Pierre-Christian Soccoj (*) est magistrat totalement impliqu� dans la pr�vention et la lutte contre la corruption. Il vient de publier dans le quotidien fran�ais Le Monde , �dition parue le samedi 5 novembre 2005, un point de vue sur l�Indice de perception de la corruption ( IPC), instrument cr�� par l�ONG Transparency International. De nombreux lecteurs nous ont fait part de leur int�r�t pour l�IPC. Nous publions ci-dessous le point de vue de Soccoj. Pour rappel, l�Alg�rie a obtenu la tr�s mauvaise note de 2,8 sur 10 dans l�IPC 2005. �Depuis 1995, chaque ann�e au mois d'octobre, Transparency International (TI) publie son indice de perception de la corruption (IPC). Attendu avec impatience par certains, redout� par d'autres, cet indice a beaucoup fait pour la reconnaissance dont Transparency jouit actuellement. Mais en quoi est-il vraiment utile pour la lutte contre la corruption ? L'indice est obtenu � partir de t�moignages d'hommes d'affaires, d'expatri�s et d'ONG, qui rendent compte de leurs exp�riences quotidiennes dans un pays donn�. Cette compilation d'enqu�tes est h�t�rog�ne, � la fois par la m�thodologie (� l'origine, la plupart se fondaient sur des sondages ; aujourd'hui, elles reposent sur des entretiens avec des universitaires ou des journalistes expatri�s) et par les sources qu'elles interrogent (milieux d'affaires, public plus vaste). Mais l'indice ne tient pas compte, par exemple, des manipulations comptables dans les entreprises, des diff�rences de syst�me juridique, qui font que des comportements peuvent se r�v�ler ill�gaux dans des Etats et l�gaux dans d'autres. Ainsi, le lobbying est reconnu dans certains pays, mais consid�r� ailleurs comme du trafic d'influence. La question de la perception individuelle de la corruption demeure probl�matique, puisque le ph�nom�ne est le plus souvent cach�, en tout cas en ce qui concerne la grande corruption. Les m�dias ont tendance � donner une image biais�e du ph�nom�ne, tent�s par le scandale, surtout en mati�re de corruption politico-financi�re. De plus, dans de nombreux pays, la presse n'est pas libre et sert parfois � nuire � un opposant politique, par exemple en l'accusant de corruption. A l'inverse, la perception de la corruption peut �tre aussi biais�e par d�faut, quand le syst�me judiciaire d'un pays ne se donne pas les moyens d'enqu�ter et de poursuivre les faits de corruption. C'est ce que l'OCDE a reproch� au Royaume-Uni, � propos de la mise en �uvre de la convention contre la corruption d'agents publics �trangers dans les transactions commerciales internationales. Les comparaisons sont une autre source de distorsion. Estimer le niveau de corruption dans un pays donn�, sans pouvoir quantifier le ph�nom�ne, conduit souvent � s'en remettre � une comparaison avec un autre pays. Par exemple, la corruption en France peut para�tre un enjeu mineur si on la compare � ce qui se passe au Bangladesh, class� dernier cette ann�e. Par contre, compar�e � la Finlande, class�e premi�re par TI en 2003 et 2004, la France se trouve dans une situation qui peut appara�tre pr�occupante. Toutefois, la corruption varie d'une institution � l'autre, d'un secteur � l'autre, priv� ou public, et d'une profession � l'autre. Par cons�quent, il est difficile pour un individu d'appr�cier ces diff�rences. Enfin, la perception de la corruption est aujourd'hui influenc�e par la publication annuelle de l'indice de Transparency. Victime de son succ�s, l'IPC (et le classement qui en d�coule) fige des situations. Les pays bien class�s vivent souvent sur leur r�putation, les pr�jug�s ayant la vie dure. Par contre, les pays o� s�vit la corruption, mais qui s'engagent dans des politiques volontaristes de lutte contre ce fl�au, avec les r�percussions m�diatiques qui les accompagnent, peuvent donner l'impression que le ph�nom�ne est encore plus grave qu'initialement et, par cons�quent, se retrouver en fin de palmar�s. Un mauvais classement est un signal peu favorable vis-�-vis de la communaut� internationale, des investisseurs et des bailleurs de fonds institutionnels. Les efforts consentis pour lutter activement contre la corruption par ces pays � le plus souvent en voie de d�veloppement � ne s'en trouvent pas r�compens�s. De la difficult� d'�valuer le niveau de corruption d'un pays Enfin, la mauvaise interpr�tation par les m�dias de l'indice et du classement plaide pour leur r�vision, afin qu'ils deviennent un outil vraiment utile � la lutte contre la corruption. Dans un souci de transparence et d'honn�tet� intellectuelle, TI accompagne la publication de l'IPC et du classement d'un document expliquant la mani�re de les lire. Mais le traitement m�diatique de l'�v�nement tient rarement compte de ces pr�cautions. Par un redoutable glissement s�mantique, l'indice de perception devient un indice de corruption. Par ailleurs, m�me en donnant les informations sur la m�thodologie et certaines sources, le contenu de l'indice demeure pour le moins obscur pour de nombreux sp�cialistes. Que signifie le classement de la France au 18e rang en 2005 avec un score de 7,5 sur 10 avec un intervalle de confiance compris entre 7 et 7,8, alors qu'elle pourrait tout aussi bien se placer � la 24e place avec un score de 7,8 ou � la 16e avec un score de 7 ? De m�me, la variation de l'indice d'une ann�e � l'autre pour un pays donn� ne permet pas de savoir s'il y a eu plus ou moins de corruption dans ce pays pendant l'ann�e �coul�e, mais peut s'expliquer par une variation dans l'intervalle de confiance. L'IPC simplifie � l'exc�s un ph�nom�ne complexe et le classement s'av�re donc peu significatif. Il n'en demeure pas moins qu'il existe un vrai besoin en mati�re d'information concernant la corruption et son �volution. Le probl�me est qu'il est tr�s difficile d'�valuer le niveau de corruption d'un pays et celui de son �volution de mani�re objective et scientifique. Le combat que m�ne TI � travers ses autres publications y contribue utilement. Mais si l'IPC et le classement ont �t� au d�but un formidable coup m�diatique pour faire conna�tre l'ONG et sensibiliser la communaut� internationale sur les ravages qu'engendre la corruption, le moment est peut-�tre venu aujourd'hui de repenser cet indice et sa pr�sentation. Des pistes sont � l'�tude. La Banque mondiale, qui utilise aussi des indicateurs de bonne gouvernance, est confront�e aux m�mes difficult�s et r�fl�chit � de nouvelles m�thodologies. Concernant l'IPC, au-del� de la simple perception, il serait utile, par exemple, de tenir compte de la mani�re dont certains Etats mettent en �uvre la convention de l'OCDE. En ce qui concerne le classement, les pays pourraient �tre regroup�s en 10 cat�gories de 1 � 10, avec un IPC sans d�cimale. La notion de groupe de pays aurait plus de sens que le classement actuel et serait plus �thique, notamment en ce qui concerne les variations dues aux marges d'erreur. Le classement simplifi� � partir d'un IPC r�vis� pourrait alors devenir un outil plus pertinent pour aider � lutter contre la corruption dans le monde.� (*) Pierre-Christian Soccoja est secr�taire g�n�ral du Service central de pr�vention de la corruption (SCPC) aupr�s du minist�re fran�ais de la Justice.