qualifié cet engagement d'audacieux ? Loin de soupçonner la ministre de faire de la démagogie, comme son prédécesseur, ces spécialistes circonspects ne voyaient en elle qu'une intellectuelle de bonne foi et de grande conviction mais avec quelques traces de naïveté qui l'empêcheraient de mesurer à la véritable aune les capacités de nuisance des lobbies religieux et ceux qui prônent une sorte d'intégrisme linguistique. D'ailleurs, rappellent-ils, Benbouzid, son prédécesseur, n'avait-il pas conforté sa longévité de ministre en acceptant, par compromis évidemment, de diluer les programmes d'enseignement dans des ersatz de réformettes tout à fait préjudiciables à la qualité de la connaissance, elle-même ? C‘est pourquoi le sinistre de l'école algérienne qui fut pourtant diagnostiqué par un lointain prédécesseur, il y a de cela 20 ans, continue de nos jours à faire des victimes dans le palier du supérieur. L'université, en tant que destinataire de contingents de bacheliers mal dégrossis, est à son tour dans une impasse l'empêchant d'innover et de s'ouvrir aux filières pointues faute d'excellence émanant de la cohorte des nouveaux impétrants. Car, contrairement à ce qui a servi de prétexte officiel sur le sujet, la régression de l'université algérienne n'a eu pour unique cause que la médiocrité et de l'école et du collège et enfin du lycée. C'est, semble-t-il, en référence à ce contexte du passé que les pédagogues vigilants, dont il a été question plus haut, émettent des doutes sur la réussite future tant que le régime politique n'aura pas changé ! Qu'est-ce à dire si ce n'est que l'école algérienne fut toujours le levier des manœuvres en politique au point de servir de monnaie d'échange au sommet du pouvoir. Il est vrai que le système éducatif a été depuis plusieurs décennies source de négociation et de compromis qui n'avaient rien à voir avec les impératifs pédagogiques. Ce scepticisme, qu'étaye une remise en perspective de l'ensemble des stratégies du passé, demeure jusqu'à nos jours difficile à balayer. Car, malgré les diagnostics et les multiples propositions collectées lors des assises nationales, rien ne sera possible tant que demeurera le tabou ayant fait de l'école une carte maîtresse dans le champ politique. Or, le pire face au verrou du statu quo n'est-il pas dans les effets d'annonce ? Ceux qui se déclament sur le mode du «changement» alors que l'on à affaire à une révolution copernicienne consistant simplement à faire faire un tour sur elle-même à cette école au risque de la renvoyer aux méthodes et aux contenus pédagogiques d'il y a un demi-siècle. L'actuelle ministre qui semble avoir pris ses bonnes marques parmi la faune de ses collègues du gouvernement devra se méfier, quelque part des manifestations de solidarité que ceux-là lui marquent toutes les fois où elle est attaquée par des lobbies anti-réforme. En se rappelant, en toutes circonstances, qu'elle dirige le seul ministère où les petites combines politiques doivent être bannies, elle parviendra peut-être à jeter les bonnes bases d'une école reflétant le siècle. C'est donc ce qui est attendu d'elle. Celui d'aller au-delà du toilettage des programmes en s'efforçant de réinstaurer la déontologie au sein de la fonction d'enseignant jusqu'à en faire un sacerdoce profane. Voilà qui constituera sûrement sa première victoire sur les tabous et la confortera, en même temps, dans la confiance mise en elle par les parents d'élèves.