Nabih Berri est le chef du mouvement chiite Amal. A ce titre, et en vertu de la Constitution, il est aussi le pr�sident du Parlement libanais. Il a �t�, enfin, d�l�gu� par le Hezbollah pour n�gocier en son nom, en particulier avec la secr�taire d'Etat am�ricaine Condoleezza Rice. Quand il parle de paix, il faut donc l'�couter et essayer de saisir dans ses propos ce qui lui appartient en propre et ce que pourrait dire Hassan Nasrallah. Jusqu'� la fin des ann�es 80, le mouvement Amal tenait le haut du pav�. Mais comme le Fatah en Palestine, Amal, min� par la corruption de ses dirigeants, s'est laiss� d�border par le Hezbollah. L'autochtone, vieilli et d�labr�, a �t� peu � peu supplant� par un produit, d'importation certes mais jouissant d'une popularit� grandissante. A la suite de l'Etat libanais, les cadres de Nabih Berri ont peu � peu laiss� le sud du pays au Hezbollah lui abandonnant de facto le monopole de la r�sistance. C'est ainsi qu'aujourd'hui, Hassan Nasrallah r�siste quelque part dans un bunker et que Nabih Berri porte sa parole aux n�gociateurs am�ricains. Le second est un notable us� par le pouvoir et les d�lices de Capoue, le premier a d�j� pris la succession et aspire � prendre tout le reste. Je n'ai pas aim� dans les r�centes d�clarations de Nabih Berri teint�es d'amertume et reprochant aux pays arabes de rester passifs devant le drame libanais. Je me suis arr�t� surtout � la pointe de ressentiment contre l'Alg�rie. Il a cru bon, en effet, de rappeler que tout le Liban s'�tait mobilis� pour Djamila Bouhired durant la guerre de Lib�ration nationale. Ce qui est vrai mais pourquoi citer pr�cis�ment cet exemple pour mettre en exergue l'indiff�rence arabe. Un petit tour � la salle Harcha l'aurait pourtant convaincu que toute la classe dirigeante alg�rienne est en premi�re ligne avec le Hezbollah. Avec un peu d'imagination, on aurait pu voir dans le ciel de Harcha les multiples sillages des roquettes et des fus�es tir�es en direction d'Isra�l et de Condoleezza Rice. Les discours galvanisants et guerriers ont proprement ravi le patron du Hamas, promoteur du meeting de soutien au Liban et d'autres spectacles servant la cause de son mouvement. Quant aux envol�es contre l'imp�rialisme yankee et ses plans machiav�liques pour "d�sarabiser" les Arabes, ce fut un vrai festin pour baathiste en fin de car�me. Toute cette agitation politicienne est accompagn�e, comme il se doit, par un regain d'int�r�t et d'affection pour le chiisme. Aux yeux des sunnites les plus born�s, les chiites retrouvent enfin le statut de musulmans qui leur �tait contest�. M�me leur Adhan qui fait explicitement r�f�rence � l'imam Ali ne h�risse plus les oreilles salafistes. Derri�re leurs grosses lunettes noires, des midinettes en djilbab lancent des regards �namour�s et des baisers furtifs au nouveau play-boy du monde arabe et islamique. Ceci marque-t-il, pour autant, l'abandon du wahhabisme et l'entr�e dans les ordres chiites via la milice du Hezbollah ? C'est une perspective d'avenir mais ce n'est pas encore la conversion de masse stimul�e par l'�ternel opportunisme des z�lotes religieux. Pour l'instant, en effet, le royaume de La Mecque reste s�r de lui et dominateur. Tellement s�r de lui que sa principale cha�ne d'information Al-Arabia fait la course en t�te avec sa rivale Al-Jazira pour couvrir les �v�nements. Avec cette diff�rence que la glorification du Hezbollah par Al-Arabia a des allures d'acte de contrition. A priori, Riyad ne semble pas g�n� par ce sens des opportunit�s m�diatiques et fait valoir les crit�res du professionnalisme. Et puis, pendant que Al- Arabia s'�puise � tenir la corde avec Al-Jazira, l'appareil m�diatique saoudien s'emploie � d�fendre les positions de Riyad dans le conflit