Max Weber doit se retourner dans sa tombe. Sa c�l�bre formule du monopole �tatique de la violence physique n�aura jamais �t� aussi malmen�e que de nos jours. Les nouveaux �seigneurs de la guerre� poussent partout, dans les nombreux Etats d�Afrique noire d�chir�s par la guerre civile, dans le monde arabe, en Asie. Les Etats dits civilis�s n��chappent �galement pas � la r�gle depuis la fin de la guerre froide qui a permis au n�o-lib�ralisme de r�duire l�intervention de l�Etat � la portion la plus congrue depuis son existence � sous couvert de professionnalisation des arm�es. Une mani�re bien commode d��chapper � la Convention internationale contre le recrutement, l�utilisation, le financement et l�instruction de mercenaires, adopt�e le 4 d�cembre 1989 et ratifi�e par la plupart des pays pourvoyeurs et employeurs de mercenaires des temps modernes. Ici, l�Occident est pris au pi�ge de ses propres valeurs. D�abord celles des droits de l�homme. Le curriculum vitae des nouveaux mercenaires ne semble pas attester d�une pr�disposition � leur respect : la plupart des Sud-africains, au demeurant tr�s demand�s pour leur horrible exp�rience r�cente, sont d�anciens membres des forces de s�curit� du r�gime de l�apartheid, amnisti�s par la Commission de r�conciliation. La soci�t� am�ricaine Blackwater emploie �galement des militaires chiliens qui �taient membres des commandos form�s sous la dictature d�Augusto Pinochet. Ils ont enfin recours � des m�thodes d�intervention qui sont loin d��tre celles de la Croix- Rouge : les employ�s de la soci�t� britannique Aegis ont �t� film�s en train de faire feu sur des civils irakiens sur un fond de musique d�Elvis Presley. Cela n�emp�cha pas le renouvellement en avril 2006 du contrat de 293 millions de dollars, en vertu duquel la soci�t� assure la coordination de l�ensemble des firmes pr�sentes en Irak. Autre valeur du n�o-lib�ralisme mise � mal, celle de la lutte antiterroriste. Une soci�t� dont le si�ge se trouvait en Alabama avait form�, avant le 11 septembre, des combattants appartenant � un groupe terroriste islamiste, alors qu'elle pensait entra�ner des militaires pakistanais. Au-del� des mythes, une nouvelle r�alit� prend place dans l�usage de la violence dans les nouveaux conflits. Un conflit dans lequel les Arabes sont, encore une fois, doublement les dindons de la farce, comme victimes et comme pourvoyeurs de fonds. Bien des domaines anciennement couverts par le monopole coercitif de la d�fense et de la s�curit� (qui vont au-del� du convoi des fonds, la s�curit� de biens, des espaces et �difices publics, des centres de d�tention) sont aujourd�hui affaire marchande priv�e. Des soci�t�s � caract�re commercial, anglo-saxonnes dans la plupart des cas, souvent dirig�es par d�anciens cadres des unit�s d��lite des arm�es r�guli�res, fournissent d�sormais des services relevant nagu�re du strict ressort de l�arm�e, touchant au coeur des fonctions militaires : logistique, entra�nement et formation, maintenance des armes sur le lieu de bataille� Le d�partement de la d�fense des Etats- Unis a conclu entre 1994 et 2002 environ 3.000 contrats avec elles, pour un montant total de 300 milliards de dollars. La nouvelle industrie de la violence compte des centaines d�entreprises, employant des milliers de mercenaires, pour des milliards de dollars de revenus. Le nouveau mercenariat entrepreneurial est d�ment enregistr� au registre du commerce et aux imp�ts, il agit en liaison intime avec son gouvernement d�origine, travaille pour des Etats, des organisations internationales, des organisations non-gouvernementales (ONG) ou des entreprises. Les soci�t�s militaires priv�es constituent ainsi �une force d�appoint en politique �trang�re� qui permet d�intervenir en sous-main. En cas de d�rapage, il sera plus facile pour l�Etat de nier les faits. Il se dessine ici, � petits traits, le r�le que pourraient jouer ces auxiliaires non institutionnels dans la conduite d�actions clandestines. Le nouveau mercenariat est cot� en Bourse et rattach� � des groupes industriels de l�armement, de la construction, de l��lectronique et des communications. Enfin, il se pr�vaut d�une image publique et d�une bonne r�putation, affirmant ne travailler que pour des