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Ils crachent sur nos tombes !
Par Arezki Metref [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 09 - 2005

Hachemi Djiar, conseiller du pr�sident de la R�publique, en mission en France, nous apprend qu'apr�s le r�f�rendum, Abdelaziz Bouteflika �va demander pardon� aux Alg�riens �au nom de la Nation�. Il est vrai que, pour le moment, ce n'est rien d'autre que des propos de conseiller. Mais si la chose s'av�rait, nous sommes bons pour un monde parall�le, une sorte de r�alit� en dehors de la r�alit� ! Quel que soit le sens que l'on donne � cette d�claration, on ne peut pas ne pas y voir une exclusion des Alg�riens de la nation alg�rienne.
On ne peut pas ne pas y voir non plus une identification du pr�sident avec la nation alg�rienne. Et on ne peut pas ne pas y voir, enfin, l'usage immod�r� du pardon comme politique aux effets platoniques garantis. Des mots, voil� tout ! Apr�s avoir demand� pardon dans le d�tail aux repentis, voil� qu'on va demander globalement pardon aux Alg�riens ! La nation alg�rienne incarn�e par son pr�sident �lu demande pardon aux Alg�riens qui font la nation alg�rienne et qui ont �lu l'incarnation de la nation alg�rienne. �a s'arr�te o� ? Supposons cependant que demander pardon aux Alg�riens suffise � chasser ces nuages de haine qui flottent dans le ciel de la nation, on leur demande pardon de quoi ? Du sang ? Des larmes ? De la pauvret� dans laquelle la grande majorit� d'entre eux a �t� raval�e ? De la hogra ? Des humiliations ? Dans l'hypoth�se o� la difficult� de savoir de quoi demander pardon est surmont�e, une autre difficult�, plus coriace, se dresse. Comment r�soudre ce casse-t�te contenu dans la g�n�ralisation ? Demander indistinctement pardon aux Alg�riens, c'est demander pardon en m�me temps � la victime et au bourreau. Serait-il apaisant de demander pardon dans le m�me mouvement au tueur et � la famille de la victime ? Ce pardon de la confusion ne peut bien s�r pas agir dans le sens de la paix car en s'adressant � tous, il ne s'adresse � personne. En outre, il a tout l'air d'�tre davantage le mot de la fin d'une harangue messianique que le d�but d'un processus politique de r�conciliation nationale. L'ivresse des victoires annonc�es et de l'unanimisme conjugu�s produit de l'euphorie. D�s lors, on croit que le monde est dans le creux de notre main. Cette exaltation fait voir double. Alors, on dit, et on dit ce qui se presse dans la t�te, jubilatoire. C'est sans doute ce chemin qu'a suivi cette id�e du m�me Hachemi Djiar affirmant que le projet de charte pour la paix et la r�conciliation �concerne les Fran�ais � plus d'un titre parce qu'il y a une relation particuli�re faite d'attraction et de r�pulsion entre les deux pays�. Si vous arrivez � comprendre, vous, en quoi la charte en question concerne les Fran�ais ( plus que les Anglais ou les Aborig�nes) selon la causalit� �tablie par le conseiller, j'userai de toutes mes connaissances pour vous obtenir un deuxi�me bulletin �oui� pour le r�f�rendum du 29 septembre. Pour vendre ce sacr� projet de charte, on ne recule devant aucun paradoxe, devant aucun folklore, devant aucune aberration. Tant que la campagne dure, on ne parle que de �a, faisant de l'Alg�rie le nombril du monde et de la charte le nombril de l'Alg�rie. Ce n'est pas sans rappeler la focalisation exclusive et obsessionnelle de l'opinion sur des th�mes de campagne sous Boumediene. La diff�rence, il est vrai, est que Boumediene avait un projet national et m�me, sans doute, quelque chose de l'utopiste qui s'exalte dans la projection de grandes choses. Aujourd'hui, on est dans une r�p�tition mim�tique et, on