Je b�n�ficie de ce supr�me privil�ge de ne fr�quenter que des gens optimistes. C�est fatigant. Ils passent leur temps � trifouiller les abysses de l�actualit� pour y d�nicher le rachitique rai d�espoir. Les ayant vus faire, je peux en t�moigner, ils creusent parfois loin dans les couches successives d�opacit� qui forment la g�ologie de la d�prime alg�rienne. Et, en orpailleurs touchant la ran�on de la patience, ils trouvent, les bougres ! Ils trouvent. Quand tout est barbouill� de gris, ils finissent pas localiser sur la toile du d�sespoir (cette �forme sup�rieure de la critique�, selon la jolie formule de L�o Ferr�) le point lumineux cens� faire trembler la monochromie. Mais aucun d�eux � nul n�est parfait, h�las ! � ne saurait paraphraser l��minent matheux de l�Antiquit� en promettant : �Donnez-moi un petit point lumineux et j��clairerai le monde !� Ils se contentent, eux, mes potes optimistes, d��tre optimistes, ce qui est d�j� quelque chose. Optimistes � l��tat brut, en quelque sorte. Qu�ils aient besoin de passer cette rare mati�re premi�re qu�est l�espoir � la raffinerie, ils le savent. Mais ! Ce sacr� mais ! Quand je la ram�ne, moi, avec mon humeur massacrante, mes doutes tenaces, mon scepticisme increvable, un filtre t�n�breux pos� sur la monture de mes lunettes, ils me d�busquent net : �Toi, tu travailles pour une officine, un clan, un arch, une arche, une assibaa, le gouvernement, le gouvernorat, la gouverne. Ce n�est pas possible autrement. On ne peut pas broyer autant d��b�ne si on n�est pas pay� pour d�sesp�rer !�. Textuel. Je ne peux m�me pas cuver mon Camus ou mon Cioran sans �coper de ces infamies dou�es de la l�gitimit� de me stigmatiser en tra�tre ou, pis, en l�che. Ceux parmi mes potes qui ont, en plus de cet optimisme fonctionnel, un peu de tact ou un peu moins de cambouis sur les parois c�r�brales que leurs pairs, mettent de l�eau dans le vin : �Parle de bouquins, tiens, ce sera mieux pour tout le monde. Laisse la politique � ceux qui savent traduire les sentiments et les attentes en action�. Tu parles de traducteurs ! Enfin, il y a ceux-l�. Ils ont encore plus de tact que les pr�c�dents. Ils me gratifient de ce conseil qui ne mange pas plus de pain que depuis que Jean Cayrol l�a donn� au jeune Kateb Yacine venant de d�poser le manuscrit de �Nedjma� au Seuil : �Pourquoi n��crivez-vous pas sur les moutons. Il y a de si beaux moutons en Alg�rie.� En un mot, faut pas te m�ler de ce qui ne te regarde pas. Sauf que je ne sais pas qui en d�cide, et au nom de quoi. Toute la pertinence du d�bat d�mocratique est enferm�e dans cette question ! A tout prendre, c�est de l�admiration que je ressens pour les capacit�s de mes amis optimistes � trouver de l�espoir partout. Je n�y arrive pas, pour ma part. Pas du tout ! Et je me dis que s�ils trouvent, eux, et moi pas, ce ne peut �tre que pour l�une de ces deux raisons. Soit, ils trouvent parce qu�ils cherchent et que moi, je ne trouve pas parce que je ne cherche pas. B�te ! Soit encore, ils trouvent parce qu�ils ont quelque chose que je n�ai pas. Plus b�te encore ! Ce serait quoi, ce plus ? Le talent pour l�espoir, �a existe ? En v�rit�, dans la masse informe des optimistes, il y a des cat�gories. Eh, oui, c�est comme en tout ! Tiens, par exemple, lui. Lui, l�, le petit brun � la grande chaussure blonde. Il est optimiste parce qu�il est chef de parti. Tu le vois venir dire � nos amis r�unis dans la cabine t�l�phonique: �Zagat, il n�y a rien � tirer de ce syst�me ! Partez, flinguez-vous, faites du skate-board � Aokas, lisez des d�pliants touristiques sur le Taj Mahal, �coutez en live chab Habhab�. Il ne peut pas parler ainsi d�abord parce que, du point de vue individuel, plus zagat, plus il y a � tirer de ce syst�me amateur de puces, qui rach�te tout. Il suffit que t�arrives sur le march� avec un peu de nuisance