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Education
France et pays arabes : une Pisa au goût amer
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 02 - 2017


Par Ahmed Tessa
[email protected]
Non, il ne s'agit pas du plat italien, mais d'une autre recette, celle concoctée par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) pour évaluer les performances des élèves des pays qui acceptent d'y participer. L'acronyme Pisa signifie «Programme international pour le suivi des acquis des élèves». Cette évaluation a lieu tous les trois ans et vise trois compétences majeures : la compréhension de l'écrit, les sciences et les mathématiques. Si elle est sujette à caution de la part des spécialistes, il n'en demeure pas moins qu'elle a le mérite d'attirer l'attention des Etats sur les conditions de scolarisation (pédagogiques et matérielles) de leurs élèves et de leurs enseignants. A l'évidence, elle donne à voir les tendances lourdes de tel ou tel système éducatif.
A titre d'exemple, la Finlande est toujours classée parmi les meilleurs. Son école est reconnue mondialement comme étant la plus performante et, surtout, la plus heureuse à vivre. Si la performance scolaire est évaluée par Pisa, par contre elle passe sous silence un indicateur majeur, à savoir le «bonheur de vivre l'école».
Cet indicateur placerait la Finlande en tête et les pays asiatiques bons derniers, quoique primés au test des performances. C'est la ville-Etat de Singapour qui a décroché la première place pour Pisa 2015. Les pays asiatiques sont connus pour l'hyper-compétition/concurrence imposée à leurs élèves. Au point où des centaines de suicides sont signalés annuellement à la proclamation des résultats des examens, notamment en Corée du Sud et au Japon. Les petits Finlandais, eux, ne connaissent pas la compétition/concurrence. Ils sont motivés autrement, par des stimulants humanisés qui leur procurent des émotions positives. L'écolier finlandais ne connaît pas l'angoisse du système de notes/sanctions, des examens/tombola, des classements ou des verdicts du genre avertissement, blâme, exclu ! C'est à l'université, une fois sa maturité mentale bien assise, que le jeune Finlandais fera connaissance avec les exigences et les contraintes des études pointues : compétition saine pour réussir à décrocher le bon visa pour le travail.
La Finlande nous donne la preuve qu'il y a une relation de cause à effet entre le «bien-être scolaire» et les performances des élèves. N'est-elle pas en tête des classements internationaux depuis plus de deux décennies. Ces dernières années, l'aéroport d'Helsinski accueille, au quotidien, des charters d'enseignants et de responsables scolaires en provenance de l'étranger.
Ils viennent visiter des écoles du pays pour s'en inspirer. Voilà comment est né le tourisme pédagogique. Pour plus de précisions sur «cette Pisa amère», voici quelques indications quant à son organisation et son déroulement.
Déroulement
Cette évaluation scolaire internationale (Pisa 2015) mesure les performances des élèves entrés en 1re année primaire en 2005 et en 1re AM en 2010 : soit notre cycle scolaire obligatoire étalé de la 1re AM à la 4e AM. Les lycéens ne sont pas évalués. L'édition Pisa 2015 fournit des résultats récoltés auprès de 540 000 élèves de 15 ans au sein de 72 pays de l'OCDE et pays partenaires non membres de l'OCDE dont l'Algérie, la Tunisie, la Jordanie, le Qatar et les Emirats arabes unis. Un panel qui est jugé représentatif des 29 millions d'élèves de cet âge scolarisés dans ces 72 pays.
Pour cette édition 2015, ce sont les points acquis en sciences qui sont pris en compte pour définir le classement final.
La caractéristique des évaluations Pisa, depuis sa création en 2001, est d'évaluer, à l'aide de tests, «l'acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire». Son slogan est : «Ce que les élèves de 15 ans savent et ce qu'ils peuvent faire avec ce qu'ils savent.» Pour cette édition 2015, les épreuves de sciences représentent les deux tiers de la durée totale d'évaluation. Concrètement, les tests Pisa consistent à faire compléter par les élèves un questionnaire de fond par type d'épreuve. Trois matières sont testées : lecture, maths et sciences. Le nombre d'élèves sélectionnés par pays varie de 4 500 à 10 000 — selon la taille du pays. Ils sont invités à plancher sur chacun des tests. Leur sélection se fait d'une manière bien particulière, via un échantillon aléatoire d'établissements scolaires (qu'ils soient publics ou privés) ainsi que sur le critère de l'âge : de 15 ans +3 mois à 16 ans +2 mois quand débute l'évaluation : l'équivalent de la fin du collège. Inspirées de la vie quotidienne et du monde réel, les questions des tests écrits varient des questions ouvertes à celles à choix multiple. Pour ces dernières, l'élève ne doit pas cocher sans réfléchir : «Les tâches les plus complexes des épreuves Pisa demandent aux élèves de réfléchir à ce qu'ils lisent et de l'évaluer, et pas uniquement de répondre à des questions auxquelles il n'y a qu'une seule réponse correcte», signalent les organisateurs. Pour les questions ouvertes, les écoliers doivent même argumenter.
