Par Boubakeur Hamidechi [email protected] A peine entamée, la campagne électorale ne semble guère attirer les auditoires. Même les procédés techniques de la télévision, dont on sait par ailleurs qu'elle est partie prenant de la promotion du scrutin, parviennent difficilement à gommer les images des salles vides. A l'exception de deux ou trois tribuns dont la notoriété politique suscite un certain intérêt, la grande majorité des candidats se consolaient d'ailleurs de la présence de quelques petits comités. Ceux qui sont composés évidemment de supporters et dont le nombre excède rarement la vingtaine de personnes. En un mot comme en cent, l'on peut écrire sans risque de se tromper que le travail de conditionnement avec notamment sa part de mise en garde n'a pas eu d'effet notoire dans l'opinion. Là où justement les préjugés sont les plus tenaces et les plus visibles avant qu'ils ne se soient traduits en commentaires et analyses par cette presse que l'on menace. A moins de s'y prendre différemment lors des prochaines semaines, l'on ne voit pas comment amplifier la présence dans les auditoires à moins de s'inspirer du modèle des cortèges du parti unique afin de donner à voir sur les écrans de la télévision un faux engouement. Sauf que pour l'instant, cette «élite» de bateleurs de la politique se retrouve seule sur le terrain. Contrainte d'aller au charbon afin de rameuter les jobards susceptibles de se rendre à des bureaux de vote, elle craint cependant que ses cajoleries et ses promesses ne lui serviront à rien au soir du 4 mai. C'est que les temps ont bien changé dans la sphère des dirigeants avec pour conséquence l'obsession du refus qu'observe l'électeur toutes les fois où l'on a sollicité sa voix. Alors que dans le duo pouvoir-électorat, le soupçon s'est définitivement substitué à la naïveté, la plupart des Rastignac de province postulant pour des maroquins n'ont que peu changé dans la façon de gagner véritablement de la sympathie. Tablant en secret sur la magie des quotas, ils se sont installés une fois pour toutes dans cette certitude qu'une campagne électorale ne sert strictement à rien sinon à fournir au truquage d'Etat une assise populaire qui parapherait sa légitimité. Ne sont-ils pas d'ailleurs cyniques tous ces professionnels de la contrefaçon électorale lorsqu'ils se solidarisent notamment par jouer en public la symphonie du civisme ? Sur le mode de la basse flatterie, même les chefs de partis ne sont guère avares de promesses au cours de leurs tournées des popotes. C'est ainsi qu'à chaque halte, ils se fendent en engagements pour construire ici une usine qui fera travailler tout le village ; et là pour implanter des réseaux d'irrigation grâce à des retenues collinaires même si le petit peuple auquel l'on s'adresse vit dans de vastes plaines ! Un déploiement de fantasmes illustré par le vieillard du FLN qui n'a pas trouvé mieux pour faire l'éloge de ce parti que celui de «ne pas en avoir» ! Ainsi, Ould Abbès réactive l'imposture historique concernant ce parti en déclarant que ce «Front» demeure l'unique «maison» de la nation. Au-delà donc des probables correctifs qu'opérera le pouvoir au soir du 4 mai, afin de «normaliser» le scrutin, ce qui est véritablement renversant dans l'insignifiance de cette législative réside dans le fait que même les partis du gouvernement ne développent guère de thèmes programmatiques qui les différencient. En admettant que le seul slogan prévalant cette fois-ci ne concerne que la dénonciation de l'abstention, les partis politiques ne se dépouillent-ils pas de leur devoir de faire campagne autour de leur doctrine en cédant de facto à l'appareil d'Etat le droit de leur octroyer à sa guise des sièges du Parlement ? Et pour cause, n'ont-ils pas décidé d'être «semblables» thématiquement au point que l'électorat «acquis» devrait nous considérer comme des courants «interchangeables» ? Tant que la campagne persiste dans l'impasse consistant à seulement faire le procès de l'incivisme des Algériens, les partis finiront bien par se rendre un peu plus impopulaires au lendemain du scrutin. D'ailleurs, un seul courant politique avait perçu le danger qu'il y avait à faire chorus contre le boycott et la diabolisation de ceux qui le prônent. Le PT est jusque-là la seule tribune à partir de laquelle l'on considère les principes de la participation et du boycott comme autant de manières d'exprimer sa résistance ou ses options. Pour expliquer l'alignement des partis sur les thèses exclusives du régime, il faut, par conséquent, rappeler le désir ancien qu'ils avaient en partage : celui de se rapprocher du premier cercle. Une ambition qui ne pouvait que les pousser dans les bras du palais jusqu'à souscrire à toutes les thèses de celui-ci. Et parmi celles-ci, il y a notamment l'acte d'accusation étayant la défection de l'électorat par la seule manipulation dont se serait rendus coupables les médias et une certaine presse écrite. Voilà qui, infailliblement, a fini par caricaturer leur image. Celle qui les qualifie d'officines supplétives tant il est vrai qu'ils firent souvent la courte échelle aux démarches du palais en approuvant certains scénarios politiques pourtant préjudiciables à l'avenir du pays mais aussi aux libertés et à la démocratie. La prétendue élite des partis qui depuis une semaine se déploie dans des meetings pour affirmer que le concours des urnes demeure la solution à l'impasse nationale sera-t-elle en mesure de faire son autocritique au lendemain du 4 mai lorsqu'elle constatera que l'abstention est une «pathologie» politique lourde que le pouvoir cache depuis longtemps ? Tel est, en tout cas, le paradoxe principal de ce républicanisme honteux lequel admet d'une part que la confiscation des libertés publiques est devenue un attribut de l'actuel pouvoir et, d'autre part, prône la participation à la comédie politique écrite et scénarisée chaque fois par ce même régime sans que l'on sache ce qui doit justifier cette caution. Toute la dialectique de l'entrisme à laquelle ont recours à ce jour les courants les plus en vue est-elle parvenue à améliorer le rapport des pouvoirs avec les libertés publiques ? Sûrement pas, dès l'instant où son interprétation se résume à la «collaboration» prise dans son sens péjoratif : celui de la sujétion. Pour toutes ces raisons, les institutions de l'Etat pouvaient-elles échapper à une certaine fossilisation qui ajoute à l'archaïsme dans leur fonctionnement la prédation politique afin de les neutraliser ? A présent elle constitue un ensemble architectural tout à fait croupion. C'est-à-dire dépourvu d'autonomie aussi bien à l'étage du Parlement qu'au rez-de-chaussée de la commune. De plus, la faute incombe en grande partie à la vénalité politique des partis qui se sont laissé «convaincre» (matériellement) par la mystification d'une démarche qui vante avec insistance une «transition pacifique». La formule rappelle les constructions sémantiques du passé fondées sur la notion de «compagnonnage», laquelle a fini par accoucher des fameuses «convergences tactiques». C'est-à-dire un autre euphémisme pour camoufler les compromissions indécentes. Or, au moment où le Président peut fêter les dix-huit années de son pouvoir, l'électeur algérien a, lui aussi, capitalisé une solide expérience quant à son rapport avec les rendez-vous des urnes. Converti à l'abstention «sans commentaires» depuis que les dirigeants du pays se sont donné le mot pour déclencher une campagne placée sous le signe de la sincérité et de la transparence, il s'est senti profondément humilié par tant de simulacres. Et c'est de la sorte que naquit l'électorat buissonnier sur le modèle de celui de l'école d'où l'on s'abstenait sans aviser afin de s'en aller humer l'odeur de la liberté de... ne plus choisir !