pour qu�on te rach�te dare-dare. Du pr�l�vement automatique ! Ensuite, faire de la politique, c�est faire dans la guidance. Le pasteur qui m�ne les moutons ne peut pas leur dire, sous peine de ne pas �tre suivi, que demain l�herbe sera moins verte. Tout le monde n�est pas Churchill promettant de la sueur et des larmes plut�t que les paradis artificiels de la d�magogie. L�autre cat�gorie, c�est celle des �optimistes� instinctifs. Ceuxl�, ils n�ont rien � gagner et rien � perdre. Ils traquent l�espoir pour cette raison primaire : ils ne peuvent s�en emp�cher. A l�instar de l�entomologiste qu�tant l�insecte rare l� o� les apparences ne l�y mettent pas, l�optimiste instinctif va trouver motif � aller de l�avant (l�espoir, c�est pr�cis�ment de classer les choses en avant et apr�s) dans le moindre fr�missement, le battement de cils le plus fugace. J�ai un pote qui est comme �a. Quand il voit un film, il lui trouve toujours des choses bonnes. Ca peut �tre l�ensemble ou le sc�nario, l�interpr�tation d�un ou de plusieurs acteurs, les dialogues, une s�quence en particulier, le g�n�rique. La fois o� il a �t� contraint de reconna�tre qu�il a vu un navet int�gral, il a exerc� son optimisme instinctif en disant : �Les fauteuils de la salle sont quand m�me confortables.� Il y a les optimistes �messianiques �. Ceux-l�, ce sont les pires. Ils sont persuad�s qu�ils sont l� pour nous faire part de leurs visions. Un sixi�me sens, ou un septi�me pour faire l�heptade magique, leur fait croire qu�ils voient ce que le lambda comme moi est incapable de zyeuter. Ils ont l�aptitude proph�tique de lire le Signe l� o� vous et moi ne voyons que du feu. Justement, le feu ! Et ils le disent comme un trag�dien dit ses emphases. Il y a les �conteurs�. Ceux-l�, ils rigolent. En priv�, ils avouent qu�ils ne voient pas comment s�en sortir. Ils reconnaissent qu�il n�y a rien � faire, que le jour qui vient est encore pire que celui qui s�en va. Mais, en public, ils trouvent tout de suite le ton juste pour dire tout le contraire de ce qu�ils pensent. Ils poussent la g�n�rosit� jusqu�� partager un espoir qu�ils n�ont pas. Il y a les �mim�tiques�. Eux, c�est tout simple. Les grands hommes qui ont fait l�histoire de l�humanit� sont ceux qui ont su garder espoir dans les pires moments. Eh, bien, eux aussi, ce sont de grands hommes ! Il y a enfin les optimistes �dialectiques �. Ce sont les plus calculateurs, et les plus �planteurs�. Ils font semblant de tirer les conclusions optimistes d�une lecture objective de la situation. En g�n�ral, ils ont souvent quelque chose � voir de pr�s ou de loin avec le syst�me. L�ennui avec les proph�ties qu�ils b�tissent en d�cortiquant le rapport des forces, c�est que ce ne sont, au mieux, que de pures constructions intellectuelles. Pas un des ces changements �positifs� dont ils n�ont eu de cesse de voir la pr�figuration dans des faits anodins ne s�est produit depuis l�ind�pendance. Avec une r�gularit� d�oracles, ils continuent � voir se muer leurs pr�visions. Ils t�annoncent l�embellie et c�est une couche de noir qui s�ajoute au bleu du ciel. Pire que �mauvais temps� de la t�l�, vous savez ! Je veux bien rejoindre les �optimistes �. Mais en m�accrochant � un espoir raisonnable et concret et non pas � cet espoir narcissique qui veut accr�diter que les choses vont changer parce qu�on le d�sire soi-m�me. Si, apr�s 200 000 morts, on en est encore au pal�olithique du genre, c�est parce que le syst�me rentier et corrupteur se renforce sur les d�combres des valeurs et que l�illusion continue � fonctionner que le changement r�side dans l�alternance des clans au pouvoir. Mais c�est aussi parce qu�on ne voit jamais ce qu�il faut voir au moment o� il faut le voir. Mon espoir, raisonnable, c�est de croire en ce changement in�luctable lorsque les Alg�riens seront vraiment le dos au mur.