Les épreuves durent deux heures en tout pour chaque élève. «Plutôt que la maîtrise d'un programme scolaire précis, Pisa teste l'aptitude des élèves à appliquer les connaissances acquises à l'école aux situations de la vie réelle.»
En réalité, les tests Pisa ont pour objectifs d'évaluer plus les compétences que les connaissances. Mais ce n'est pas tout. L'approche de l'apprentissage par l'élève lui-même ou son milieu social, économique, démographique et scolaire font également l'objet d'un questionnaire «contextuel» à remplir en une demi-heure. Autant de facteurs qui sont potentiellement à l'origine des performances des élèves testés : «des facteurs qui peuvent déterminer leur potentiel d'apprentissage tout au long de la vie.»
Nous allons nous étaler sur les performances de l'école française pour la simple raison que la France a légué à ses anciennes colonies les pires tares de son système scolaire.
Nous en citerons quelques-unes parmi celles qui pénalisent la qualité de l'enseignement : rythmes scolaires inadaptés (surcharge horaire de la journée et de la semaine, pléthores de vacances), système d'évaluation basé sur «l'examinite» ou «tout-évaluation», dévalorisation de la voie professionnelle, des langues étrangères et des langues régionales, survalorisation des matières dites intellectuelles au détriment de l'EPS et de l'éducation artistique, programmes d'enseignements encyclopédiques (mémorisation/restitution), inflation et cloisonnement des matières scolaires...
Inégalitarisme
Dès l'annonce des résultats de Pisa 2015 qui maintient la France en queue de peloton des pays occidentaux (à la 25e place), la ministre de l'Education nationale française Najat Vallaud-Belkacem a réagi. Elle dira en substance : «cette évaluation donne une vision claire de notre système scolaire. La France est le pays de la reproduction sociale. (...) Plus on vient d'un milieu social défavorisé et moins on a de chances de réussir à l'école. (...) Ces résultats doivent être accueillis avec gravité. Ce déterminisme social est inacceptable.»
Vieille rengaine d'une réalité française qui a la peau dure ! Ce constat est le même que celui établi par tous ses prédécesseurs qu'ils soient de gauche ou de droite, et ce, depuis de nombreuses décennies. Selon les analystes français, «ces résultats de l'école française deviennent inquiétants quand on entre dans le détail des chiffres.
Les dysfonctionnements du système éducatif français sont connus : les élèves de l'Hexagone ne sont pas assez attirés (et poussés) vers les sciences». Or, les épreuves de sciences sont le point majeur de l'étude Pisa 2015.
Championne des inégalités dans l'éducation, la France souffre surtout d'une incapacité chronique à aider les élèves défavorisés, beaucoup plus pénalisés dans leurs résultats que leurs camarades des autres pays. Le cas des élèves issus de l'immigration est symptomatique à plus d'un titre, plus particulièrement ceux issus de la première génération d'immigrés. Cela se comprend par la non-maîtrise du français de la majorité de ces parents (première génération d'immigrés) cantonnés dans des banlieues socialement déclassées. Ainsi, ces enfants d'immigrés de la première génération présentent des scores inférieurs à ceux des élèves de parents non immigrés : 87 points d'écart en sciences entre ces deux catégories d'élèves.
Par contre, les enfants dont les parents sont issus de la deuxième génération d'immigrés (leurs grands-parents appartenant à la première génération) réussissent mieux. Leur score en sciences est de 50 points inférieur à celui des élèves non immigrés.
En France, le nombre d'élèves en difficulté (sous le niveau 2 de compétence) a grimpé à 22% en 2015 contre 20% en 2005. Toutefois, le système scolaire français détient une palme : celle de former une élite extrêmement compétente. Le pourcentage d'élèves excellents (compétence de niveau 5 ou 6) atteint les 8% et les élèves «performants» (compétence de niveau 4) représentent 21% de l'ensemble des élèves.
L'histoire de cette école française inégalitaire à deux collèges ou à deux vitesses ne date pas d'hier. Ici le mode d'emploi.
L'institution scolaire française possède un héritage solide de traditions. L'histoire de son évolution à travers les siècles nous renseigne sur les luttes qu'ont dû mener, dès le XVIe siècle, les humanistes — politiciens et éducateurs — contre l'omnipotence de l'Eglise d'abord et des aristocrates ensuite. En ce XIXe???? siècle finissant, les puissances de l'argent, soucieuses de garder leurs privilèges, se sont liguées contre les efforts de démocratisation arrachés par les hommes de progrès. Des compromis furent établis afin de maintenir la cohésion sociale dont la gratuité de la scolarité obligatoire : d'abord jusqu'à 13 ans pour atteindre l'âge de 16 ans. Mais c'est au sommet de la pyramide — l'enseignement supérieur — que se dessine nettement ce compromis.
Un élitisme aristocratique représenté par lesGrandes écoles pourvoyeuses d'emplois select — avec leur réservoir, les classes préparatoires des grands lycées ­—cohabite avec une institution démocratique, l'Université, qui mène au chômage souvent. Faut-il encore préciser que ces Grandes écoles sont alimentées par un véritable réseau d'établissements scolaires privés sélectionnés selon des critères bien précis (localisation, homogénéité socioculturelle) allant de la maternelle aux lycées.
