Parmi les privil�ges qu'ont eus les sexag�naires et les quinquag�naires actuels, il y a eu les mariages et les circoncisions anim�s par le grand ma�tre El Anka. On se souvient encore des quelques documents sonores et parfois visuels retrouv�s par hasard dans l'audioth�que de la RTA dont ces g�n�rations se d�lectaient en priv� dans ces appartements exigus, sur une petite barque de p�che, dans des endroits insolites. Les circonstances qui entouraient l'�coute �taient domin�es par le secret et n'y acc�daient � l'audience que les amoureux du cha�bi qui avaient fait preuve de leur �savoir� en la mati�re. Les enregistrements �taient prot�g�s comme des �uvres uniques et gard�s au fond d'armoires banalis�es. Des �changes de �liali� se faisaient dans les plus grandes discr�tions pour que le chant d'El Anka ne soit pas d�voy� et qu'il ne soit pas livr� au pi�tinement des gros sabots des nouveaux venus sur ce morceau de soie. A force d'agir de la sorte, le grand Maestro est rest� inconnu et son �uvre limit�e et r�tr�cie par ces pr�tendus connaisseurs qui se font une coquetterie d'aimer El Anka et donc le cha�bi. Aujourd'hui, des enregistrements tenus au secret appartiennent � ces collectionneurs et d�passent largement le patrimoine de la radio et de la t�l�vision nationales. C'est la preuve que le cha�bi a �t� d�popularis� et ne doit appartenir qu'� une �lite selon ces barons qui cultivent le mythe comme on affine un fromage. A pr�s de trente ans apr�s sa mort, on parle d'El Anka � travers des concerts orchestr�s par ceux qui ont eu la becqu�e de son art et qui se sont d�cr�t�s en �ternels d�positaires alors que le regrett� a puis� son talent de la musique andalouse pour la mettre � la port�e du peuple peu connaisseur de la langue arabe et n'ayant que des rudiments de musique. Voil� un des traits d'El Anka auquel revient le m�rite de d�cliner � partir d'un chant �fig� et r�glement� �, sans pr�juger de sa grande noblesse, un genre populaire ayant vocation d'�tre accessible � tous. D'ailleurs, qui ne vibre pas � l'�coute d' El Arfaouia de Che�kh Ennadjar ou d' El Khezna El Kbira de Benkhlouf interpr�t�es par le Ph�nix ? Le genre El Anka est et restera s�duisant par la richesse des improvisations m�lodieuses, les fantaisies et la force du ton de notre cheikh. Alors pour lui rendre hommage, suffit-il de s�habiller comme lui, de reprendre une des chansons de son r�pertoire et la m�cher � un public nostalgique des grandes gloires du cha�bi. ? Lui-m�me ne l'aurait pas tol�r�. Son empreinte doit �tre respect�e et soulign�e par un effort cr�atif dans l'abord de textes puis�s dans cet oc�an de po�sie m�connu, dans l'expression de nouvelles voix qui forgent la personnalit� de dignes h�ritiers. Nous souhaitons sortir de la rengaine des chansons �lim�es et rabot�es et dont les copeaux sont empreints de faux sens et de mots inappropri�s. La connaissance des textes, leur authentification et leurs sens doivent d�s maintenant �tre la pr�occupation de jeunes chanteurs qui donneront, il faut l'esp�rer, un souffle immense � notre patrimoine musical. El Anka aurait souhait� qu'on lui rende hommage avec les honneurs exprim�s � sa technique vocale, � ces instruments qu'il a eu le g�nie d'introduire, � l'effort qu'il a consenti � comprendre et surtout � retenir la po�sie du �melhoun�. La cr�ation d'un texte relatant ces m�rites, la diffusion de chansons in�dites, les pr�f�rences du chanteur pour tel po�te du melhoun et ses amiti�s avec des interpr�tes d'un autre genre et puisant dans le m�me volet auraient �t� bonnes � conna�tre pour mieux cerner la personnalit� du ma�tre. Un autre volet de sa vie personnelle est serti d'anecdotes et de mythes par ces porte-voix incapables d'expliquer un vers d'une qacida. El Hadj M'hamed El Anka restera une idole et sans le sacraliser, il serait souhaitable d'emprunter la voie essentielle qu'il a trac�e et surtout sortir par des chemins heureux � la conqu�te du talent. Apprendre ou plut�t faire appr�cier le cha�bi � nos enfants est certainement une des initiatives qui feraient conna�tre la grande richesse de la po�sie maghr�bine, de la langue arabe, de nos dialectes partag�s et l'amour de notre pays. Pour fortifier une �uvre, il ne suffit pas de la d�poussi�rer maladroitement tous les ans, mais la mettre sous la lumi�re de la connaissance, de la curiosit� et surtout de l'amour. Quand ceux qui cachent injustement des pi�ces que des privil�gi�s ill�gitimes ont eu � conna�tre comprendront ce qu'elles contiennent, alors aurontils la grandeur de les partager avec ceux qui sont friands de notre culture dans laquelle r�sistent quelques braises qui n'attendent qu'� �tre souffl�es. Je terminerai par quelques vers de feu Si Kaddour El Alamy : Edda� min ghir fehm lalou �akal tmiss klamou bin la�bad hma�ka oue mesassa men yedmer el oudba yal�ka a�ssassa ( Le p�dant sans savoir a l'esprit aveugle son verbe est arrogance et fadeur pour les gens (les sages). Celui qui heurte les gens de lettres se heurtera � ses gardiens.