le sait, une copie n'est jamais l'original. L'unanimisme et le culte du chef qui reviennent dare-dare dans la pratique politique alg�rienne sont d'autant plus anachroniques que le monde a d�pass� les phases historiques o� ces contraires de la d�mocratie et du pluralisme �taient impos�s par des pouvoirs � des peuples suppos�s mineurs. Et pour ne nous en tenir qu'� notre histoire domestique, comment doit-on consid�rer cette gr�garit� autour du chef dans un pays qui a si ch�rement pay� son babil pluraliste ? Apr�s octobre 1988 et la faillite du parti unique, apr�s les convulsions tragiques de la d�cennie rouge au cours de laquelle des projets de soci�t� antagonique se sont affront�s, apr�s toutes les conqu�tes lib�ratrices dont peuvent s'enorgueillir les Alg�riens, peut-on se r�soudre � lire ce qui s'est pass� comme une r�cr�ation et qu'il faut, au coup de sifflet de l'arbitre, rentrer dans le rang ? Dans l'argumentaire d�velopp� autour du projet de charte, on trouve fr�quemment cette r�f�rence � l'arbitre. Le pr�sident de la R�publique est un peu comme cet arbitre qui n'est concern� par le match que dans la mesure o� il distribue les bons points et les cartons jaunes. La trag�die nationale n'est pas cette crise qui a touch� le pays dans toutes ses composantes et dans tous les secteurs. A en croire l'analyse de la crise faite par le discours autour du projet de charte, ce sont deux minorit�s, l'une manipulant le sentiment religieux et l'autre s'en m�fiant dans sa confusion avec le politique, qui se sont affront�es entra�nant le pays dans la spirale de la violence. D'ailleurs, en restant attentif � ce discours, on s'aper�oit que de deux acteurs de son pugilat, l'arbitre tance l'un plus que l'autre. Si les islamistes sont des �gar�s qu'il faut aider � revenir dans le troupeau, les anti-int�gristes, eux, ne croient m�me pas � la repentance. De quoi jeter l'�ponge ? Ce n'est pas cela qui s'est pass�. Dop� aux hormones, b�n�ficiant de soutiens internationaux et de compromissions nationales, l'islamisme a cru le moment venu d'imposer un pouvoir th�ocratique dans notre pays. Pour atteindre ce but, tous les moyens �taient bons. Et pendant que, manipulant l'histoire de l'Alg�rie pour en faire un jihad ininterrompu, des hommes du pouvoir croyaient prendre le train du destin en montant sur les marchepieds de la d�ferlante int�griste, toute une soci�t� ne se reconnaissant pas dans un islam tellement d�cadent qu'il en avait perdu tout humanisme et toute intelligence s'est �lev�e contre cette nouvelle h�g�monie. Le bilan est l'h�catombe que l'on sait. Ces hommes et ces femmes tu�s non point pour ce qu'ils faisaient mais pour ce qu'ils �taient, attach�s � la distinction entre le domaine priv� et le domaine public, ne sont pas des acteurs minoritaires d'une gu�guerre qui se r�gle � coups de pardon sonore et sans effet. Ce sont des victimes et des martyrs. Ils m�ritent un peu plus de consid�ration. Toute cette jubilation autour d'une r�conciliation qui n'en est pas une, tous ces discours univoques sont autant de crachats sur leurs tombes. Et �a, ce n'est pas bien pour la m�moire de ce pays !
A. M.
P. S. d'ici : Dans le chapitre 5 du projet de charte, consacr� aux "mesures destin�es � renforcer la coh�sion nationale", il est �crit ceci : "Il (le peuple) mandate le pr�sident de la R�publique pour solliciter, au nom de la Nation, le pardon de toutes les victimes de la trag�die nationale, et sceller ainsi la paix et la r�conciliation nationale." Ce n'est pas la m�me chose tout de m�me que de dire que le pr�sident va demander pardon au peuple alg�rien au nom de la Nation.


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