Les observateurs avancent le chiffre de 400 établissements scolaires privés qui alimentent les classes préparatoires.
C'est dans ces écoles dites privées que sont scolarisés les 8% d'élèves excellents recensés lors de Pisa 2015. Nous ne risquons pas d'en trouver (ces écoles pour enfants «bien nés») dans les espaces à forte concentration d'ouvriers ou d'immigrés : les banlieues, par exemple.
Ce sont les quartiers huppés qui abritent ce réseau. Ce système bicéphale Grandes écoles/Université persiste encore de nos jours en France avec des aménagements placés sous le signe d'une ouverture strictement contrôlée vers les Grandes écoles aux enfants des banlieues. Au début des années 2000, la fameuse Ecole nationale d'administration (ENA) inaugure cette timide ouverture sous le label «de discrimination positive».
Choyées par la République, ces classes préparatoires (80 000 élèves au début des années 2000) sont coûteuses au budget de l'Etat français. Une année scolaire par élève de «classe prépa» revient plus chère qu'une année par étudiant d'université. De même que le taux d'encadrement et le traitement des professeurs y sont aussi supérieurs à ceux de l'Université. Le concours d'entrée est dénoncé par des personnalités du monde scolaire et universitaire.
Ancien doyen de l'inspection générale de mathématiques, Pierre Legrand écrivait en 2000 : «Il y a une incontestable hypocrisie à attacher autant d'importance aux épreuves écrites et anonymes des concours comme garantie d'objectivité, dès lors que l'admission en classe prépa est prononcée sur dossier, plusieurs mois avant l'examen du bac.» Depuis son institutionnalisation, ce système français continue de susciter débats et contestations. La principale critique dont il est l'objet réside dans son caractère héréditaire, antinomique de la démocratie républicaine qui, elle, est soucieuse d'amener le plus grand nombre d'élèves vers la réussite.
Il faut dire que dans ce pays, la qualité du rendement scolaire n'est pas du seul ressort de l'Etat. Des facteurs existent qui permettent de contenir la médiocrité, nous citerons : la fluidité dans la communication éducative, la bonne gouvernance pédagogique que l'on retrouve jusque chez l'instituteur du petit village, l'engagement pédagogique des enseignants, la prise de conscience active des parents. Autant d'éléments positifs qui donnent une caution à l'élitisme «à la française». Concernant la persistance du système bicéphale Grandes écoles/Université, il y a consensus entre les différents segments de la société française. Mais les résultats des évaluations internationales dont Pisa mettent à mal un tel système éducatif producteur d'inégalités et qui contribue grandement à la reproduction des classes sociales.
Ce consensus perdurera-t-il ? Cette question taraude les officiels français.
Malheureusement, ce genre de question n'a pas l'air de déranger les pays anciennement colonisés par la France. Habités par le réflexe du colonisé, ils lui emboîtent le pas : ce qui les poussent à adopter jusqu'aux tares les plus criardes du système français.
Quid des Arabes ?
Les Emirats arabes unis (46e sur 70 pays), le Qatar (56e), la Jordanie (61e), la Tunisie (65e) et l'Algérie (69e) sont les seuls à avoir participé à Pisa 2015. Pour notre pays, classé avant-dernier, cette piètre performance donne du crédit au constat établi par la Conférence d'évaluation de la réforme organisée en juillet 2015 : une école malade de tares cumulées, dont celles héritées de l'école traditionnelle française.
A l'adresse de ceux qui prétendent que l'école algérienne n'est sinistrée que depuis peu, nous offrons ces deux informations. Les élèves algériens évalués par Pisa 2015 ont passé toute leur scolarité sous le parapluie des programmes de la réforme, ceux de 2003. Faut-il lui rappeler que Pisa 2005 avait déjà classé l'Algérie dans le bas du tableau avec des élèves entrés à l'école en... 1995 ? Et cerise sur le gâteau : depuis plus de vingt ans, le taux de redoublement en première année d'université dépasse les 50% pour frôler les 70% dans certaines facultés. En aucun cas nous ne devons coller la responsabilité aux élèves ! Quant aux Emirats arabes unis et le Qatar, leurs mauvaises performance nous enseignent que l'hyper-modernisation d'une école — une tablette numérique par élève, un tableau interactif par classe — ne suffit pas pour dispenser un enseignement de qualité.
Détail intéressant : la grande majorité des élèves émiratis et qataris étudient en anglais, voire en français pour une minorité. Comme solution salvatrice, des spécialistes préconisent l'urgence d'une révision totale des contenus des programmes et des manuels scolaires afin de les soustraire au diktat du discours religieux et sectaire.
Pour ce sociologue jordanien interviewé par la chaîne Al Hurra Irak, «la prédominance du discours religieux anesthésie l'esprit créatif et la vitalité intellectuelle des enfants arabes». C'est dire l'urgence d'un toilettage des programmes et des manuels !
Une action que le Maroc vient d'entreprendre en mobilisant un panel de spécialistes missionnés pour traquer les dérives sectaires faites d'intolérance et de radicalisme qui verrouillent les manuels scolaires et parascolaires.


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