libanais. La d�claration officielle saoudienne est comment�e de mani�re � faire ressortir le leadership qu'entend assumer d�sormais le royaume saoudien. Il n'y a pas de doute que c�est le r�le que veut assumer le roi Abdallah en se pr�sentant comme le d�fenseur d'un Liban arabe face � l'imp�rialisme iranien. Cette ambition est largement port�e par les �ditorialistes saoudiens qui parlent d'un nouveau r��quilibrage des forces dans la r�gion. Ce qui induit implicitement un r�le de locomotive du nouveau nationalisme arabe pour l'Arabie saoudite, �paul�e par une monarchie, la Jordanie, et une r�publique monarchique, l'Egypte. Le quotidien de Londres Al-Charq-al-Awsat le dit sans ambages : "Le peuple libanais doit savoir qu'il n'est pas seul et que son seul choix est d'�tre dans la mouvance arabe, avec son avant-garde le royaume d'Arabie saoudite. Il n'est pas dos au mur et il n'est pas accul� � jouer sur l'alliance avec l'Iran (�) Durant des ann�es, apr�s que le Hezbollah eut devenu un Etat en armes dans un Etat d�sarm�, la conviction a pr�valu chez de larges pans de la soci�t� libanaise que le choix iranien �tait in�luctable. Ceci, apr�s que l'influence arabe ait subi un reflux et que l'on eut fait l'impasse sur les r�alisations strat�giques de Taef. Si les accords de Taef avaient connu seulement un d�but d'ex�cution, rien de tout cela ne serait arriv� (�) Nous n'en serions pas aux promesses de Hassan Nasrallah, alors qu'Isra�l d�truisait tout sur son passage, lorsqu'il a affirm� que l'Iran reconstruirait tout ce qui a �t� d�truit. Des propos qui ont r�sonn� comme un d�fi lanc�, non seulement aux Libanais mais � tous les Arabes." Ce que ne dit pas clairement la presse saoudienne et qu'il faut lire entre les lignes, c'est que le d�fi du Hezbollah est per�u par Riyadh comme un d�fi religieux. Nasrallah m�ne une guerre de religion au Liban et les Saoudiens ob�issent � la m�me motivation. En fait, l'enjeu est le statut de la citadelle sunnite-wahhabite face � la mont�e d'un chiisme belliciste et s�duisant par l� m�me. C'est au moment o� les t�l�visions saoudiennes font la part belle aux actes de solidarit� avec la population libanaise que l'accroc est apparu dans l'habit pseudo-nationaliste du royaume saoudien. Le Cheikh Abdallah Bendjebrine, une des principales r�f�rences religieuses wahhabites, a lanc� une fetwa interdisant toute aide mat�rielle ou morale au Hezbollah. Sous forme de "layadjouze" comminatoires, le cheikh a successivement proscrit le soutien � ce parti "rafidhi" (d�serteur � un des nombreux gentils noms attribu�s aux chiites). "Il ne faut pas combattre sous leurs ordres, ni prier pour leur victoire. Je conseille aux sunnites de rejeter ces gens et ceux qui les rejoignent et de d�noncer leur hostilit� de toujours � l'Islam et aux musulmans." En fait, si les dirigeants saoudiens situent la nouvelle guerre du Liban dans un contexte de rivalit�s de puissances r�gionales, la fetwa la resitue dans son contexte, celui de la bataille impitoyable entre deux int�grismes : le sunnite et le chiite. Or, chaque jour de guerre au Liban renforce le second au d�triment du premier. Le naturel f�minin est de fuir le vieillard �dent� et impotent pour le viril et courageux chevalier. La "rue arabe" est aussi frivole qu'inconsciente mais elle reste domin�e par le naturel f�minin, l'envie d'essayer autre chose. Certes, tout le monde arabe respire toujours wahhabite et ment encore wahhabite mais le chiisme, incarn� par Nasrallah, exerce une s�duction dangereuse et, � la longue, fatale. C'est peut-�tre la vocation de la "rue arabe" de jouer les remake de "s�duite et abandonn�e". C'est sans doute aussi la destin�e des peuples arabes d'hypoth�quer toujours l'avenir en optant parfois pour le pire.