entit�s r�guli�res et des gouvernements l�gitimes. Certaines soci�t�s se sont m�me dot�es de �codes de bonne conduite�. Elles ont n�anmoins une particularit� : leur proximit� avec les centres strat�giques de d�cision et les nouveaux ma�tres de l�empire : les dix plus grandes soci�t�s militaires priv�es am�ricaines auraient d�pens� pr�s de 32 millions de dollars afin de faire valoir leurs int�r�ts aupr�s du gouvernement et du Congr�s, et 12 millions de dollars en donations pour la campagne �lectorale, dont presque la totalit� au Parti r�publicain. En Irak, principal terrain d�intervention, elles emploient entre 20 000 et 35 000 personnes, ce qui fait d'elles le �deuxi�me contingent� de la Coalition apr�s les troupes am�ricaines. Elles repr�sentent un tiers du budget op�rationnel du Pentagone en Irak, et sont une partie importante du dispositif d�occupation du pays. La soci�t� militaire priv�e la plus en vogue en Irak est incontestablement la firme am�ricaine Blackwater � �tymologiquement l�eau noire qui signifie en langage imag� les eaux d��gouts transportant les mati�res f�cales des toilettes non recyclables. Cr��e en 1997 par Erik Prince, h�ritier d�une riche famille de chr�tiens ultraconservateurs du Michigan. Blackwater obtient, sans appel d�offres, son premier contrat, en avril 2002, d�une valeur de cinq millions de dollars pour la protection du si�ge de l�agence du Pentagone � Kaboul. Un an plus tard, la soci�t� d�croche ; toujours sans mise en concurrence, le contrat de protection du proconsul am�ricain en Irak, Paul Bremer. L�entreprise ouvre des bureaux � Baghdad, mais aussi � Amman et � Koweit City. 450 experts, r�partis dans deux succursales de la firme � Baghdad et � Kuweit City, sont affect�s au recrutement, � la centralisation des candidatures, les contrats de mission et les lieux d�affectation, ainsi qu�au ravitaillement. Les Etats arabes qui ont �t� les premiers � se payer les services des soci�t�s militaires priv�es am�ricaines sont aujourd�hui leur champ pr�f�r� d�intervention. Vinnel Corp, dont le si�ge est � Fairfax, en Virginie, et BDM International, toutes deux filiales de la multinationale Carlyle, apparaissent comme les bras arm�s privil�gi�s de la politique am�ricaine en Arabie et dans le Golfe. Vinnel Corp, dont la mission saoudienne a fait l�objet d�un attentat � Khobbar en 1995, a la haute main sur la formation de la garde nationale saoudienne, tandis que BDM g�re la formation du personnel de l�arm�e de l�air, de la marine et des forces terrestres saoudiennes. C�est en 1975 que Vinnell (qui r�alisait d�j� quelques activit�s de soutien logistique aupr�s de l�arm�e am�ricaine, ainsi qu�une part de l�entra�nement des forces arm�es et de police sud-vietnamiennes pendant la guerre du Vietnam) remporta un contrat d�une valeur de 77 millions de dollars afin d�entra�ner la garde nationale saoudienne et de la former � l�utilisation de nouveaux syst�mes d�armes. Bien que contest� par des s�nateurs d�mocrates qui exig�rent l�audition des directeurs de la soci�t� et des repr�sentants du gouvernement, le contrat fut malgr� tout autoris�. C��tait la premi�re fois qu�il �tait permis � des civils am�ricains de vendre un service de nature militaire � un gouvernement �tranger. Les Saoudiens ne sont pas les seuls � recourir aux services des nouveaux mercenaires. �Watchguard�, compagnie britannique priv�e de mercenariat, dont le si�ge est � Guernessey, �les britanniques, inscrit � son palmar�s la protection de Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, Cheikh d�Abou Dhabi et pr�sident de la F�d�ration des �mirats du Golfe, ainsi que l�encadrement des troupes omanaises dans la r�pression de la guerilla marxiste du Dhoffar, dans les ann�es 1965-1970. Pourquoi s��tonner alors que l�opinion arabe applaudisse sans �tats d��me les d�boires de Blackwater � Falloujah (Irak) o� quatre de ses "prestataires de services" avaient �t� captur�s le 31 mars 2004, en tenue civile, sans grades ni uniformes ? Le d�membrement de leur d�pouille � coups d�armes contondants apr�s leur d�c�s dans les combats, puis leur exposition sur le pont de l�Euphrate, avaient �t� salu�s comme un acte h�ro�que� Qui dira le contraire ? A. B. (*) Quotidien Lib�ration, 8 mai 2007.